Politique
Analyse

En Chine, une odeur de règlements de compte avant la double session parlementaire

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
Le 5 mars prochain débute à Pékin le grand théâtre annuel de la vie politique en Chine. Les « lianghui » en mandarin, ou « deux assemblées » : l’Assemblée nationale populaire et la Conférence consultative du peuple chinois. La chasse aux « tigres » est toujours ouverte : les derniers hauts responsables du Parti liés aux factions rivales de Xi Jinping sont toujours dans le collimateur. Le président chinois n’a pas peur de remuer de vieux dossiers pour mieux « nettoyer » le Parti des « mauvaises influences ». C’est tout le sens de la double affaire des droits miniers et des villas dans la province du Shaanxi, que nous avons déjà abordée sur Asialyst. Mais récemment cette même intrigue est devenue plus complexe, et menace toujours plus de « tigres ».
La chute de Zhao Zhengyong le 15 janvier dernier a rouvert de vieux dossiers. Celui des « droits miniers », mais aussi celui des « villas dans le Qinling ». S’est ajouté le retour impromptu de la « bande du Shaanxi du Nord » (陕北帮), dont Wei Minzhou et Jia Zhibang étaient les personnages principaux dans les années 1990-2000. La Cour suprême, par la personne de son président Zhou Qiang, a même été mise en cause dans la disparition de preuves, après les aveux de Wang Linqing (王林清, 1974) le 22 février dernier. Mais voilà, l’intrigue se corse.
*Li est aussi un vieil allié de Hu Yaobang. Il a même été secrétaire du secrétariat central de la Ligue des Jeunesses communistes en 1980 sous Han Ying (韓英, 1935), premier secrétaire de la Ligue placé par Hua Guofeng et envoyé en Mongolie-Intérieure suite au retour de Deng Xiaoping.
L’arrestation de Zhao Zhengyong a dirigé l’enquête vers trois personnages importants du régime : Lou Qinjian, gouverneur du Shaanxi de 2012 à 2016 puis secrétaire du Parti de la province entre 2016 et 2017, Yuan Chunqing (袁纯清), secrétaire du Parti de Xi’an de 2004 à 2006 et gouverneur du Shaanxi de 2006 à 2010, mais surtout Zhao Leji, le secrétaire provincial de 2007 à 2012 et l’actuel patron de la Commission centrale de discipline. Or, les soupçons se déplacent à présent également vers Li Jianguo (李建国, 1946), secrétaire du Shaanxi de 1997 à 2007. Originaire du Shandong, Li en fut le secrétaire de 2007 à 2008 et plus tard membre du Politburo (2012 à 2017). Son importance dans les réseaux du pouvoir central remonte plus loin : il fut le secrétaire particulier (mishu) de Li Ruihuan (李瑞环, 1934), membre du Politburo de 1987 à 2002 et allié de Deng Xiaoping, lorsqu’il dirigeait la municipalité de Tianjin (1987-1989)*.

Le Shaanxi « sous » Li Jianguo, au début des années 2000

*Peng est un ancien de cette « bande du Shaanxi du Nord » des années 1950, emporté comme Xi Zhongxun par l’affaire Gao Gang (1954). **À la décharge de Li Zhanshu, il quitte la province en 2003, soit au début de la présumée construction des villas. ***Li Ruihuan entre au Politburo en même temps que Jiang Zemin, en 1987, et est promu au comité permanent en 1992 (Sous Deng) afin d’aider le « jeune » Hu Jintao, tout juste arrivé du Tibet.
Li Jianguo arrive de Tianjin dans le Shaanxi en 1997. Il remplace alors An Qiyuan (安启元, 1933), lui-même remplaçant de Zhang Boxing (张勃兴, 1930), secrétaire de 1987 à 1994 et camarade du célèbre Peng Zhen (1902-1997)*. C’est sous Zhang que Jia Zhibang commence son ascension. Il est nommé secrétaire adjoint de la province en 1997 lors de l’arrivée de Li Jianguo, sous l’influence de Zhang Boxing. À la même époque, Li Zhanshu (栗战书, 1950), actuel président de l’Assemblée naitonale populaire et fidèle de Xi Jinping, est transféré du Hebei au comité permanent du Shaanxi, à présent sous la « direction » de Li Jianguo**. C’est seulement à la fin de la 9ème assemblée provinciale (1998-2002) que la faction de Jiang Zemin (jiangpai) consolide sa position au Shaanxi, sous Jia Zhibang, et non Li Jianguo, isolé, en quelque sorte, à la tête de la province. D’où vient cet isolement paradoxal ? Sans doute des liens de son mentor avec Deng Xiaoping et Hu Jintao***.
Li se retrouve alors entouré par trois personnages influents. Arrivé dans le Shaanxi en 2001, Zhao Zhengyong est un vétéran de l’Anhui, dont il dirigea la Sécurité publique. Nommé gouverneur provincial adjoint en 2002, Chen Deming (陈德铭, 1949) est lui un vétéran du Jiangsu, fief de Jiang Zemin à l’époque. Affecté dans le Shaanxi en mars 2001 pour sa première expérience en province, Yuan Chunqing (袁纯清, 1952) vient de la faction de Ligue des Jeunesses communistes, dont il fut secrétaire du secrétariat central sous Li Keqiang (1992-1997).
Ces trois hommes ont tous des affiliations différentes. Zhao Zhengyong est un homme de Zhou Yongkang. Chen Deming est un inconditionnel de la faction de Jiang Zemin et le neveu de Zeng Qinhong, bras droit de l’ancien président chinois. Quant à Yuan Chunqing, il est un vieil allié de Ling Jihua et du réseau de la Ligue. À la même époque, Wei Minzhou, célèbre en son temps, sera promu au rang préfectoral. Enfin, Zhao, Chen et Yuan se succéderont au gouvernement du Shaanxi pendant et bien après le départ de Jia Zhibang. Ce dernier quitte le Shaanxi en 2004, laissant derrière lui Chen Deming, Yuan Chunqing, Zhao Zhengyong et bien sûr, Wei Minzhou. Cependant, 2004 sera une année importante pour une autre raison : l’arrivée de Li Xi (李希, 1956), un allié de Xi Jinping, au comité permanent du Shaanxi. Ainsi, parce qu’il possède le plus long mandat de secrétaire provincial de l’histoire contemporaine du Shaanxi – 10 ans) -, Li Jianguo a bien connu Cheng Andong (gouverneur provincial de 1995 à 2002), Jia Zhibang (2003-2004), Chen Deming (2005-2006), Yuan Chunqing (2006-2010), Zhao Zhengyong (2011-2012) et Lou Qinjian (2013-2016). Sans oublier bien sûr des cadres sous-provinciaux comme Wei Minzhou, pour ne nommer que lui.
À l’époque, Zhao Zhengyong était pour Li Jianguo son directeur de la Sécurité publique. Il sera d’ailleurs promu rapidement au poste de vice-gouverneur et secrétaire adjoint du groupe du Parti. Ce qui pourrait faire penser que Li aurait sponsorisé Zhao. Il l’aurait d’ailleurs recommandé plusieurs fois au département de l’organisation pour des promotions. Dans le détail, le parcours de Zhao Zhengyong est instructif : il a reçu au moins deux formations universitaires intensives – en novembre 2006 à l’école centrale du Parti, et en septembre 2007 à Harvard. Sans parler de sa formation de 2002 déjà à l’école centrale du Parti pour les cadres de rang provincial, soit un an après son affectation dans le Shaanxi auprès de Li Jianguo.
*Notons aussi que le moratoire national sur la construction de villas en zone rurale protégée débute aussi vers 2003.
Par conséquent, Li Jianguo ne pouvait ignorer ni « l’affaire des villas », qui implique Zhao Zhengyong et remonte selon certains médias chinois à 2003*, ni « l’affaire des droits miniers ». Li connaissait bien Zhao ainsi que les autres membres de la faction de Jiang Zemin alors en poste au Shaanxi. Idem pour Li Xi qui était à l’époque secrétaire général, sous Li Jianguo (2004-2006) du comité permanent du Shaanxi. Or les premières plaintes déposées par Zhao Faqi de la Yulin Energy Corporation, sur les droits miniers, remontent à 2004. Durant cette période, le scandale n’est pas exposé dans les médias.

Le prochain « tigre » sur la sellette ?

C’est en 2007 que Li Jianguo retourne au Shandong, sa province d’origine, laissant la place à, dirons-nous, l’un des « princes » du Shaanxi : Zhao Leji. Cependant, avant son départ, Li nommera un bon nombre de cadres de rang préfectoral et sous-préfectoral, laissant ainsi un « cadeau empoisonné » à son successeur. Ce dernier s’en plaindra d’ailleurs au Comité central. On pense en premier à Li Tangtang (李堂堂, 1954), son secrétaire particulier (mishu) de 2002 à 2006. Ce dernier tombera aux mains de la Commission centrale de discipline en 2009. Ce ne sera pas le dernier cas de « promotion irrégulière » opérée par Li Jianguo.
*Li serait le mari de la tante de la femme de Zhang. **En huit mois, il passe de cadre « fuchu » (副处级) à cadre ‘futing » (副厅级), deux rotations qui peuvent durer jusqu’à 10 ans.
En 2008, Li Jianguo voit son neveu par alliance Zhang Hui (张辉, 1980)* promu secrétaire adjoint pour les Jeunesses communistes de la province du Shandong, devenant ainsi un cadre vice-préfectoral à seulement 28 ans**. Zhang est actuellement secrétaire de la commission des affaires politiques et légales pour la municipalité de Jining (Shandong). Parlons aussi de Li Qian (李茜, 1977), la nièce de Li Jianguo, nommée en 2009 mairesse adjointe de la ville de Kunming (Yunnan).

Règlement de compte avant la session parlementaire ?

Le système de la Sécurité publique, qui inclut notamment la Cour suprême et le ministère de la Justice, aurait quelque chose à avoir avec cette affaire. A quelques jours de la double session parlementaire (lianghui) qui débute à Pékin le 5 mars prochain, Zhou Qiang est de plus en plus pointé du doigt. Il connaissait cette affaire et semble se trouver dans une position difficile depuis les aveux de Wang Linqing sur des pots-de-vin pour faire disparaître des documents. Cela dit, le témoignage semble renvoyer toute la faute sur Wang Linqing, ce qui ne laisse pas d’interroger, surtout à l’approche des deux assemblées. Ce sacrifice pourrait viser à détourner l’attention de Zhou Qiang.
La mise en examen de Zhao Zhengyong éclabousse Li Xi et même Zhao Leji. Elle semble pourtant viser plus large que les anciens alliés de Zhou Yongkang dans le Shaanxi. Elle paraît s’attaquer directement à certains des alliés de deuxième zone de Hu Jintao dans le but de reprendre le contrôle de la zone « mythique » du Shaanbei, berceau de la « Longue marche ». Cette réouverture du dossier des villas dans la province ancestrale de Xi Jinping et de Zhao Leji n’est sans doute pas le fruit du hasard. Après avoir défait les factions dans le Liaoning, le Jilin et plusieurs autres bandes régionales, il est impératif pour Xi de reprendre le Shaanxi une bonne fois pour toute. Quitte à sortir des cadavres dans le placard pour mieux faire le ménage.
Ainsi, la mise en cause de Wang Linqing et d’autres hauts cadres du système de la Sécurité publique, dont la Cour suprême, éclabousse directement Zhou Qiang, l’un des derniers « tigres » liés à Zhou Yongkang. Le président de la Cour suprême est devenu des plus gênants à la fois pour Xi Jinping et pour l’ancien chef de la commission disciplinaire, Wang Qishan. En fait, avec Zhao Kezhi aux commandes du ministère de la Sécurité publique, il ne resterait à « déloger » que Guo Shengkun, le secrétaire de la commission politico-légale du Parti.
Pour l’heure, la situation de Li Jianguo est incertaine. Tout comme l’était celle de Zhao Zhengyong depuis mars 2018. C’est sans parler de Zhou Qiang, parfois considéré comme une « épine dans le pied » de Wang Qishan depuis 2013. À l’approche des deux assemblées, Xi Jinping et Wang Qishan essaient-ils de régler des comptes avec ces deux « tigres » de rang vice-national ? Ce serait plausible alors qu’il s’agit d’entamer maintenant l’agenda politique de 2019.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.