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Chine : la lutte sans fin contre la "faction du pétrole"

Le président chinois Xi Jinping avec son vice-président Wang Qishan et son Premier ministre Li Keqiang. (Source : Nikkei Asian Review)
Le président chinois Xi Jinping avec son vice-président Wang Qishan et son Premier ministre Li Keqiang. (Source : Nikkei Asian Review)
C’était l’une des forces-clés les plus importants de la vie politique en Chine dans les années 1990 et 2000. Énergie stratégique oblige, la « faction du pétrole » rassemblait certains grands responsables du Parti communiste et les dirigeants des entreprises d’État. Jusqu’au lancement de la « lutte anti-corruption » de Xi Jinping, la star de cette faction était Zhou Yongkang, l’ancien tsar de la Sécurité publique, lié à l’ex-président Jiang Zemin. Elle subit les foudres de l’actuel numéro un chinois, qui la considère comme un résidu de « l’Ancien Régime » à éradiquer pour assurer son pouvoir absolu. Mais le « nettoyage » est loin d’être terminé. En témoignent les dernières têtes qui tombent encore.
Coup dur. Certains le voyaient comme la relève de la faction du pétrole. Né en 1961, Du Keping (杜克平) était directeur général adjoint de Sinochem. Il a été mis en examen le 17 décembre dernier pour abus de fonds publics, dont il se serait servie à des fins privées ou encore encore pour acheter des « cartes cadeaux » – les tristement célèbres « shopping cards ». Une partie de ces accusations date de la dernière inspection de la commission de discipline du Parti de 2015. Du Keping avait alors été poussé vers la sortie en avril 2017.
Cependant, l’arrestation de Du Keping n’est pas un fait isolé dans l’histoire récente du secteur pétrolier. En février 2016, le directeur général de Sinochem, Cai Xiyou (蔡希有, 1961), était mis en examen. Une chute liée à celle de Xu Jinghua (徐京华, 1958), fondateur du China International Fund (Hong Kong), arrêté à Pékin le 8 octobre 2015, soit un jour après la mise en examen de Su Shulin (苏树林, 1962). Cela n’a rien d’anodin. Su Shulin a été président de CNPC de 2007 à 2011. Étoile déchue du Parti, il avait connu Cai Xiyou lorsqu’ils étaient collègues à CNPC (China National Petroleum Corp) durant les années 2000. Prétendant de tout premier plan au Politburo, Su était tombé aux mains de la commission centrale de discipline en octobre 2015, quelques mois après la chute du « tigre du Nord-Ouest », Liao Yongyuan (廖永远, 1962), directeur général de CNPC de 2013 à 2015, et un proche de Zhou Yongkang, l’ancien tsar de la Sécurité publique.
*Egalement secrétaire particulier (mishu) de Zhou Jiping (周吉平, 1952), président de la firme de 2013 à 2015 et lieutenant de Zhou Yongkang. **Jiang avait travaillé avec Zhou Yongkang au début des années 1990 dans le Shandong, au bureau de l’administration pétrolière de Shengli (胜利石油). ***Wang Tianpu est aussi un proche du fils de Zhiou Yongkang, Zhou Bin, et de son neveu, Zhou Feng (周锋, 1974). Zhou Feng avait été placé après 2004 dans l’industrie du pétrole du Liaoning par Wang Yongchun.
C’est justement tout le réseau de Zhou Yongkang qui est touché. Jusqu’à la fin de son mandat de secrétaire de la commission politique et légale du Parti en 2012, il était le plus haut gradé de la faction du pétrole. Homme de Jiang Zemin, complice supposé de Bo Xilai et ainsi archi-ennemi de Xi Jinping, Zhou est arrêté fin 2013 alors que la « chasse aux tigres » a commencé. Cette année-là est dévastatrice pour la clique de l’or noir. Au mois d’août, tombent Wang Yongchun (王永春, 1960), directeur général adjoint de CNPC (2011-2014), suivi un jour plus tard de Li Hualin (李华林, 1962), lui aussi vice-directeur-général de la firme*, mais aussi Ran Xinquan (冉新权, 1965) et Wang Daofu (王道富), respectivement membre du conseil et géologue en chef de Pétro China. Puis en septembre, c’est le tour d’un autre lieutenant important de Zhou Yongkang d’être mis à l’arrêt : Jiang Jiemin (蒋洁敏, 1955), ex-président de CNPC (2007-2013)**. Le 11 juin 2015, Zhou Yongkang est condamné à la prison à vie pour « corruption, abus de pouvoir et divulgation délibérée de secrets d’État ». Avec sa famille, il aurait détourné 129 millions de yuans (plus de 16 million d’euros). Deux mois avant, un autre de ses proches était mis en examen : Wang Tianpu*** (王天普, 1962), vice-président de CNPC.

*Comme Du Keping, Su Shulin, Wang Tianpu, Jiang Jiemin, Song Lin et beaucoup d’autres dans le secteur du pétrole. Ce nombre important responsables en provenance du Shandong (dont il ne faut pas oublier Sun Zhengcai) consolide l’idée qu’il existe une « bande du Shandong » (山东帮) à l’intérieur de la faction du pétrole.
Le spectre de Zhou Yongkang est toujours présent. C’est ce que nous rappelle la récente mise en examen de Du Keping. Le fléau de la corruption clientéliste n’a toujours pas été endigué dans le secteur du pétrole. À ce titre, même le patron actuel de Sinochem, Ning Gaoning (宁高宁, 1958), originaire du Shandong*, possède des liens avec Song Lin (宋林, 1963), l’ex-président de China Resources (华润集团有限公司). Le même Song Lin qui a plaidé coupable de corruption en février 2017. Il avait été mis en examen en avril 2014 pour l’achat de mines de charbon dans le Shanxi via des prêts gouvernementaux. A la suite de Lin tombera Wang Xinming (张新明, 1963), ex-président du groupe Jinye (金业集团), surnommé le « roi du charbon du Shanxi » (山西煤炭大王) et connu aussi comme « l’homme le plus riche du Shanxi » (山西首富).
*Wang avait lui remplacé Fu Chengyu (傅成玉, 1951), président de la CNOOC de 2003 à 2011 et associé de Zhou Yongkang. Fu était venu remplacer, en 2011, Su Shulin, à la tête de Sinopec.
Le soupçon de corruption pèse même sur des responsables majeurs des entreprises pétrolières chinoises. C’est le cas depuis 2016 de l’actuel patron de CNPC, Wang Yilin (王宜林, 1956) – encore un acolyte de Zhou Yongkang, mais aussi de Xu Fushun (徐福顺, 1958), directeur adjoint de la SASAC, la puissante administration en charge de superviser les entreprises d’État. Yang Hua (杨华, 1961) est lui aussi concerné : le président de CNOOC (China National Offshore Oil Corp) aurait détourné des fonds publics pour « acheter » son réseau avec des cigarettes de luxe, des liqueurs ou des repas gastronomiques. Au final, les « changements » espérés dans les trois géants du secteur, CNPC, Sinopec et CNOOC, les « trois barils de pétrole » (三桶油), n’ont pas eu les résultats escomptés. Wang Yilin venait remplacer Zhou Jiping à la tête de CNPC ; Yang Hua reprenait le poste de Wang Yilin à la CNOOC ; quant à Wang Yupu (王玉普, 1956), il avait laissé son poste de patron de Sinopec* à Dai Houliang (戴厚良, 1964). Aujourd’hui, Wang est ministre des Situations d’urgence, un ministère crée en 2018. Or Wang Yupu et Dai Houliang sont tous deux de bonnes connaissances de Zhou Yongkang.
La « lutte anti-corruption » est donc loin d’être terminée dans les grandes entreprises d’État. En particulier dans le secteur général des ressources naturelles, dans le pétrole mais aussi le charbon, en passant par les minerais ferreux et non-ferreux. Les dernières mises en examen montrent la volonté de Xi Jinping de « nettoyer » le secteur public de l’influence des réseaux de Zhou Yongkang et de l’ex-président Jiang Zemin, qui symbolise « l’Ancien Régime ». Sauf que la corruption devient un fléau toujours plus urgent à éradiquer des des grandes firmes étatiques : les dépenses doivent être y de plus en plus limitées et les problèmes de solvabilité sont une priorité, plus que jamais.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.