Economie
Expert - Le Poids de l'Asie

Corée du Sud : un affaiblissement préoccupant

Des manifestants portant des masques de la présidente sud-coréenne Park Geun-hye durant le rassemblement massif demandant sa démission à Seoul le 3 décembre 2016.
Des manifestants portant des masques de la présidente sud-coréenne Park Geun-hye durant le rassemblement massif demandant sa démission à Seoul le 3 décembre 2016. (Crédits : AFP PHOTO / JUNG Yeon-Je)
La crise politique affaiblit une Corée du Sud en pleine conjoncture économique morose et confrontée aux menaces du président-élu aux Etats-Unis.
Le Choigate éclate à un mauvais moment pour les chaebols, ces conglomérats diversifiés qui dominent l’économie coréenne. Il met directement en cause le groupe Lotte – quelques semaines après le suicide d’un de ses dirigeants – et Samsung, qui vient de subir un coup dur avec le rappel du Galaxy Note 7. Cette crise a relégué au second plan la faillite d’e Hanjin shipping, le plus grand armateur coréen – lié à Korean Air – dont l’impact dépasse l’économie du pays : ses 500 000 conteneurs participent au fonctionnement des chaines globales de valeur dans le monde. Les difficultés du transport maritime se répercutent sur la construction navale qui vient d’annoncer plus de 5000 licenciements.

L’économie tourne au ralenti

Ces difficultés pèsent sur la croissance qui est revenu à un rythme annuel de 2,7 % au troisième trimestre 2016. Les moteurs de l’économie tournent au ralenti. La consommation est freinée par l’endettement élevé des ménages qui est une conséquence indirecte du vieillissement. En effet, souvent forcés de partir à la retraite avant l’âge légal, les salariés empruntent pour créer une affaire et améliorer ainsi l’ordinaire de leur retraite : le taux de réversion moyen est seulement d’un tiers et la moitié des seniors vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Les exportations diminuent en dépit des efforts entrepris pour trouver de nouveaux marchés. Depuis l’accord de libre-échange (ALE) signé en 1999 avec le Chili, la Corée du Sud en a signé une vingtaine et elle est le seul pays à avoir ratifié des accords avec les Etats-Unis (le KorUS), l’Union Européenne (KorEU) et un ALE avec la Chine. Ces trois partenaires absorbent respectivement 20 %, 14% et 9 % des exportations coréennes en 2016. Premier fournisseur de la Chine, la Corée dégage un excédent commercial élevé dans ses échanges avec son grand voisin, et depuis la signature du KorUS, son excédent sur les Etats-Unis a doublé.

Depuis 2014, les exportations coréennes en dollars courants ont été ramenées de 572 milliards à 493 milliards de dollars en 2016 (annualisés sur la base des neuf premiers mois). Elles baissent vers le Japon où elles sont handicapées par l’érosion du yen et vers les Etats-Unis, elles restent stables vers l’UE et, après avoir presque doublé entre 2008 et 2014, elles se sont stabilisées vers la Chine. Tendance notable : elles augmentent très vite vers le Vietnam où la Corée exporte plus qu’au Japon ! Deux explications : l’impact de l’accord de libre-échange signé avec Hanoï, et l’implantation de Samsung Electronics et de ses sous-traitants qui assemblent le Galaxy – et assurent près d’un quart des exportations vietnamiennes.

La Chine et Hong Kong restent les destinations premières des exportations sud-coréennes en milliards de dollars de 2004 à 2016.
La Chine et Hong Kong restent les destinations premières des exportations sud-coréennes en milliards de dollars de 2004 à 2016.
La Corée est confrontée à la montée en gamme de l’industrie chinoise. Son excédent bilatéral est en train de fondre : il est tombé de 60 milliards de dollars en 2014 à moins de 40 milliards en 2016. En cause : la Chine fabrique un pourcentage croissant des produits qu’elle importe de Corée. Cette remontée de filières est le fait non seulement des entreprises chinoises mais aussi des filiales d’entreprises coréennes implantées en Chine. Et ce ne fut pas toujours de gaité de cœur ! Ces filiales ont parfois subi de fortes pressions du gouvernement chinois pour investir en Chine. La seule réponse pour les Coréens est de monter en gamme en investissant massivement (plus de 4 % du PIB, un record mondial) dans la R&D. Le 13ème plan quinquennal chinois prévoyant des investissements considérables dans les semi-conducteurs, la Corée redoute un renouvellement du scénario de la construction navale pour ce secteur d’excellence de son industrie. Dans le même temps, ses importations ralentissant plus vite que ses exportations, Séoul continue de dégager un excédent commercial important et un excédent courant très élevé.

La menace Trump

Faute de ne pas avoir été suffisamment réactive lorsque Tokyo a annoncé sa participation aux négociations du TPP, le Partenariat transpacifique, la Corée s’en est exclue. Les entreprises du pays redoutaient de perdre l’avantage qu’elles avaient sur leurs rivales japonaises depuis la signature du KorUS. L’enterrement du TPP par Donald Trump les a soulagées : la seule bonne nouvelle de cette élection ! En effet, outre la concurrence chinoise, les deux bêtes noires de Donald Trump sont l’ALENA (l’accord de libre-échange nord-américain) et le KorUs. Le milliardaire accuse ce traité d’avoir mis au chômage 100 000 Américains et a annoncé qu’il le dénoncerait. Dans un premier temps, cette décision serait plus dommageable aux intérêts des Etats-Unis, mais à moyen terme, elle diminuerait d’un tiers les exportations coréennes vers le marché américain à l’horizon 2021, selon le Korea Development Institute, et elle provoquerait 240 000 licenciements. Les entreprises coréennes s’inquiètent aussi des annonces de Trump à propos de l’ALENA et des importations chinoises, et cela pour deux raisons : primo, elles sont présentes dans les maquiladoras – ces filiales d’entreprises étrangères à la frontière mexicaine qui assemblent en exemption de droits de douane des biens importés destinés à être intégralement réexportés ; secundo, elles sont plus nombreuses à exporter depuis la Chine.

Donald Trump avait également indiqué qu’aussitôt élu, il dénoncerait les pays qui manipulent leur monnaie pour améliorer la compétitivité de leurs exportations. Ces menaces visaient Pékin, alors que depuis plus d’un an, la Banque de Chine intervient pour éviter la baisse, et non la hausse du yuan. Ces menaces pourraient également viser Séoul qui dégage un excédent courant plus élevé, et où la Banque de Corée est intervenue à plusieurs reprises pour limiter l’appréciation du won. Au cas où le nouveau président américain déclare que les Coréens manipulent leur monnaie, il est tenu d’engager des négociations commerciales.

Dernière menace agitée par Donald Trump, le départ des 28 500 soldats américains stationnés en Corée depuis la guerre de 1950. Il est hors de question qu’il décide d’un retrait qui bouleverserait les équilibres en Asie de l’Est. Par contre, il prépare le terrain des négociations sur la répartition de la facture entre les Etats-Unis et la Corée du Sud prévues pour 2018. Les Coréens financent 60 % des dépenses de stationnement des troupes américaines : amener leur part à 100 % augmenterait d’1,2 milliards leur facture, soit 3 % du budget coréen de la défense.

Dans les jours à venir, le Parlement coréen votera sur le sort de la présidente Park Geun-hye, dont l’éventuelle destitution devra ensuite être validée par la Cour Suprême. Dans une conjoncture aussi incertaine, l’affaiblissement de l’exécutif sud-coréen est une évolution préoccupante.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).