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Expert - politique chinoise

Chine : retour sur l'affaire Sun Zhengcai, ou le démantèlement de la bande du Jilin

Sun Zhengcai, l'ancien chef du Parti à Chongqing, aujourd'hui mis en examen.
Sun Zhengcai, l'ancien chef du Parti à Chongqing, aujourd'hui mis en examen. (Crédit : EyePress News / EyePress / AFP).
La chasse aux canards boiteux continue. Malgré la chute de Sun Zhengcai – officiellement mis en examen le 24 juillet dernier -, Wang Qishan ne laisse personne souffler et il repart à l’assaut en s’attaquant maintenant aux alliés de ce dernier. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la série d’arrestations qui ont eu lieu ces derniers temps. Toutes impliquent des Cadres en poste dans la province du Jilin, là où Sun était devenu un politicien de premier plan en 2009. Ce faisant, la « saga de Sun » continue, alors même que les motifs de sa mise en examen sont encore inconnus. Et tout cela avant le Congrès du mois de novembre qui arrive à grands pas et qui promet d’être sulfureux. Et avec en arrière plan la question de la Corée du Nord qui prend de plus en plus de place.
Les motifs de l’arrestation de Sun Zhengcai sont donc encore aujourd’hui inconnus. Il semble pourtant que à part ses « mauvaises » fréquentations passées dans la ville de Pékin qui ennuient encore largement Wang Qishan, ou son implication via son épouse dans la Mingsheng Bank, c’est autour d’un autre motif qu’il faut comprendre sa déchéance : celui de son appartenance à la « bande du Jilin » [吉林帮]. Le sujet est d’importance pour Xi qui a mis en place un grand nombre de moyens pour contrecarrer cette faction. D’autant que derrière elle se devine l’allié nord-coréen.

« La bande du Jilin »

*On oublie parfois de mentionner Su Rong [苏荣] (né en 1948) comme faisant partie de cette clique du Jilin fidèle à Jiang Zemin. Su, qui fut à la tête de Yanbian de 1994 à 1997, sera également le numéro deux de Zhang Dejiang de 1996 à 1998 en plus d’avoir été son secrétaire (mishu [秘书]) de 1992 à 1995. Su deviendra par la suite secrétaire du Qinghai, du Gansu, ainsi que du Jiangxi.
Représentée avant tout par Zhang Dejiang [张德江] (né en 1946) – en poste dans la province pendant près de 15 ans avant de rejoindre le comité permanent du bureau politique du Parti et la présidence de l’ANP, secrétaire du Parti de 1995 à 1998 et de ses trois lieutenants Wang Yunkun [王云坤] (né en 1942), Wang Min [王珉] (né en 1950) et Wang Rulin [王儒林] (né en 1953), cette « bande », plutôt réputée proche de l’ancien président Jiang Zemin*, occuperait plusieurs pôles importants dont la préfecture de Yanbian [延边] et bien sûr la ville de Changchun [长春], en plus des institutions provinciales du gouvernement et du Parti. Ainsi, par exemple, Du Xuefang fut secrétaire de la commission disciplinaire de 2004 à 2006 et Cui Shaopeng [崔少鹏] (né en 1961) de 2015 à 2017. Tous deux sont des alliés de He Guoqiang et de Zhang Dejiang.

Yanbian, préfecture autonome située près de la frontière avec la Corée du Nord, est connue notamment comme étant point d’accès vers l’intérieur de la Chine pour les trafiquants de drogues (opium) et de faux billets (dollars). Changchun est pour sa part le premier grand centre urbain près de la frontière.

*Wang Rulin (1997-2000), Tian Xueren (2001-2004), Deng Kai [邓凯] (2004-2011), Zhang Anshun [张安顺] (2011-2016), et Zhang Yuan [庄严] (2016-2017). **Une importante partie des parts de la banque appartiennent à un certain Xu Hua [许华] (né en 1981), président du groupe Guanghua [苏州光华实业集团]
Les six derniers secrétaires (1997-2017) de Yanbian*, incluant l’actuel Jiang Zhiying [姜治莹] (né en 1961), ont tous un lien d’affiliation à Zhang Dejiang, direct ou indirect. Par exemple, Jiang Zhiying, originaire du Jilin, fut le secrétaire de Wang Rulin alors que ce dernier était secrétaire de la ville de Changchun (2004-2007). D’ailleurs, pour la petite histoire, Tian Xueren [田学仁] (né en 1947) – secrétaire de Yanbian de 2001 à 2004 et secrétaire-adjoint de Changchun de 1994-1997 – est déjà tombé aux mains de la commission disciplinaire en 2011 pour corruption. Ce dernier était, pendant le mandat de Sun Zhangcai, président de la banque du Jilin (2008-2011). Peut-être est-ce là l’un des éléments clés de la mise en accusation de Sun ?
*Wang Yunkun (1992-1995), Mi Fengjun [米凤君] (1995-2001) – mis en examen en 2009, Du Xuefang [杜学芳] (2001-2004), Wang Rulin (2004-2007) et Gao Guangbin [高广滨] (2007-2015).
L’affirmation concernant les secrétaires demeure vraie pour la ville sub-provinciale de Changchun : depuis 1992, l’ensemble des secrétaires du Parti de la ville ont une affiliation avec Zhang Dejiang ou encore Jiang Zemin*. La seule exception est l’actuel secrétaire, Wang Junzheng [王君正] (né en 1963). Et l’explication est simple : ce dernier fut parachuté du Hubei en janvier 2016 par Xi afin de briser le cycle de succession.

Le Jilin assiégé, Sun Zhengcai et l’épineuse question de la Corée du Nord

Sun Zhengcai, qui quitte le Jilin en 2012, fait place à l’époque à Wang Rulin qui y restera jusqu’en 2014, soit avant le début de l’ »opération de nettoyage » qui sera lancée par Bayinchaolu [巴音朝鲁] (né en 1955), un natif de la Mongolie-Intérieure. Ce dernier qui a longuement servi aux côtés de Xi Jinping dans le Zhejiang (2002-2007) ainsi qu’aux côtés de Li Keqiang à la Ligue de Jeunesse communiste (1993-1998) se doit de contenter Xi, surtout lorsque l’on sait que l’ « espérance de vie » – en termes de promotion – des Cadres appartenant à des minorités ethniques demeure statistiquement basse.
*Cette dernière, avec des membres comme Zhang Wenyue [张文岳] (né en 1944) – secrétaire de 2007 à 2009, et Chen Zhenggao [陈政高] (né en 1952) – gouverneur de 2007 à 2014, est plutôt associé à l’ancienne garde de Bo Xilai ou encore à Wen Jiabao et Li Keqiang.
Et c’est donc sous sa direction que l' »opération de nettoyage » commence. Le premier à tomber sera Zhao Hongxing [赵洪兴] (né en 1956) – membre du département de la justice de la province, en mars 2015. Au motif qu’il aurait utilisé son poste afin de faciliter les activités frauduleuses de certaines entreprises publiques chinoises faisant du commerce avec la Corée du Nord.
Le lieutenant de Zhang Dejiang, Wang Min, tombera lui en mars 2016, quelques mois après avoir été remisé par l’alliance Xi-Wang. Wang, qualifié de « premier tigre » [首虎], sera un coup important porté contre la bande du Jilin et du Liaoning [辽宁帮]*.
*Zhou Huachen sera en poste à Baishan de 2003 à 2008, Liu Xijie de 2001 à 2008 et Li Wei de 2008 à 2015.
Suivront ensuite Liu Xijie [刘喜杰] (né en 1962), ex-secrétaire du gouvernement et directeur du bureau des affaires générales (2015-2017) – mis en examen le 12 juin 2017 ; Zhou Huachen [周化辰] (né en 1952), secrétaire de la ville de Jilin (2008-2011) – mis en examen le 12 juillet 2017. Enfin, Sun Zhengcai qui sera emporté par la commission disciplinaire et remplacé le 15 juillet.
Plus récemment, Xu Longfan [许龙范] (né en 1965), représentant de la commission disciplinaire et des affaires politiques et légales de Yanbian (2013-2017) – aussi appelé le « tsar de la zhengfa » [延边政法系沙皇], et Li Wei [李伟] (né en 1958), président du groupe d’investissement Xintuo de Jilin [吉林省信托有限责任公司] seront eux épinglés le 8 août 2017. Les trois derniers font partie de la « sous-clique de Baishan » [白山系], la ville qui pénètre le plus vers l’intérieur de la Corée du Nord.
Bien entendu, tous partagent des liens avec l’équipe de Zhang Dejiang.
*Kim Jong-il est un ancien étudiant de la même université (1964). Zhang Gaoli y aurait aussi passé du temps. Cela dit, les dates exactes demeurent inconnues.
La question de la Corée du Nord apparait donc en filigrane. Elle est à l’arrière plan de la question du « nettoyage » politique de la province du Jilin. Elle doit donc être posée dans le cadre du démantèlement de la « bande du Jilin » et de l’affaire Sun Zhengcai. D’emblée, il faut dire que Zhang est le « spécialiste » du régime nord-coréen, lui qui a étudié à l’Université Kim Il-sung* de Pyongyang entre 1978 et 1980. C’est à lui que revient la tâche d’informer, en quelque sorte, la capitale sur les intentions du régime nord-coréen. On sait aussi que Zhang, tout comme d’autres (par exemple Zhang Gaoli et Liu Yunshan, etc.) ont des intérêts financiers en Corée du Nord. Ces connections expliquent en partie pourquoi aucune « vraie » sanction ne frappa la Corée du Nord avant l’arrivée de Xi au pouvoir. Et encore, il faudra attendre 2016 (soit la résolution 2270) pour que le côté chinois « fasse quelque chose ».
Malgré le fait que les liens soient très opaques entre Zhang et la Corée du Nord, il faut se souvenir de Ma Xiaohong [马晓红] (née en 1971), présidente du groupe de développement industriel Hongxiang [辽宁鸿祥实业发展有限公司] et de sa mise en examen suite aux liens découverts avec la North Korea Glory Bank [朝鲜光鲜银行] en 2016. Ce que l’histoire ne disait pas, c’est que Ma était considérée par plusieurs comme la maîtresse de Zhang et son agent de liaison concernant certaines transactions financières en Corée du Nord. Tout cela sans oublier la visite de Kim Jong-il (avec Kim Jong-un) à Zhang Dejiang en 2012 et les multiples visites de Liu Yunshan en Corée du Nord de 2007 à 2015.
Tous trois (Zhang Dejiang, Zhang Gaoli et Liu Yunshan) possèdent des intérêts qui passent par le commerce entre les provinces du Nord-Est et la Corée du Nord. Cela dit, on ne peut que spéculer sur l’étendue exacte de ces liens ou encore le rapport entre ce réseau et la chute de Sun Zhengcai. Ce qui l’explique en grande partie, c’est bien le changement au plus haut poste de l’Etat central chinois.

Le changement de garde à Zhongnanhai

Le changement à la tête du PCC de 2012 signalait en effet un refroidissement entre le régime de Pékin et celui de Pyongyang – régime pour lequel Xi aurait très peu d’estime. En ce sens, le démantèlement des réseaux fiscaux et commerciaux liés à certaines grandes figures du Parti n’affecte que peu Xi Jinping, surtout lorsque l’on sait que les dirigeants principalement affectés sont des alliés notoires de Jiang Zemin. Ceci explique en partie la nonchalance de Xi à l’égard du régime et des liens qu’entretenaient la Chine avec la Corée du Nord : les protagonistes sont associés à Jiang Zemin et représentent la Chine des années 1980-1990 et non la Chine de Xi. Ce dernier connaît également la situation et les relations de ces individus avec le régime nord-coréen et cherche à s’en distancier.
Pourtant dans le cadre des récentes provocations des uns et des autres autour du dossier nord-coréen, nul doute que les « alliés » du régime vont demander à Xi de calmer le jeu ou du moins d’ouvrir un dialogue avec Kim Jong-un à cet effet. Cette demande risque de ne pas être la bienvenue compte tenu des circonstances évoquées précédemment et de l’opinion de Xi à l’endroit de son voisin immédiat. Pour autant, il demeure dans l’intérêt du président chinois de faire baisser le ton et de faire retomber la pression en prévision d’autres remaniements domestiques et du certain « trouble » que causent les récentes mises en examen au sein du régime chinois. Car oui, Zhongnanhai à besoin de souffler et de « calme » avant novembre.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.