Politique
Analyse

Chine : quand les manoeuvres de Xi Jinping jettent le trouble à Pékin

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
A trop vouloir façonner la Chine à son image, Xi Jinping n’est-il pas en train de se perdre ? Eliminer systématiquement ses rivaux ne donne pas toujours un pouvoir solide. Encore imperceptible, la question commence à surgir à Pékin. Fin 2016, le numéro un chinois envoie Cai Qi, l’un de ses alliés, « nettoyer » la capitale de l’influence de l’ancien président Jiang Zemin. Mais depuis, l’équipe dirigeante manque d’homogénéité. Un nouveau pouvoir local enraciné reste à former. Conséquence, Cai Qi est toujours perçu comme le patron d’une équipe de « parachutés ».
Né en 1955, Cai Qi (蔡奇) est membre du Politburo depuis 2017 et fier soldat de la bande du Zhejiang de Xi Jinping. En occtobre 2016, il est nommé maire par interim à Pékin. Son ordre de mission : procéder à « l’endiguement » de Wang Anshun (王安顺, 1957), allié de Zhou Yongkang, qui est bientôt « placardisé » au centre de recherche sur le développement du Conseil d’État. En mai 2017, Cai réussit ensuite à reprendre la capitale des mains de Guo Jinlong (郭金龙, 1947), proche de Hu Jintao, soit quelques mois avant son entrée au Politburo.
*Fu Zhenhua, (傅政华, 1955), un homme de le « zhengfa », la commission politico-légale du Parti, alors dominée par Zhou Yongkang, sera d’abord transféré au ministère de la Sécurité publique. Durant le remaniement de mars 2018, il est nommé ministre de la Justice. **Cet euphémisme fait référence aux conférences de presses données par le bureau de la lutte contre la pauvreté (扶贫办) en 2018 : « Il n’y a pas de « population bas de gamme » (低端人口) à Pékin. »
L’arrivée de Cai Qi vient perturber la vie politique de la capitale. Cai entre en fonction environ 18 mois après la nomination de Wang Xiaohong (王小洪, 1957) à la tête de la Sécurité publique de la municipalité. Allié de Xi Jinping et membre de son réseau du Fujian, Wang avait déjà mis sur la touche son prédécesseur Fu Zhenghua*, un autre allié de Zhou Yongkang. Promoteur d’un « embourgeoisement » des zones limitrophes de Pékin**, Cai Qi a largement remanié le personnel dirigeant des districts de la capitale. Depuis son arrivée à la tête de la municipalité en mai 2017, pas moins de 9 secrétaires et 11 maires de districts ont été remplacés.

Une situation précaire : aux commandes des « parachutés »

*Soit une institution qui subit les conséquences de choix antérieurs et qui demeure sur une même trajectoire du fait de ces choix, à moins d’en arriver à une étape cruciale, qui dans le cas présent serait l’arrivée de Cai. **Liu Qi (刘淇, 1942), secrétaire de Pékin de 2002 à 2012 (et membre du Politburo), allié de Jiang Zemin et en froid avec Wang Qishan. ***Jia Qinglin (贾庆林, 1940), secrétaire de Pékin de 1997 à 2002, membre du Politburo de 2002 à 2012, Jia serait davantage considéré comme un proche de Jiang Zemin.
Certes, Cai Qi possède un réseau solide dans la province du Zhejiang. Mais à Pékin, il se trouve depuis les années 2016-2017 dans une situation précaire. Et cela malgré les changements récents, dont la nomination le 30 octobre dernier de Mu Peng (穆鹏, 1966) au poste de secrétaire du district de Yanqing, à la place de Li Zhijun (李志军, 1969), un ancien secrétaire général adjoint de la muncipalité sous Wang Anshun. Ce changement est d’ailleurs assez étrange : on remplace ici un cadre âgé de 49 ans par un autre de 52 ans. Mais cela exprime parfaitement la situation de Cai : déjà dotée d’une masse de cadres, la capitale est encore figée dans une espèce de « dépendance au sentier »*. Ce qui oblige Cai à employer des responsables de « l’ancien régime », c’est-à-dire les hommes des précédents patrons du Parti à Pékin, Liu Qi** et Jia Qinling***. En parallèle, il se retrouve forcé de nommer des « parachutés » (空降), qui ont très peu de lien avec l’une ou l’autre des factions du Parti.
Voilà pourquoi la situation de Cai est des plus compliquées. Il a lui-même été, pour ainsi dire, parachuté dans un réseau complexe, en formation depuis le début des années 1990. Aujourd’hui, il dispose de peu d’alliés potentiels. Si bien qu’on le surnomme le « commandant des parachutés » (空头司令). Au final, Cai Qi a gagné peu de choses dans la majorité des remaniements à la tête des districts de Pékin. Il aura encore besoin d’une année ou deux pour bien consolider sa position dans la capitale. Pour l’instant, il rencontre encore des résistances internes, sûrement le fruit des cadres placés par ses prédécesseurs. Sans parler de la mauvaise presse que lui donnent les travaux de « rénovation » dans la métropole pékinoise.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.