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Chine : où est passé Sun Zhengcai ? ou l'itinéraire d'une déchéance politique probable

Le désormais ancien chef du Parti de la municipalité de Chongqing, Sun Zhengcai.
Le désormais ancien chef du Parti de la municipalité de Chongqing, Sun Zhengcai. (Crédit : WANG ZHAO / AFP).
Comme un air de déjà vu. Une « malédiction » plane-t-elle sur Chongqing ? La question se pose et elle est d’ailleurs en Une des médias asiatiques – comme du South China Morning Post – depuis l’annonce du départ de Sun Zhengcai [孙政才] de la tête de la municipalité et son rappel à Pékin.
* Né en 1945, Yu est à l’origine un supporteur de Jiang Zemin. C’est lui aussi un « prince » qui voit d’un bon œil l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012.
Le directeur du département de l’organisation et aujourd’hui allié de Xi Jinping, Zhao Leji [赵乐际], annonça le 15 juillet dernier un changement des plus inattendu et légèrement préoccupant pour la suite des choses et de l’institutionnalisation du leadership chinois depuis les années 1990 : le rappel de Sun Zhengcai (né en 1963), dorénavant ex-chef du Parti de Chongqing, et son remplacement par Chen Min’er [陈敏尔] qui sera lui remplacé à son poste de secrétaire du Parti pour la province du Guizhou par Sun Zhigang [孙志刚] (né en 1954), l’ancien secrétaire de Yu Zhengsheng [俞正声]*.

Des mauvaises fréquentations ?

Originaire du Shandong, Sun commence sa carrière à Pékin et sera placé rapidement (à seulement 39 ans) au comité permanent de la capitale. La même année (en 2002), il deviendra le secrétaire du comité permanent de la municipalité. Il conservera ce poste jusqu’en 2006 et de fait, côtoiera de près Jia Qinglin [贾庆林] (né en 1940) et Liu Qi [刘淇] (né en 1942) – respectivement secrétaires du Parti pour la municipalité de 1998 à 2002 et de 2002 à 2012. Tous deux sont des alliés reconnus de Jiang Zemin. À l’époque, Wang Qishan était maire de Pékin (2003-2007) sous la direction de Liu. Et pour les observateurs, ils étaient considérés comme une « paire d’ennemis » (一对冤家对头).
En 2006, Sun devient ministre de l’Agriculture, en remplacement de Du Qinglin [杜青林] (né en 1946) – prédécesseur de Ling Jihua [令计划] à la tête du département du Front uni, du secrétariat général et à la vice-présidence de la Conférence consultative politique du peuple chinois. C’est aussi à ce moment que Sun attirera l’attention de Wen Jiabao, le premier ministre ; ce dernier étant très préoccupé par les san nong (三农), soit les « trois questions/problèmes agricoles ».
* Membre du Politburo, Zhang est un allié de l’ancienne garde de Jiang Zemin.
En 2009, Sun quitte le ministère et la capitale pour partir à la tête de la province du Jilin – fief de Zhang Dejiang [张德江]* et de la tristement célèbre « bande du Jilin » (吉林帮). Là, il vient remplacer Wang Min [王珉] (né en 1950), allié de Li Yuanchao [李源潮], et considéré comme le « petit frère » de Zeng Qinghong et de Jiang Zemin. Wang, qui n’était pas non plus dans les petits papiers de Li Keqiang, a été remisé depuis.
* L’accession de Sun Zhengcai au Politburo est le fait de Wen Jiabao.
Suite au scandale de Bo Xilai en 2012 (qui purge actuellement sa peine pour « corruption »), Zhang Dejiang vint reprendre les commandes de Chongqing afin d’y assurer la transition post-Bo. La complétion de cette tache reviendra à Sun, qui sera envoyé dans la municipalité spéciale en novembre 2012 comme chef du Parti pour la municipalité, en même temps que son entrée au Politburo*. Il en sera rapatrié le 15 juillet 2017.
Aujourd’hui donc la question se pose : les « mauvaises » fréquentations – sur le plan factionnelle – auraient-elles eu raison de sa carrière politique ?

Mais qu’est-ce qui a mal tourné?

Sun, était – et nous parlerons ici au passé du fait de l’incertitude entourant maintenant sa carrière – l’une des figures les plus en vue de la 6e génération, aux côtés de Hu Chunhua [胡春华] (né en 1963), le protégé de Hu Jintao.
* Né en 1959, Wang est l’ancien bras droit de Bo Xilai. Il est celui qui a lancé l’alarme en 2012.
Considéré comme l’un des favoris pour remplacer l’actuel Premier ministre Li Keqiang – et non Xi Jinping, Sun fut blâmé plus tôt cette année par Wang Qishan. En cause, sa lenteur dans la mise en mouvement des réformes à Chongqing ; réformes qui avaient pour mot d’ordre : « nettoyer la ville de l’influence de Bo Xilai ». Wang fera notamment référence à la pernicieuse présence de He Ting [何挺] (né en 1962) – remplaçant de Wang Lijun [王立军]* et allié de Zhou Yongkang. He, placé par Zhang Dejiang en 2012 à la tête de la sécurité publique, ne quitte en effet son poste qu’en juin 2017. On reprochera aussi à Sun le départ tardif (décembre 2016) de Huang Qifan [黄奇帆] (né en 1952), un des derniers membres de la « bande de Shanghai » et ancien allié de Bo Xilai.
Revenir vers la capitale après avoir été en province pendant cinq ans est une chose habituelle dans le parcours d’un cadre de haut rang.
Cela dit, le changement brusque de Sun à Chen Min’er et la non-réaffectation de Sun à la suite de ce changement n’augure rien de bon. Il est ainsi tout à fait possible que Wang Qishan et Xi Jinping, en « vendetta » contre les hommes de Jiang Zemin – dans ce cas-ci Liu Qi, s’en prennent à Sun Zhengcai. Si cela était le cas, on tentera de l’affilier aux hommes de Jiang Zemin ou encore de remonter à l’affaire Ling Jihua et de sa femme Gu Liping [谷丽萍] (née en 1959), originaire du Shandong et ancienne vice-curatrice de la Fondation Yi [瀛公益基金会] associée aux jeunesses communistes et à leurs activités. Mais pourquoi ? Et surtout comment ?
* Née en 1954, Yu était directrice du comité de vérification de la banque Minsheng. **Né en 1948, Su était un allié de Zhou Yongkang et ancien secrétaire des provinces du Qinghai (2001-2003), du Gansu (2003-2006) et du Jiangxi (2007-2013). Il fut mis en examen en 2014.
Il se trouve que la femme de Sun, Hu Ying [胡颖] (née en 1964) serait une « proche » de Gu Liping et de Yu Lifang [于丽芳]*, la femme de Su Rong [苏荣]**. Toutes trois sont associées au « club des femmes de la banque Minsheng » (民生银行太太俱乐部 ou 民生银行的夫人俱乐部). Ce faisant, comme dans le cas de Bo Xilai et de Ling Jihua, la femme de Sun pourrait être la pièce à conviction qui sera le prétexte de sa mise en examen.
En effet, la banque Minsheng (中国民生银行) fait l’objet de plusieurs scandales depuis quelques années dont la fuite manquée de Zhao Pinzhang [赵品璋] (né en 1956) – vice-directeur de la banque de 2008 à 2014, et de la mise en examen de Mao Xiaofeng [毛晓峰] (né en 1972), directeur de la China Minsheng Bank Co.Ltd (中国民生银行股份有限公司) de 2009 à 2015.
Mais la femme de Sun n’est pas le seule dans le viseur. Il se pourrait également qu’une autre « femme de » se voie inquiétée par ces chamboulements : Wu Touhong [吴透红] (née en 1959), secrétaire pour le comité disciplinaire de la Minsheng Bank Co.Ltd depuis 2010. Cette dernière est la femme de Xiao Gang [肖钢] (né en 1958), ancien président de la commission de la régulation des valeurs mobilières (中国证券监督管理委员会主席) (jusqu’en 2016) et secrétaire de Lv Peijian [吕培俭] (né en 1928) – gouverneur de la banque centrale de 1982 à 1985. Xiao est un allié de Zhu Rongji et est perçu par certains comme un des possibles remplaçants de Zhou Xiaochuan à la tête de la banque centrale.
Cela dit, le moment, très « Bo Xilai-esque », est très mal choisi pour mettre en examen une figure aussi neutre – contrairement à Bo et son arrogance – que Sun Zhengcai.
Aussi, comme ce fut le cas en 2002 et encore en 2012, l’équipe « noyau », formée du Président et du Premier ministre, doit se trouver dans le Politburo afin de faire un mandat en tant que membre et un mandat de transition en tant que membre du comité permanent avant la transition complète. Or, enlever Sun à ce moment revient à mettre en échec une partie de la prochaine transition qui aura lieu en 2022 durant laquelle Xi devra se retirer (si il respecte les règles en vigeur). Ce remaniement très risqué permettra cependant à Chen Min’er de se rapprocher une fois de plus du Politburo.
Dans une optique plus positive, il se pourrait que, comme Zhu Rongji avant lui, Sun soit nommé vice-Premier ministre avant le 19 Congrès afin de venir remplacer les membres déjà trop âgés comme Zhang Gaoli, Liu Yandong ou encore Ma Kai.
Mais dans des circonstances aussi nébuleuses – et de par son absence notée durant la « cérémonie » de transmission des pouvoirs à Chen Min’er, les chances demeurent faibles.
Pour l’heure, il faudra attendre un communiqué officiel de la part des autorités pour savoir si oui ou non Sun est mis examen et pour quels motifs.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.