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Corruption en Chine : le charme des villas et l'odeur du charbon dans le Shaanxi

Mineur chinois dans la province du Shaanxi au nord-est de la Chine. (Source : Sxcoal)
Mineur chinois dans la province du Shaanxi au nord-est de la Chine. (Source : Sxcoal)
S’il est une province de Chine que la « lutte anti-corruption » ne pouvait manquer, c’est bien le Shaanxi, terre ancestrale de Xi Jinping, au nord-est du pays. Mais elle a pris un tour plus sensible que prévu. Deux affaires de corruption, l’une sur un parc de villas et l’autre sur les juteux droits d’exploration du charbon, impliquent des personnages-clés du régime actuel, liés à Xi lui-même. La gigantesque purge lancée contre les réseaux de Jiang Zemin se retournera-t-elle contre son initiateur ?
*Il succédait ici à Zhao Leji, secrétaire de 2007 à 2012.
Le 15 janvier dernier, Zhao Zhengyong (赵正永) était mis en examen. Né en 1951, il avait été gouverneur du Shaanxi (2011-2012) avant d’en être le secrétaire du Parti provincial (2012-2016)*. Sa mise en examen a découlé de la réouverture du dossier dit des droits miniers dans le nord de la région. Ce dossier, qui remonte à 2003, concerne une dispute entre la China Southwest Geotechnical Investigation and Designing Institute Co et la Kechley Energy Investment Co.
Par ailleurs, Zhao Zhengyong, allié de l’ancien tsar déchu de la Sécurité publique Zhou Yongkang, serait aussi impliqué dans l’affaire de la construction illégale des villas de Qinglin. Située à Chang’an, un district de Xi’an, Qinglin est un chaîne de montagnes à l’écosystème unique au monde : elle forme une barrière naturelle entre les climats du nord et du sud de la Chine. Des villas y auraient été construites alors que que Zhao était encore secondé de Lou Qinjian (娄勤俭, 1956), un proche de Xi Jinping désormais soupçonné de corruption.

La « clique du Shaanbei »

L’affaire des villas de Qinglin a fait l’objet d’un documentaire diffusé par CCTV le 9 janvier, intitulé Saisir la vérité (一抓到底正风纪). Ce n’est pas la télévision centrale chinoise qui l’a révélée, mais le président Xi Jinping qui l’a mise à jour en 2014, alors que l’ancienne « bande du Shanbei » était encore en poste. Derrière cette clique, se trouvent Wei Minzhou (魏民洲, né en 1956), secrétaire du Parti de la ville de Xi’an de 2002 à 2016, Zhao Zhengyong lui-même, mais aussi Shangguan Jiqing (上官吉庆, 1963), maire de Xi’an de 2016 à 2018, et son prédécesseur Dong Jun (董军, 1956). La bande se compose encore de Liu Xiaoyan (刘小燕, 1958), secrétaire générale du comité permanent du Shaanxi (2012-2017), de son successeur Qian Yin’an (钱引安, 1964), et de Feng Xinzhu (冯新柱, 1960), gouverneur adjoint de 2015 à 2018.
*Dong avait déjà fait l’objet d’une enquête déjà en 2015 sur sa participation à des banquets dans des clubs privés.
Selon le documentaire, Xi Jinping aurait demandé six fois au gouvernement provincial ainsi qu’aux instances du Parti de rectifier la situation. Cependant, durant le mandat de Zhao Zhengyong et de Lou Qinjian, rien ne bougea. Las, Xi nomme en novembre 2017 Chen Zhangyong (陈章永, 1964), l’un de ses lieutenants au Zhejiang, à la tête du 8ème groupe d’inspection de la commission centrale de discipline du Parti. Lorsqu’il arrive sur le terrain, il interroge Dong Jun (retraité depuis février 2017)* et Liu Xiaoyan, alors directrice adjointe de l’assemblée populaire provinciale. Ni Dong ni Liu ne sont alors inquiétés. C’est Wei Minzhou qui en sera pour ses frais, mis en examen en mai 2017, puis Feng Xinzhu en janvier 2018 et Qian Yin’an en novembre de la même année. Zhao Zhengyong et Lou Qinjian sont épargnés.
*Ces liens datent de son mandat à Shangluo 商洛 (Shaanxi) dès 1998, jusqu’en 2007. Alors à la tête de Shangluo en 2005, Wei se lia d’amitié avec Wu Yijian (吴一坚, 1960), propriétaire du groupe d’investissement Jinhua et proche de Ling Jihua et de sa femme Gu Liping. Gu était alors la première directrice du Youth Business China et Wu, un tuteur pour l’entrepreneuriat. **D’autres industriels seraient impliqués dans l’affaire Wei Minzhou, notamment Wang Rongze (王荣泽, 1956), ex-secrétaire du Parti pour le groupe Yulin Energy. Wang est mis en examen le 29 mai 2013.
Wei Minzhou est le secrétaire de Zhao Leji, ancien patron du Parti du Shaanxi de 2007 à 2012 et aujourd’hui à la tête de la commission disciplinaire, la menaçante « jiwei » aux mains desquelles Wei tombe justement. Un coup de Wang Qishan, qui le soupçonne de corruption et met en cause ses liens avec Ling Jihua*, ancien lieutenant déchu de l’ex-président Hu Jintao. Affilié à la Ligue des Jeunesses communistes, Wei est aussi un allié de Zhao Zhengyong, ainsi que de Jia Zhibang (贾治邦), chef de la nouvelle « bande du Shaanxi du Nord » (陕北帮). La chute de Wei Minzhou est en quelque sorte « annoncée » par la mise en examen de Zhong Jianneng (钟健能, 1963), membre du comité permanent et directeur du département de l’organisation de Xi’an (2011-2016), et de Zhao Hongzhuan (赵红专, 1958), membre du comité permanent de Xi’an (2011-2017). La chute de Wei entraînera aussi celle de Li Dayou (李大有, 1962), secrétaire du Parti pour le groupe Xi’an Tourism, celle de Wang Xiaohui (王小辉, 1970), adjoint du district de Xincheng à Xi’an), de Fan Wei (樊伟, 1965), directeur adjoint du comité de l’administration écologique de la rivière Chanhe, et d’An Jianli (安建利, 1957), directeur du comité de développement du district de haute technologie de Xi’an**.

Les villas

*Qian est « mis en évaluation » alors que Chen est mis en examen. **Le même mois durant lequel Wei Minzhou a reçu sa sentence.
Les têtes continuent de tomber à Xi’an. Feng Xinzhu est condamné le 17 janvier dernier. Cette condamnation rouvre certains dossiers, dont celui de Zhao Zhengyong. C’est aussi le fruit de l’affaire Wei Minzhou, six autres responsables sont impliqués : Jiao Weifa (焦维发), secrétaire général pour le gouvernement de Xi’an depuis avril 2017, He Hongxing (和红星), directeur du bureau municipal de la planification urbaine, Tian Dangsheng (田党生, 1957), directeur du bureau des ressources naturelles de la ville, Luo Yamin 罗亚民 (1955), directeur du bureau de la protection de l’environnement, Zhang Yongchao (张永潮, 1964), maire du district de Huyi, et Cheng Qunli (程群力, 1952), président de la conférence consultative locale. A noter que He Hongxing, Zhang Yongchao, Cheng Qunli ainsi que Qian Yin’an* avaient déjà été mis en examen en novembre 2018**. Jiao, secrétaire du Parti pour le bureau de Qinling de 2013 à 2017, est l’un des proches de Shangguan Jiqing.
Il ne suffit pas de dire que tous ces responsables sont impliqués dans la dégradation de l’environnement liée à la construction des villas de Qinling. Ils étaient alors sous la supervision de la ville de Xi’an, alors dirigée par Wei Minzhou, le patron du Parti municipal, et par le maire, Dong Jun. Ce qui mène directement aux dirigeants de la province : Zhao Zhengyong et Lou Qinjian.

Les droits miniers

La question des droits miniers remonte à 2003. Qui s’arrogera les fruits de l’exploration des gisements de charbon dans le Shaanxi ? Plusieurs compagnies et cadres locaux sont impliqués dans une course au profit des plus troubles. En 2017, la Cour suprême tranche un litige entre China Southwest Geotechnical Investigation and Designing Institute et la Kechley Energy Investment : le jugement confirme le contrat de départ qui mentionne sa nature coopérative, et non exclusive. Ce faisant la première des deux compagnies doit verser une compensation de 13,65 milliards de yuans (1,8 million d’euros) à la seconde. Les jugements sont archivés en septembre 2018.
*Zhang Jun (张军, 1956) et son bras droit Tong Jianmin (童建明, 1963) ont rendu le problème public le 3 janvier.
Cependant, dès le 26 décembre 2017, les documents sont déclarés manquants, tout comme ceux du jugement en seconde instance datant de 2016*. L’alerte est donnée par Zhao Faqi (赵发琦, 1966), l’un des plaignants de l’époque, appartenant à la Yulin Energy Corporation. Depuis, l’enquête implique la Commission centrale des affaires politiques et légales du Parti (la « Zhengfa »), la Cour suprême, le parquet suprême et le ministère de la Sécurité publique.
En quoi l’affaire concerne-t-elle Zhao Zhengyong ? Patron de la province à l’époque, Zhao est aussi l’un des alliés de Zhou Yongkang, tout comme le président de la Cour suprême, Zhou Qiang (周强, 1960) – lui toujours en poste. Ce dossier concerne aussi Wei Minzhou, ses liens avec Ling Jihua et son Association du Shanxi (山西会), impliquée directement dans le secteur des matières premières.
*Ville dont la principale source de revenu demeure le charbon. **Zhou, aussi mis en examen durant la chute de son père et de son oncle, est marié à Huang Wan (黃婉, 1971), fille de Huang Yusheng (黄渝生, 1944), l’entrepreneur surnommé le « père du pétrole en Chine », « découvreur » du champ pétrolifère de Daqing. C’est d’ailleurs Huang Wan qui reprend le contrôle de la compagnie après la chute de Zhou et de son père. ***Groupe dirigé par Wu Bing (吴兵, 1963), originaire du Sichuan, banquier de Zhou Yongkang, connaissance de Bo Xilai et de Wang Lijun et du tristement célèbre « portefeuille » de son épouse Gu Kailai, Xu Ming (徐明 – 1971-2015), ex-Président du groupe Shide.
Selon d’autres accusations, Zhao Zhengyong, Yuan Chunqing (袁纯清, 1952), gouverneur du Shaanxi de 2007 à 2010 et lui aussi proche de Ling Jihua et de Zhou Qiang, seraient mêlés à l’affaire des droits miniers à Yulin*. Après l’arrestation de Zhou Yongkang en 2014, des documents concernant un autre Zhou ont fait surface. La presse officielle mentionne un « homme d’affaires dénommé Zhou » (周姓商人), qui serait en fait Zhou Bin (周滨, 1972), le fils-même de Zhou Yongkang. L’homme serait intervenu dans l’arbitrage sur les droits d’exploitation des gisements de charbon de Yulin en 2006, alors que Zhao Zhengyong était le chef de la Sécurité publique de la province. Zhou Bin était à l’époque président du groupe Beijing Zhongxu Sunshine Energy Technology**, associé au Fonds d’investissement Zhongxu basé à Hong Kong***.
Membres de la « clique de la Sécurité publique » de Zhou Yongkang, Zhou Qiang et Xi Xiaoming refont surface dans cette affaire hautement médiatisée de disparition de documents. Ils auraient aidé Zhao Zhengyong et son réseau à enterrer des éléments de preuves.
Malgré les différentes affaires où il est cité et en dépit des allégations pointant du doigt la Cour suprême dont il est président en exercice, Zhou Qiang réaffirme sa position le 17 janvier dernier, en tant que soutien de Xi Jinping. Mais de quoi parle-t-on ? En mars 2017, Liu Yunwu (刘运武, 1954), président du Hunan Construction Group, est mis en examen. En poste depuis 2007, Liu a bien connu Zhou Qiang lorsque ce dernier était gouverneur (2007-2010) puis secrétaire du Parti du Hunan (2010-2013). En 2013, Zeng Chengjie (曾成杰, 1958), président du groupe Sanguan Real Estate Development, est condamné à mort par la Cour suprême. Or Zeng était un rival de Liu Yunwu.

L’arrestation de Zhao Zhengyong

L’arrestation de Zhao Zhengyong a une portée bien au-delà de la « lutte anti-corruption » dans le Shaanxi. Elle met en cause – sans toutefois mettre en accusation – Lou Qinjian, mais aussi Zhao Leji (très proche de Wei Minzhou et de Zhao Zhengyong à l’époque). Zhao, rappelons-le, est un personnage-clé de la direction du Parti puisqu’il dirige cette même « lutte anti-corruption » à la tête de la commission disciplinaire, dans l’élan de Wang Qishan.
*Cui serait aussi l’un des responsables de la chute de la star du cinéma chinois Fan Bingbing. **Cui a d’ailleurs eu la chance de prendre une « selfie » avec Wang Qishan en 2015.
Par un message sur le réseau social Weibo, le célèbre animateur de CCTV Cui Yongyuan* (崔永元, 1963), lui-même dans les bonnes grâces de Wang Qishan**, rappelait la perte des documents survenus en 2016 alors que Zhou Qiang était déjà à la tête de la Cour suprême. Zhou avait même essuyé une plainte de Cheng Xinwen (程新文), président du premier circuit des procès civils de cette même Cour suprême. Sans succès. Zhou est l’un des derniers à occuper un poste crucial parmi les alliés de l’ancien président Jaing Zemin. Pour combien de temps encore ?

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.