Culture
Entretien

K-PHENOMEN : la Corée au cœur

Un couple se promène dans l'une des rues du quartier étudiant de Hongdae à Séoul le 20 mars 2016. (Crédits : ED JONES / AFP)
Et encore une qui est tombée dans la potion coréenne toute petite. Rédactrice en chef et fondatrice du site K-PHENOMEN.com, Gouny fait partie de cette génération de Français qui ont découvert la Corée du Sud via la K-Pop et les séries coréennes. Des précurseurs rejoints depuis par une cohorte de jeunes et de moins jeunes, boulimique de tout ce qui vient du Pays du matin calme et des soirées agitées. Il n’y pas que Gangnam Style dans la vie ! Une plus grande diffusion de la culture coréenne en France, n’empêche pas Gouny de poursuivre son travail de défricheuse. K-PHENOMEN évolue désormais vers un webzine de société, sans oublier de mettre les petits plats dans les grands et de nous donner les adresses des meilleures tables coréennes à Paris. Entretien.

Contexte

Voilà un parcours qui parlera à toutes celles et à tous ceux qui ont un jour soulevé le couvercle de la marmite coréenne pour ne plus jamais le reposer. Comme d’autres de sa génération, Gouny est une enfant de la Hallyu, la déferlante culturelle sud-coréenne qui a submergé l’Asie dans les années 90 et dont la vague s’est propagée jusqu’en Europe. Dotée d’une connaissance approfondie de la culture coréenne contemporaine complétée par des voyages sur place, la fondatrice de K-PHENOMEN propose aujourd’hui à ses lecteurs d’aller plus loin dans leur passion et dans la découverte d’une culture trop longtemps corsetée dans sa péninsule.

Une proposition qui entre en écho avec l’engouement pour tout ce qui vient de Corée du Sud, depuis les cosmétiques jusqu’aux smartphones, en passant par la culture, les écrans plats et la cuisine. Le résultat aussi d’un soft power inspiré du modèle français. On n’a pas de pétrole, mais on a des artistes… Comme la France, la Corée du Sud a su protéger son industrie culturelle. Elle a su surtout l’exporter à en faire pâlir d’envie les voisins chinois et japonais, comme en témoigne le succès de l’année de la Corée en France et malgré un certain relent de maccarthysme sous le précédent gouvernement.

Cela vaut pour la musique : pendant des années, Chung Myung-whun, l’ancien chef des orchestres de l’Opéra Bastille et de Radio France, était le seul nom coréen connu sur la scène musicale française ; aujourd’hui, le suicide d’une star de la K-Pop provoque un vif émoi jusqu’en France. Que de chemin parcouru également pour le cinéma ! La première grande rétrospective consacrée au 7ème art coréen au Centre Pompidou à Paris remonte à 1993. Dix ans plus tard, Cannes remettait son Grand prix du Jury au réalisateur Park Chan-wook, pour sa très libre adaptation du Comte de Monte-Cristo version boulottage de poulpes vivants et bagarre de rue dans un couloir.

Depuis, le vieux garçon est devenu grand. Fini le temps des salles du 5ème arrondissement à moitié pleines : le Festival du film coréen à Paris fait salles combles sur la plus belle avenue du monde ! Et si vous avez encore faim, sachez que la liste des restaurants coréens à Paris « recommandés » par Google France tient désormais sur sept pages. Les gourmets sont prêts à prendre le RER pour un bibimpap (plat roboratif coréen à base de riz et de légumes) ou à traverser la capitale française pour passer deux heures dans les files d’attente des stands « cuisine de rue » de la foire coréenne qui se tient tous les ans devant la mairie du 15ème arrondissement.

Une passion et un certain sens des affaires. Il y a deux ans, la tombola de cette même foire coréenne proposait de gagner… des nouilles instantanées ! Les lots ont évolué. Lors de la dernière édition, un aller-retour Paris-Séoul et une voiture ont été confiés au tirage au sort.

Gouny, rédactrice en chef et fondatrice de K-PHENOMEN.com (Crédits: S. Lagarde / Asialyst)
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c’était autour d’une table. Il y avait des photographes, des couturiers, des cuisiniers, des galeristes, des traducteurs… C’est le thé du commerce K-PHENOMEN ?
Gouny : Oui on parle de tout ce qui fait la richesse de la culture coréenne. J’avais envie en créant ce webzine d’être une passerelle entre la Corée du Sud et la France, deux cultures qui me sont chères. La culture coréenne est très riche et elle dépasse largement la K-pop. Ce que j’aime faire c’est réunir les gens autour de cette passion. Donc voilà, je me suis dit qu’au-delà du site, j’avais envie d’organiser des diners avec des chanteurs, des cinéastes, des journalistes… Et du coup, je t’ai rencontré c’était bien…
On se tutoie alors ?
Bien sûr…
Quelle est la ligne éditoriale de K-phenomen, sachant que le site à pas mal évolué ces derniers mois ?
D’abord, K-PHENOMEN c’est une équipe de six personnes. Pour animer ce webzine, je travaille avec des rédacteurs, des motion designers, des graphistes et des rédactrices qui font un énorme boulot. J’ai la chance d’être tombée sur des passionnées qui aiment la Corée et qui aiment écrire. La passion est notre moteur, car pour l’instant à part cas exceptionnel, on ne perçoit pas de rémunération pour nos efforts. Chacun apporte sa petite pierre à l’édifice, ce qui fait que notre menu est plutôt varié. Récemment par exemple nous avons lancé une série qui me tenait à cœur. J’ai tenu à ce qu’on parle des femmes en Corée du Sud. Nous avons par exemple écrit le portrait d’une cheffe cuistot très connue dans son pays. Nous lui avons posé des questions sur les difficultés rencontrés pendant son parcours ou sur la place des femmes en cuisine.
K-PHENOMEN fait la « promotion » de la culture coréenne, il y a aussi depuis quelques temps des articles sur la société…
Au départ, nous étions essentiellement axés sur la culture, mais on a maintenant envie d’aller plus loin. Partager une culture, c’est aussi partager ses côtés sombres. J’avais un peu l’impression en écoutant certains de mes amis, que la Corée du Sud était une sorte d’utopie. Un pays rêvé avec zéro défaut en quelque sorte, ce qui évidemment n’existe pas. Nous avons ainsi par exemple évoqué l’éducation récemment, avec un article sur le fameux « bac » coréen, le suneung. C’est l’examen d’une vie. La pression est telle que parfois elle conduit à des suicides chez les élèves. Pour revenir à la ligne éditoriale, disons que nous restons une passerelle entre les deux cultures, mais en évoluant de plus en plus vers des sujets de fond.
Combien de lecteurs et quel est le modèle économique de K-PHENOMEN ?
On a aujourd’hui un peu plus de 50 000 pages lues par mois. K-PHENOMEN est accessible gratuitement, mais je suis aussi freelance. Si une entreprise ou une marque coréenne souhaite qu’on parle d’elle, je peux écrire un article moyennant rémunération. Pareil, pour les évènements.
Tu parles d’utopie, on peut aussi parler de politesse et de grande civilité… Un de mes amis a oublié son smartphone à l’aéroport de Séoul, quelqu’un lui a renvoyé par la poste !?
C’est effectivement l’une des premières choses dont on prend conscience et je comprends que cela étonne quand on débarque en Corée. La première fois que j’ai mis les pieds dans ce pays, ça été le coup de foudre ! Les Coréens sont gentils, il n’y a pas de violence ou quasiment pas. On ne voit jamais d’agression sur la voie publique. Et si vous perdez votre chemin, tout le monde cherche à vous aider. C’est en tout cas ce que j’ai vécu et ressenti là-bas. Une fois, je ne retrouvais pas le lieu de mon rendez-vous et un vieux monsieur, qui ne parlait pas l’anglais, a tout fait pour m’aider à m’orienter. Donc oui, il y a de très bons côté dans ce pays, à commencer par la cuisine. Mais après, ce n’est pas une utopie, encore une fois. Tout n’est pas rose non plus. Et comme n’importe quel pays, la Corée du Sud a aussi des défauts. J’ai été personnellement confronté au racisme par exemple. Les Coréens sont pour la plupart très accueillants, mais certains, notamment chez les plus âgés, peuvent avoir des comportements racistes. Je me souviens notamment m’être assise dans le métro à Séoul. La personne âgée à côté de moi s’est immédiatement levée. J’étais un peu choquée. Ce n’est pas non plus le pays parfait, malgré toutes les qualités dont je vous ai parlé.
C’est aussi une société qui évolue en permanence…
Et c’est ce qu’on tente de montrer sur notre webzine. A ce sujet, je vous recommande d’ailleurs un livre publié à la fin de l’année dernière. Il parle des Sud-Coréens [Les Sud-Coréens, ligne de vie d’un peuple de Frédéric Ojardias aux éditions Ateliers Henry Dougier, NDLR] et c’est un super bouquin ! On y trouve notamment le portrait d’une femme qui a créé une agence digitale. Elle raconte que pendant longtemps, il était très mal vu pour les femmes de travailler en Corée. Heureusement, les choses ont changé et aujourd’hui les Sud-Coréennes ont envie de se réaliser dans le boulot. Du coup, elles ne veulent plus se marier !
Tu aimes la cuisine coréenne et, j’allais dire, cela se sent en consultant les pages du site. K-PHENOMEN est truffé de bonnes adresses. C’est maintenant la question à 10 000 wons : quel est ton plat coréen préféré ?
Alors là, j’avoue… j’aime tout ! Mais ce que je préfère c’est la street food. On ne trouve pas cela en France. La première chose que je fais quand j’arrive en Corée du Sud, c’est de me précipiter dans les pojangmacha, des sortes de comptoirs sous des tentes dans les rues des grandes villes où on trouve par exemple les toppoki. J’adore ! Ce sont des galettes de pates de riz coupées en bâtons, comme des quenelles qui baigneraient dans une sauce pimenté. Et c’est succulent ! Comme la culture, la cuisine coréenne est très variée. Il y a la cuisine sur le pouce des petits estaminets dont je viens de vous parler, mais on a aussi la cuisine bouddhiste, la cuisine royale. Et maintenant, c’est facile de manger coréen en France. Un nouveau restaurant coréen ouvre tous les mois ou presque désormais à Paris. J’aime découvrir ces endroits, rencontrer les chefs et l’esprit qui anime leurs plats.
Peux-tu conseiller cinq adresses aux abonnés parisiens d’Asialysts ?
C’est difficile de faire un choix, mais je veux bien essayer…

Le Sweetea’s. 61, rue des Gravilliers, 75003 Paris. Le seul restaurant coréen à Paris où on peut manger des Bingsoo, le dessert à base de glace pilée.

Bistrot Mee. 5, rue d’Argenteuil, 75001 Paris. Pour tout ce qui est fusion et c’est pas cher pour le quartier.

Bap Sain. 51, rue Cambronne, 75015 Paris. C’est un semi-gastronomique avec des plats très fins et le chef est sympa.

Soon Grill. 78, rue de Tournelles, 75003 Paris. Très à la mode, avec des supers mandoo (raviolis), des japchae (vermicelles sautés). Extra.

Bekseju village. 53, boulevard Saint-Marcel, 75013 Paris. Comme son nom l’indique [le Bekseju est un alcool coréen, NDLR], on a ici l’esprit bistrot. C’est une cantine raffinée que je recommande, avec des petits plats à partager comme en Corée.

Voilà, mais il y en a beaucoup d’autres…

Gouny, rédactrice en chef de K-PHENOMEN.com (Crédits : S. Lagarde / Asialyst)
Quand as-tu découvert la culture coréenne et comment ?
J’ai plongé dans la culture coréenne grâce aux Korean dramas. Ce qu’il y a de bien avec les séries coréennes c’est qu’elles offrent une vraie immersion dans la société. Un peu comme si on y était, sans avoir jamais mis les pieds en Corée du Sud. Les dramas comme on les appellent en Corée, abordent tous les sujets qui préoccupent les Sud-Coréens dans leur vie quotidienne. Tous les secteurs de la société sont évoqués ou presque. Là encore, je trouve dommage que nos scénaristes en France ne s’en soient pas encore inspirés. J’avais 17 ans, j’habitais alors chez mes parents dans les Yvelines près de Versailles, et j’ai découvert ces séries coréennes sur Internet. Mais c’était plus que ça encore une fois, j’ai vraiment découvert un pays ! Mon premier drama c’était Full House, une série inspirée d’un manhwa [un manga coréen, NDLR] que j’ai dû voir un milliard de fois. L’avantage, c’est qu’à force de voir des séries, on apprend un peu la langue. Annyong Hasseyo ! Je disais parfois bonjour en coréen, ce qui pouvait surprendre (rires).
Vous avez aujourd’hui 29 ans, donc cela remonte à un peu plus de 10 ans… A l’époque comment a réagi votre entourage ?
Ah c’est sûr qu’à ce moment-là, la Corée était beaucoup moins connue et tout le monde me vannait. Pourquoi la Corée ? C’est loin ! Qu’est-ce qui se passe là-bas ? Aujourd’hui, la plupart des Français connaissent plus ou moins la culture coréenne. En tous cas, ils savent à peu près où le pays se trouve. Pendant longtemps, il y a eu beaucoup de confusion. Le Japon restait tendance, il y avait aussi Shanghai qui attirait les jeunes Français, mais la Corée était derrière. Et puis il y a eu le début d’un frémissement. C’est aussi à cette époque que remonte le premier concert du label SM Town à Paris, une agence d’entertainement qui emmène ses artistes en tournée. A partir de là, il y a eu tout un tas d’évènements autour de la culture coréenne et ça ne s’est plus arrêté.
On n’a pas encore parlé de K-pop… Tu étais fan des girls et des boys bands coréens j’imagine ?
Totalement fan même (rires). Ce qui est bien avec la K-pop, c’est qu’on a rapidement pu voir « en vrai » les chanteurs qu’on avait découvert sur Internet. Je me souviens du premier concert SM Town en 2011 à Paris. Je voulais voir les DBSK [Groupe sud-coréen de R’n’B également appelé les TVXQ ou Tohoshinki pour les « Dieux de l’Est » en japonais, NDLR]. C’était plein, j’étais à fond et je m’en souviens encore ! Ce phénomène s’est encore accentué avec les années. C’est un peu comme les restaurants coréens aujourd’hui, difficile de vous dire avec précision combien d’artistes coréens se produisent en concert en France. C’est vrai que c’est quelque chose de particulier, la K-Pop. On l’a vu avec le suicide de Kim Jong-hyun récemment. Les fans ont leur noms dans la « fan base », ils sont vraiment en osmose avec les artistes. Il y a vraiment un lien spécial entre les artistes et leurs fans en Corée du Sud, qu’on ne retrouve pas en Occident. En tous cas, pas avec la même intensité.
Cela fait quoi, quand on est précurseur, de voir la culture coréenne mise à toutes les sauces ou presque ?
C’est formidable, je trouve, et c’est vrai qu’on ne pensait pas que cela arriverait si vite. Il y a maintenant des tas d’évènements coréens à Paris autour des films, de la musique, de la cuisine… De mon côté, j’aimerais continuer à faire connaître cette culture au travers de K-PHENOMEN, mais aussi d’autres projets axés sur la Corée.
On peut parler de ces projets ou c’est encore secret ?
En fait, j’ai maintenant envie de créer une agence sur la Corée. Je préfère ne pas en dire plus pour l’instant, mais c’est pour cette année… Stay tune !
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.