Société
L'ASIE DU NORD-EST DANS LA PRESSE

Corée du Sud : la "révolution des bougies" est aussi une révolution médiatique

Hall d'entrée de la radio-télévision SBS à Séoul (Crédit : S. Lagarde)
Révolution citoyenne, la « révolution des bougies » en Corée du Sud est aussi une révolution de l’information. Chose rare dans un paysage médiatique d’ordinaire assez binaire, écrivions-nous le 27 octobre dernier à propos de ce vaste scandale qui a conduit à la destitution de la présidente Park Geun-hye, la quasi-unanimité des rédactions ont poussé au grand déballage. L’hallali d’une fin de règne, mais pas seulement… Dans un livre qui parait ces jours-ci à Séoul, un confrère sud-coréen raconte ce réveil des médias en Corée.
Tout part d’un simple hashtag. Le 7 octobre dernier, Kim Hyong-min, réalisateur de la chaîne SBS, pianote sur son smartphone : #AlorsChoiSoonsil -#GeuleandaeChoisoonsilun-. La question paraît anodine, elle enflamme aussitôt les réseaux sociaux. Pour le réalisateur, c’est une manière de prendre des nouvelles auprès des confrères. Où en est-on de l’affaire Choi Soon-sil ? C’est vrai ça, que devient la sulfureuse et encore mystérieuse conseillère de l’ombre de la présidente sud-coréenne, dont le nom est apparu pour la première fois dans le journal Hankyoreh le 20 septembre 2016 ?

Tablette tactile

C’est encore dans le Hankyoreh que Jeong Cheol-woon raconte les faits qu’il a minutieusement compilés pendant ces trois mois de tempête à la tête de l’État et dans les rédactions. M. Jeong travaille pour le site Media Today. Visiblement, il écrit plus vite que son ombre. Son livre qui paraît ces-jours ci en Corée du Sud s’intitule : Quand Park Geun-hye s’écroule. Il a commencé à en rédiger les premières lignes le 26 octobre dernier, après être tombé sur un article d’opinion publié dans le quotidien conservateur Choson Ilbo. Le titre de l’article qui demande la démission de Park Geun-hye, résume le sentiment d’une bonne partie de la population : « On a tellement honte ». « J’ai alors compris, explique notre confrère, que la présidence allait s’effondrer. »
Jeong Cheol-woon (Copie écran Hankyoreh)
Deux jours plus tôt, le 24 octobre 2016, JTBC réalise le premier scoop de son histoire. La jeune chaîne d’info s’était distinguée au moment du drame du Sewol, le naufrage d’un ferry en 2014 transportant 300 lycéens en voyage scolaire. Le présentateur vedette de la chaîne n’avait pu retenir ses larmes en plein journal. Cette fois, ce sont les envoyés spéciaux de la chaîne qui font parler d’eux. Ces derniers se trouvent en Allemagne. Ils découvrent dans une poubelle, une tablette tactile appartenant à la conseillère Choi Soon-sil. L’ordinateur portable contient près de… 200 discours de la présidente sud-coréenne, ainsi que des notes confidentielles. Dès lors, la machine médiatique s’emballe. La chef de l’Etat et sa confidente que la presse surnomme « Raspoutine » ne vont plus quitter les Unes. Les médias n’ont plus qu’à tirer les fils. Le scandale touche à tous les secteurs de la société.

Fin du « journalisme poubelle » ?

Cette affaire de corruption au plus haut niveau de l’État et la mobilisation de l’opinion qui s’en est suivie apparait aujourd’hui comme une rédemption pour les journalistes en Corée du Sud. Depuis la tragédie des lycéens noyés dans les eaux de l’île de Jindo deux ans plus tôt, et le cauchemar médiatique qui avait accompagné le drame, de nombreux médias ont été rangés dans la catégorie « gi re gi ». Contraction des mots « gija » (journaliste) et « sseuregi » (poubelle), le jeu de mots a souvent été utilisé sur les réseaux sociaux pour décrire une presse considérée comme aux ordres des puissants. Cette fois, il n’en est rien ! Car avant l’article du progressiste Hankyoreh en septembre, c’est dans un média proche des conservateurs que sont révélés les noms des fondations Mir et K-sport appartenant à la conseillère de l’ombre.
Porte de studio de la radio-télévision SBS à Séoul. (Crédit : S. Lagarde)

Celui qui a ouvert la boite de pandore et parlé le premier de ces fondations s’appelle Ko Yong-tae. C’est un ancien membre de l’équipe sud-coréenne de fleuret, ancien employé d’un bar de gogo-dancer et probablement ancien amant de Choi Soon-sil. Lors d’une audition publique, ce dernier expliquera que Choi lui a confié son chien à garder, qu’il a dû s’absenter de l’appartement et qu’ils se sont violemment disputés ensuite. D’où sa décision de parler aux médias et en l’occurrence à Choson TV, la chaîne du groupe détenant le quotidien conservateur Choson Ilbo. Le fait que des médias d’habitude considéré comme pro-gouvernement se retournent contre l’institution a joué un rôle d’accélérateur. En l’espace de deux mois, les rassemblements de masse et la pression de l’opinion ont fini par convaincre les députés de voter la destitution de Park Geun-hye. « Les manifestations pro-démocratique de 1987 avaient pour moteur les citoyens, estime Jeong Cheol-woon. Pour les manifestations aux chandelles aujourd’hui, le moteur ce sont les médias. »

Les autres faits du jour en Asie du Nord-Est

Japon : le crash d’Okinawa va-t-il remettre en cause la présence américaine au Japon, s’interroge le Mainichi Shimbun.

Chine : l’ancien chef du parti à Nankin condamné à 12 ans de prison pour corruption, rapporte le Straits Times.

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.