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Analyse

Chine : ce qui se joue pour Xi Jinping derrière les "deux assemblées"

L'Assemblée nationale populaire à Pékin. (Source : Business circle)
L'Assemblée nationale populaire à Pékin. (Source : Business circle)
Ce dimanche 3 mars, la Chine a ouvert comme chaque année sa double session parlementaire. L’Assemblée nationale populaire et la Conférence consultative politique du peuple chinois vont réunir leurs milliers de délégués dans une grande pièce de théâtre écrite et mise en scène par la direction du Parti communiste. Cette séquence politique promet d’être intéressante pour ce qui se joue en coulisses. Officiellement devraient être présentées de nouvelles politiques sur les investissements étrangers, la protection de la propriété intellectuelle et la planification familiale. Mais en pleine guerre commerciale avec l’Amérique de Donald Trump et sur fond de « lutte anti-corruption » sans fin, Xi Jinping tente un rééquilibrage des factions.

Une salve contre l’un des trois pôles du système des affaires politiques

L’affaire des villas et celle des droits d’exploitation du charbon dans le Shaanxi ont non seulement fait tomber Zhao Zhengyong, mais elles ont aussi poussé à l’avant-scène Wang Linqing et ses aveux. Tout cela tombe à pic pour Xi Jinping et Wang Qishan. Le président et son vice-président tentent depuis un moment de prendre le contrôle des deux « yuans », ces deux instances majeures de la justice en Chine : la Cour suprême et le Parquet populaire suprême. La Cour est présidée par Zhou Qiang, le numéro deux de la commission des affaires politiques et légales dirigée par Guo Shengkun, mais aussi allié de Meng Jianzhu et surtout de Zhou Yongkang, l’ancien tsar déchu de la Sécurité publique. L’affaire Zhao Zhengyong qui se déplace de plus en vers Zhou Qiang, n’est pas sans rappeler ce qui est arrivé Sun Zhengcai à peine trois mois avant le 19ème Congrès. Ce faisant, les affaires des villas et du charbon ne sont peut-être qu’un prétexte pour tenter d’isoler Zhou Qiang et couper l’herbe sous le pied de Guo Shengkun.

Qui peut (encore) dire non à Xi ?

Cette question est probablement la plus importante pour le déroulement des deux assemblées. La réponse est à la fois simple et complexe. Xi Jinping possède la majorité du pouvoir en province, en matière de secrétaires provinciaux du Parti comme de gouverneurs de province et présidents de régions autonomes. Le président chinois contrôle plusieurs des institutions étatiques clés : la puissante commission nationale pour le développement et la réforme, le ministère des Transports, ceux du Commerce, du Logement et du Développement des villes et campagnes, mais aussi les ministères des Finances, de l’Éducation ou encore de la Défense nationale. Sans oublier les grandes instances du Parti : la commission disciplinaire, département central de l’organisation, l’école centrale du Parti ou le département du Front uni. En parallèle, les autres groupes à même de contrebalancer le pouvoir de Xi sont en déroutent : la tristement célèbre faction de l’ancien président Jiang Zemin, la jiangpai, tout comme les alliés de Hu Jintao, de plus en plus isolés. Aucune opposition réelle n’existe en ce moment. Cependant, Xi Jinping doit faire face à un scepticisme grandissant sur trois fronts : sa gestion de la guerre commerciale et « l’accord prochain » évoqué récemment par Donald Trump, sa « lutte anti-corruption » et sa politique de « développement économique ».
Les attentes demeurent ainsi très élevées. Le numéro un chinois devra tenter de préciser cette nouvelle voie de développement qu’il est en train d’emprunter pour la Chine en pleine guerre commerciale. Surtout, il devra aborder la question d’un « échec » relatif face au président américain. La Chine se trouve à présent dans une situation précaire sur la scène internationale. La difficile mise en place des « Nouvelles routes de la soie » combinée à un « lutte anti-corruption » sans fin, n’aident guère le président. Dans un contexte où l’idéologie fait son retour, il reste impossible de parler politique, et encore moins de débattre sur le fond. Xi se place au-dessus du Parti. Le Parti est redevenu au-dessus de la Nation. Plus que jamais, le Parti et la Chine doivent ne faire qu’un.

Les « disqualifiés » et les nouveaux venus

*Mis en examen le 17 août 2018. **Mis en examen le 15 novembre 2018. ***Mis en examen le 31 août 2018. ****Mis en examen le 12 novembre 2018. *****Mis en examen le 27 février 2019.
Des 2980 noms dans liste des délégués à l’Assemblée nationale populaire, on compte déjà 6 « disqualifiés » mis en examen : Wang Tie (王铁, né en 1957), gouverneur adjoint du Henan de 2012 à 2016*, Mou Ruilin (缪瑞林, 1964), maire de Nankin de 2014 à 2018**, Shangguang Jiqing (上官吉庆, 1963), lieutenant rétrogradé de Xi Jinping à Xi’an, Xiang Changjiang (向长江, 1960), président du groupe de développement industriel Huaxing dans le Hunan***, Zhang Chengyi (张承义, 1966), chef de la préfecture autonome de Changji dans le Xinjiang****, et Zhang Shichao (张世超, 1961), secrétaire général de ville d’Anshan (Liaoning) de 2013 à 2018*****. Sans oublier les 3 décédés : Zheng Xiaosong (郑晓松, 1959-2018), directeur de l’unité de liaison avec Macao (mort le 20 octobre dernier), Ding Yuhua (丁玉华, 1948-2018), président du groupe Sanjiao (Shandong), et Li Bin (李斌, 1960-2019), vice-président de la Fédération des syndicats pour Shanghai, décédé le 21 février. Des postes sont donc à pourvoir, surtout dans le cas de Wang Tie, Mou Ruilin et Shangguang Jiqing.
*Mis en examen le 11 juillet 2017. **Participation révoquée le 23 janvier 2019. ***Il devrait aussi être présent à la Conférence consultative.
Pour la seconde chambre, la Conférence consultative du peuple chinois, certains hauts responsables seront absents. A commencer par Meng Hongwei, l’ancien chef d’Interpol, Zheng Zhiquan (曾志权, 1963), directeur du département du Front uni du Guangdong*, et Shu Yuhui (束昱辉, 1968), président du groupe Quanjian**. Shi Yaobin (史耀斌, 1958), directeur adjoint du comité des finances et de l’économie de l’Assemblée nationale populaire, viendra lui prendre place aussi bien à la Conférence consultative qu’à l’ANP (où il a été nommé en juin 2018)***, tout comme un certain Shi Xuecheng (释学诚, 1966), directeur adjoint de la commission sur les minorités ethniques et la religion de la Conférence consultative.

Un rééquilibre des factions via le Fujian ?

Pour quoi parler du Fujian en particulier ? Pour comprendre, il faut parler d’une mention apparue le 22 février à la fois sur le profil de Shao Yulong (邵玉龙, 1964), actuel directeur de la commission des ressources naturelles pour cette province côtière, et sur celui Lin Xinglu (林兴禄, 1962), maire de Longyan dans cette même région. Leur deux biographies affichent désormais : « destiné à être transféré à un poste important » (« 拟转任重要岗位 »). Une mention similaire se retrouve pour environ 11 cadres du Fujian. Shao pourrait ainsi partir pour la ville de Cangzhou (connue comme la « porte vers Xiamen »), tandis que Lin serait transféré dans la ville de Sanming – deux rumeurs confirmées le 1er mars dernier).
Le jeu de chaise musicale au Fujian ne s’arrête pas là. Le 26 février, Hu Changsheng (胡昌升, 1963) a quitté son poste de directeur du département de l’organisation pour devenir secrétaire du parti de la ville de Xiamen, l’ancien fief de Xi Jinping. Ainsi, un poste de rang vice-provincial, au Fujian, demeure vacant et un nom semble attirer l’attention : Hu Haifeng (胡海峰, 1972), le fils de Hu Jintao, prédécesseur de Xi. Ce dernier, en poste au Zhejiang dans la ville de Lishui depuis juillet 2018, pourrait être promu à un rang supérieur pour des raisons politiques. Hu Jintao compte encore un bon nombre d’alliés dans les figures montantes du réseau de la Ligue des Jeunesses communistes, les tuanpai. Une alliance pourrait être bénéfique à Xi Jinping, lui qui depuis 2013 perturbe « l’ordre des factions » en Chine. D’autant plus que le président chinois doit éviter de se mettre à dos tout une génération de cadres.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.