Politique
Fenêtre sur Corée du Sud

Une lettre de Madame la ministre de la Culture de Corée du Sud

Des journalistes prennent des notes à l'extérieur du bureau du procureur du district central alors que l'ancien secrétaire de la présidence Ahn Jong-Beom est convoqué pour être interrogé à Séoul le 2 novembre 2016. / AFP PHOTO / Ed Jones
Comme de nombreux journalistes écrivant régulièrement sur le pays des nuits agités, nous avons reçu ce courrier de Madame Cho Yoon-sun, ministre de la Culture, du Tourisme et des Sports de la République de Corée (cliquez ici pour lire la lettre).
Une ministre de la Culture qui nous écrit depuis Séoul. Chic ! Mais pourquoi faire ? L’année de la Corée en France étant terminée, on s’est pas mal interrogé… S’agit-il de nous prévenir d’une déferlante de groupes de K-pop sur la capitale française ? De la multiplication des petits pains aux haricots rouges dans les boulangeries « Paris baguette » en France ? Mais non, rien de tout cela en fait : « En tant que porte-parole du gouvernement coréen, Madame Cho souhaite mieux faire connaître aux journalistes étrangers la réalité coréenne actuelle et leur permettre, en particulier, de mieux appréhender notre situation politique et sociale du moment. »

« Maturité et sens civique des Coréens »

Comme c’est joliment amené… J’imagine, Madame la ministre, que vous voulez parler du scandale sans précédent qui agite la Corée du Sud depuis plus deux mois. J’imagine aussi que vous faîtes allusion aux millions de personnes qui se sont rassemblées dans les rues des grandes villes chaque week-end pour demander le départ de la présidente Park Geun-hye ; à cette jeunesse fatiguée des leçons de morales dispensée par une pyramide des âges vieillie, qui à mesure des années s’est transformée en champignon et dont le plat sommet a fini par asphyxier la société civile.

J’imagine que vous voulez encore évoquer ces patrons de chaebols, les conglomérats du pays soupçonnés d’être impliqués et même à la source du scandale, et venus courber l’échine devant la commission parlementaire chargée d’enquêter sur les suites du « Choi Gate ». Sans oublier évidemment le vote de destitution de la chef de l’État par le parlement la semaine dernière, sous les encouragements d’une opinion bien décidée à tourner la page du passé. 

Si vous avez pris le clavier pour nous expliquer cela, soyez rassurée, Madame la ministre, la flamme des protestataires en Corée est arrivée jusqu’à Asialyst, avant même que la première grande manifestation ne démarre. Nous avons d’ailleurs suivi pas à pas cette « révolution des bougies » et partageons volontiers avec vous ce constat autour de la « maturité et du sens civique des Coréens (…) illustrés par des manifestations pacifiques aux chandelles ».

Nous rappelions sur ce point que « comme les supporters de football sud-coréens souvent récompensés par la palme du fair-play et de la bonne conduite lors des matchs internationaux, de nombreux militants ont été salués pour leur attention à la propreté. Ils ont pensé aux banderoles et aux slogans, ils ont aussi apporté des sacs poubelles dans le cortège. Résultat comme on le voit sur la vidéo ci-dessous : des rues presque aussi nettes qu’avant le passage d’un million de manifestants ». 

Voir la vidéo time-lapse des manifestations à Séoul appelant à la démission de Park Geun-hye :

촛불집회 (7차 12.10 Version) from Oh Choong Young on Vimeo.

Artistes « blacklistés »

Nous partageons avec vous également l’idée que cette « mobilisation pacifique et citoyenne » face au scandale est la preuve d’une « énergie vibrante et pleine d’avenir pour la démocratie coréenne ». Nous sommes en revanche étonnés de ne pas vous lire sur les accusations portées par douze associations et syndicats de cameramen, réalisateurs, acteurs, producteurs à propos d’une « liste noire des artistes » qui, selon les plaignants, aurait été dressée notamment par vos services et le secrétariat de la présidence. Une liste massive qui aurait été établie en 2014 après la tragédie du Sewol.

Les plaignants parlent de 10 000 noms. Des comédiens, des réalisateurs, des producteurs blacklistés et empêchés notamment de pouvoir accéder aux aides publiques à la culture. Cette liste auraient été, toujours selon les plaignants, complétée par des politiques, dont le maire de Busan, mais aussi par des diplomates dont un ambassadeur et un ancien directeur de centre culturel basés en Europe. La commission parlementaire dira les suites qu’elle entend donner à cette plainte.

La révolution des bougies sur Asialyst

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.