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Chine : Xi Jinping à la manœuvre au niveau de l’État central

Le président chinois Xi Jinping au G20 le 7 juillet 2017.
Le président chinois Xi Jinping au G20 le 7 juillet 2017. (Crédit : Stinger / ANADOLU AGENCY / AFP).
Xi contrôle de manière effective plus de la moitié de la scène politique provinciale chinoise depuis la fin 2016 ainsi que nous l’avons vu ces dernières semaines. Cela dit, et même si Xi Jinping et Wang Qishan ont réussi à purger une grande partie des partisans de Zhou Yongkang, Zeng Qinghong ou Jiang Zemin – ainsi que certains autres anciens membres du Politburo – il n’en demeure pas moins qu’il existe au moins une autre dimension à la structure du Parti-État, souvent négligée, soit l’ »État » et donc par extension : les ministères, les commissions, etc.
L’importance de l’étude de ce dernier réside en partie dans le fait que la majorité des flux budgétaires circulent et est acheminée par sa structure. En ce sens, une prise effective de l’État demeure importante pour la mise en place et l’élaboration des politiques. Ce faisant, une prise effective sur l’État est d’une importance cruciale pour chacune des factions. Et c’est bien ce que Xi Jinping est en train de faire en vue du prochain Congrès du PCC.

Le rapport de Xi à l’État et la mise en échec de Li Keqiang

On peut préciser d’emblée que sur 25 organes mis à l’étude ici (soit 20 ministères, 3 commissions, la Banque Centrale et le département de l’audit), 18 (72 %) ont vu leur direction changer depuis 2013, dont 12 (48 %) entre 2016 et 2017.
Xi, qui tente de mettre en échec « son » premier ministre depuis son arrivée au pouvoir, travaille en effet d’arrache-pied pour se défaire des anciens alliés de Wen Jiabao (et de Hu Jintao) et pour terminer son « nettoyage » du Parti-État de la faction de Jiang Zemin.
Depuis son arrivée au pouvoir, le président chinois a repris le contrôle d’importantes institutions étatiques. Ainsi, très récemment (2016-2017) il a repris la main sur le ministère de la supervision en plaçant Yang Xiaodu [杨晓渡] (né en 1953) ; sur le département de l’audition avec l’arrivée de Hu Zejun [胡澤君] (né en 1955) ; sur la commission nationale de réforme et développement (NDRC) via He Lifeng [何立峰] (né en 1955) ; sur le ministère du Logement et du Développement urbain et rural avec Wang Menghui [王蒙徽] (né en 1960) ; sur le ministère du Commerce avec la nomination de Zhong Shan [钟山] (1955) ; sur celui des transports avec Li Xiaopeng [李小鹏] (né en 1959), et finalement sur celui de l’éducation avec Chen Baosheng [陈宝生] (né en 1956).
« Vieille » fréquentation de Xi datant de son passage à Shanghai, Yang Xiaodu fut placé dès 2012 – soit au moment de l’arrivée de Wang Qishan à la tête de la commission d’inspection et de discipline centrale – à la tête de la commission d’inspection et de discipline (jiwei) de Shanghai pour ensuite rejoindre Wang au secrétariat de la commission centrale en 2014. Yang avait alors la tache de commencer à « nettoyer » Shanghai des supporteurs de Jiang.
C’est grâce à lui que Wang Qishan et Xi ont la main mise sur l’ensemble des capacités de surveillance du Parti et de l’État.
Hu Zejun est une longue aspirante du système « politico-légal » (政法系) et fut mis en remplacement de Liu Jiayi (l’actuel secrétaire du Shandong) en raison de la volonté de Xi de renforcer la lutte anticorruption. Dans le même temps, elle a remplacé complètement Jiang Jianchu [姜建初] (né en 1953) à la vice-direction du procurât suprême.
* He serait également une connaissance de Zhang Gaoli [张高丽] (né en 1946) – membre du comité permanent du Politburo et allié de Jiang Zemin. Tous deux sont des anciens étudiants de l’Université de Xiamen.
Originaire du Guangdong, He Lifeng est un allié de Xi du temps de son passage dans le Fujian*. He, qui vient remplacer Xu Shaoshi [徐绍史] (né en 1951) – l’un des protégés de Wen Jiabao et de Zhu Rongji – arrive à la NDRC en 2014, après un passage à la présidence de la commission consultative (zhengxie 政协) de Tianjin. A l’époque, c’était un passage inhabituel pour un Cadre de son rang : une « promotion » à la zhengxie signifiant plus souvent une rétrogradation ou encore une jonction vers la pré-retraite. Or, dans le cas de He, on peut penser que tous les autres postes étaient occupés et qu’afin le faire « patienter », Xi n’avait pas d’autres options.
* Selon certaines rumeurs, Liu He (né en 1952) serait le fils de Liu Shaoqi [刘少奇] (1898-1969), président de la RPC de 1959 à 1968. Cela dit, il ne nous est pas possible de confirmer cette information.
He est donc un « ami politique » de Xi. Il est secondé notamment par Liu He [刘鹤]*, camarade de classe de Xi Jinping à l’école primaire 101 de Beijing. On retrouve également à la vice-direction du « super-ministère » Nuer Baikeli [努尔 白克力] (né en 1961) un allié de Li Keqiang et Hu Chunhua ; Ning Jizhe [宁吉喆] (né en 1956), allié de Li Keqiang ; Lian Weiliang [连维良] (né en 1962), associé de Wu Yi [吴仪] une ancienne protégée de Zhu Rongji qui est l’une des rares femmes à avoir siégé au Politburo et Lin Niangxiu [林念修] (né en 1963), secrétaire de Zeng Peiyan [曾培炎] (né en 1938), ancien de la bande de Shanghai et membre du Politburo du temps de Jiang Zemin.
Placé au ministère du logement, Wang Menghui, né au Jiangsu, est un camarade de classe de Xi, tout comme Zhong Shan au ministère du commerce qui est un membre de la « bande du Zhejiang ». Enfin, Chen Baosheng à l’éducation, est arrivé du Gansu, après avoir secondé Xi en tant que vice-directeur de l’école centrale du Parti (2008-2012) et Li Xiaopeng, fils de Li Peng [李鹏] (1928) – ancien premier ministre sous Jiang Zemin et discipline de Chen Yun [陈云], ancien vice-président et grand patriarche du Parti.
* Li est marié à Liu Zhiyuan [刘智源] (né en 1958), PDG du groupe Huaxin [北京华信电子集团董事长] impliqué dans les « Panama papers ».
Le « cas » de Li est intéressant et mérite d’être mis en lumière.
Li est en premier lieu protégé par Wang Qishan, beau-fils de Yao Yilin [姚依林] – membre du Politburo entre 1987 et 1992 – un proche de la famille de Li Peng. La fille de Li Peng, Li Xiaolin [李小琳]* (née en 1961) et la femme de Wang Qishan, Yao Minshan [姚明珊] (née en 1949) se considèrent d’ailleurs comme « petite et grande sœur ».
* Ling est le frère aîné de Ling Jihua.
En second lieu, Xi avait lui-même choisi Li Xiaopeng pour terminer le « ménage » dans la bande du Shanxi (山西帮), connu aussi sous le nom d’ « association du Shanxi » (西山会), menée par Ling Jihua [令计划]. A ce titre, Li Xiaopeng fera plusieurs « victimes » entre juin et août 2014 dont : Jin Daoming [金道铭] (né en 1953), secrétaire adjoint et secrétaire des affaires politiques et légales ; Sun Weichen [申维辰] (né en 1956), secrétaire de l’association pour la Science et la technologie ; Du Shanxue [杜善学] (né en 1956), gouverneur adjoint ; Ling Zhengce [令政策]* (né en 1952), directeur de la NDRC et vice-président de la Conférence consultative politique provinciale ; Chen Chuanping [陈川平] (né en 1962), secrétaire de la ville de Taiyuan 太原 ; Nie Chunyu [聂春玉] (né en 1955), secrétaire du comité permanent ; Bai Yun [白云] (né en 1960), directeur du département du Front uni ; et enfin Ren Runhou [任润厚] (1957-2014), gouverneur adjoint. Ces individus entretenaient tous des liens avec Ling Jihua.
* Li Bin [李斌] (né en 1954), directeur de la commission de planification familiale et de la santé, est lui aussi un membre de la bande du Jilin et allié de Zhang Dejiang.
Yuan, remisé par les actions de Li Xiaopeng, sera remplacé par Wang Rulin [王儒林] (né en 1953), un membre de la bande du Jilin (吉林帮) de Zhang Dejiang [张德江] avec lequel Wang Qishan est en conflit depuis déjà 2012*. Li réussira d’ailleurs à faire « remiser » Wang Rulin en juillet 2016, soit deux mois avant de devenir ministre des Transports. À 58 ans, Li peut encore espérer une « dernière » promotion, dont le poste de vice-premier ministre.
Infographie : les remaniements au Centre
Infographie : les remaniements au Centre

Le domaine de la sécurité et de la justice encore problématique

Chen Wenqing [陈文清] (né en 1960) fut récemment placé à la tête du ministère de la Sécurité nationale en novembre 2016 par Wang Qishan et Xi Jinping qui tentaient depuis 2012 de se défaire de Geng Huichang [耿惠昌] (1951), un des alliés de Zhou Youkang.
Ce choix laisse certains observateurs perplexes du fait que Chen doit son ascension dans le secteur de la sécurité au Sichuan en premier lieu à Zhou Yongkang, à la tête de la province de 1992 à 2002. La promotion de Chen à la commission d’inspection et de discipline (jiwei) du Fujian (2006) n’est non plus pas le fruit du hasard puisque Wu Guanzheng [吴官正] (né en 1938) – alors membre du Politburo et allié de Jiang – était secrétaire de la commission d’inspection et de discipline centrale. C’est d’ailleurs sous l’égide du successeur de Wu, soit He Guoqiang [贺国强] (né en 1943) – allié de Jiang Zemin et ancien membre du Politburo – que Chen Wenqing deviendra secrétaire adjoint de la dite commission centrale en 2012. Il passera trois ans auprès de Wang Qishan avant de venir remplacer Geng. En cours de route, voyant la clique de Zhou tomber aux mains de la commission, Chen a même abandonné son camarade de classe Ma Jian [马建] (né en 1956), alors ministre adjoint à la Sécurité nationale (emprisonné depuis décembre 2016) pour se ranger du côté de l’alliance Xi-Wang.
* Les deux bras droits de Guo, soit Fu Zhenghua [傅政华] (né 1955) et Huang Ming [黄明] (né 1957), sont également des hommes de Zhou Yongkang.
Du côté de la défense et de la sécurité publique, on retrouve une histoire similaire : Guo Shengkun [郭声琨]* (né en 1954) est un allié de Zeng Qinghong et Zhou Yongkang et est à la tête de la sécurité publique depuis 2012 et Chang Wanquan [常万全] (né en 1949), nommé à la commission militaire centrale [CMC] par Hu Jintao en 2007, mais considéré comme un allié de Jiang Zemin, est ministre de la Défense nationale depuis 2013. Cela dit, Chang a aidé Xi Jinping dans son enquête sur Guo Boxiong [郭伯雄] (né en 1942) – ancien vice-président de la CMC (2002 à 2012) et allié de Jiang Zemin.
On retrouve enfin Huang Shuxian [黄树贤] (né en 1954) au ministère des affaires civiles (2013) et Zhang Jun [张军] (né en 1956) à la tête du ministère de la Justice depuis 2017.
Huang, qui fait partie de l’ancienne garde mise en place par Wu Guanzheng et second de He Guoqiang de 2007 à 2013, est, depuis l’arrivée de Xi, tranquillement poussé vers la porte de sortie. En ce sens, Huang terminera sa carrière au ministère des Affaires civiles.
* Fait intéressant, Zhou Qiang [周强] (né en 1960), l’actuel président de la Cour suprême (2013-) et mandataire des procédures contre Zhou Yongkang, Zeng Qinghong, etc. est lui-même l’ancien secrétaire de Xiao Yang.
Zhang Jun, originaire du Shandong, a passé pratiquement toute sa carrière dans le système du procurât général (1985-2012), sous Xiao Yang [肖扬]* (né en 1938) – président de la Cour suprême (最高人民法院院长) de 1998 à 2008, et Wang Shengjun [王胜俊] (né en 1946) – président de 2008 à 2013.
Tous deux sont des alliés de Zhou Yongkang. Zhang, placé depuis 2007 sur le comité permanent de la commission de contrôle et de discipline centrale par He Guoqiang, demeurera en place en tant que bras droit de Wang Qishan jusqu’en février 2017. Zhang Jun, maintenant âgé de 61 ans, terminera sa carrière au ministère de la Justice. Il venait d’ailleurs remplacer Wu Aiying [吴爱英] (née en 1951). Sympathisante « tuanpai », Wu est une alliée de Li Keqiang et de Wen Jiabao. Cette dernière joua un rôle important dans la mise en accusation de Zhou Yongkang et de Zeng Qinghong.

Où sont les alliés de Hu Jintao et Li Keqiang ?

Mais alors, où sont les « hommes » du premier ministre? Contrairement à Wen Jiabao, qui avait su s’entourer d’alliés durant son mandat, Li semble perdre de plus en plus de terrain face à l’alliance Xi-Wang et le déclin des alliés de Hu Jintao depuis 2013.
Pour l’heure, seulement six ministères/commissions peuvent compter du côté des alliés de Hu Jintao (Li Keqiang, Wen Jiabao, Sun Zhengcai, Hu Chunhua, etc.).
Soit : Xiao Jie [肖捷] (né en 1957), ministre des Finances ; Miao Wei [苗圩] (né en 1955), ministre de l’Industrie et des Technologies de l’information ; Jiang Daming [姜大明] (né en 1953), ministre du territoire et des Ressources naturelles ; Chen Lei [陈雷] (né en 1954), ministre des Ressources hydriques ; Han Changfu [韩长赋] (né en 1954), ministre de l’Agriculture ; ou encore Bate’er (né en 1955), directeur de la commission pour les affaires ethniques.
Xiao Jie, originaire du Liaoning, est le mari de la nièce de Wu Yi et l’un des proches alliés de Li Keqiang de par la position qu’il a occupée au Conseil d’État entre 2013 et 2017, comme secrétaire général adjoint (国务院副秘书长). Cela dit, il semble être également très apprécié de Xi Jinping. [/asl-article-text
Miao Wei est un ancien camarade d’école (école secondaire no.8 de Hefei dans la province de l’Anhui) de Li Keqiang et Chen Lei est lui un allié du possible remplaçant de Li, soit Sun Zhengcai [孙政才] (né en 1963). Ce dernier, ministre de l’Agriculture de 2006 à 2009, est associé également à Han Changfu [韩长赋] (né en 1954), qui, tout comme Sun, est un des hommes de Wen Jiabao. Le mentor de Wen, Zhu Rongji peut également compter sur un allié de taille, soit Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale depuis 1998.
Enfin, on retrouve Jiang Daming, originaire et ancien gouverneur du Shandong (2007-2013), un grand allié « tuanpai » de Hu Jintao.
Enfin, parmi les 4 individus restants, deux demeurent incertains – soit Yin Weimin [尹蔚民] (né en 1953) et Li Ganjie [李干杰] (né en 1964), tandis que les deux autres, Wan Gang [万钢] (né en 1952) et Luo Shugang [雒树刚] (né en 1955) sont plus près de Jiang Zemin et de Liu Yunshan [刘云山] (né en 1947) – allié de Jiang et membre du Politburo qu’il devra quitter en novembre – respectivement.
En moyenne donc, les 25 individus dont il est question (ministres, directeurs de commissions, etc.) ont environ 61 ans, ce qui les place, pour ceux qui ne pourront pas avancer au rang vice-national (国家级副职), à quelques années seulement de la retraite.
Outre 3 individus appartenant à la génération 6, le reste fait partie de la génération 5.5 ou encore 5, ce qui nous pousse à dire qu’il devra y avoir plusieurs rondes de changements importants au Conseil d’État au milieu du second mandat de Xi (2017-2022) après la sélection d’au moins 3 nouveaux vice-premiers ministres en novembre. Cela dit, il n’est pas certain que ces changements soient perçus d’un bon œil par Li Keqiang considérant la stratégie d’encerclement utilisée par Xi Jinping à l’endroit de son mentor Hu Jintao.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.