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L'isolement de la Corée du Sud

La présidente sud-coréenne Park Geun-hye
La présidente sud-coréenne Park Geun-hye lors d'un discours à la nation depuis la "Maison bleue", le palais présidentiel sud-coréen, le 13 janvier 2016. (Crédit : Kim Hong-Ji / POOL / AFP)
Alors que la consommation des ménages est anémique depuis deux ans, la Corée du Sud, qui avait négligé le TPP pour mieux négocier un accord de libre-échange avec la Chine, subit les conséquences du ralentissement de l’économie chinoise.

victime collatérale du ralentissement chinois

La Chine est le premier débouché des exportations de la Corée, qui dégage un excédent commercial élevé sur son voisin auquel s’ajoute le surplus des échanges de services, dont le tourisme. Quatre millions de Chinois viennent faire du shopping, se faire soigner – la Corée promeut le « tourisme médical » -, visiter les lieux de tournage des dramas, les séries télévisées coréennes, voire passer leur permis de conduire.
Evolution des exportations coréennes par rapport au même trimestre de l’année précédente.
Evolution des exportations coréennes par rapport au même trimestre de l’année précédente.
Les quelques 200 000 entreprises coréennes qui se sont implantées en Chine vendent sur ce marché, exportent vers la Corée et vers le reste du monde tout en important des pièces et composants made in Korea. Mais depuis quelques mois, le commerce avec la Chine a des faiblesses. Les exportations coréennes vers ce pays se sont régulièrement contractées et la situation s’est aggravée au début de l’année 2016 avec une baisse de 18 % vers le monde et de 21 % vers la Chine. Mesurée en won, la chute est bien plus sévère, car en un an, la monnaie coréenne s’est dépréciée de 10% par rapport au dollar américain et elle est revenue à son niveau le plus bas depuis 2009 ; le won s’est également déprécié vis-à-vis du yen. L’érosion de la monnaie coréenne renchérit le prix des produits importés, et ne suffit pas à booster les exportations coréennes. La Corée dont la croissance repose en partie sur l’exportation est confrontée au ralentissement du commerce mondial.

La dégringolade des ventes en Chine est d’autant plus vexante qu’elle survient au cours de l’année qui a suivi la signature par Park Gyun-hee et Xi Jinping d’un traité de libre-échange à l’occasion du sommet de l’APEC à Pékin (décembre 2014). Un traité très rapidement négocié par les Chinois qui étaient fort désireux d’afficher un accord avec un pays de l’OCDE. Les Sud-Coréens étaient également très intéressés par cet accord car ils espéraient qu’il servirait de référence à la négociation de l’accord de libre-échange entre la Chine, le Japon et la Corée (CJR). Ratifié par le Parlement coréen quelques mois plus tard, l’accord avec la Chine faisait espérer une intensification des échanges. Il n’en a rien été.

Erreur d’anticipation

Soucieux de sécuriser la part de marché coréenne en Chine, le gouvernement de Park Gyun-hee a fait moins d’effort en direction des Etats-Unis. Ayant signé un accord profond avec l’Union Européenne et avec les Etats-Unis – beaucoup plus que l’ALE avec la Chine qui comporte de nombreuses exceptions -, la Corée était pourtant le pays d’Asie qui semblait avoir le moins de difficulté à adhérer au Transpacific Partnership (TPP). Paradoxalement, Séoul n’a pas participé aux négociations. Pourquoi cette réticence ?

Il y a eu probablement des pressions des autorités chinoises qui perçoivent, non sans raison, le TPP comme une manœuvre américaine d’ « endiguement » de leur pays. Le gouvernement sud-coréen aurait également hésité à s’engager car en adhérant au TPP, il plaçait la Corée de facto en situation de libre-échange avec le Japon, alors qu’il voulait négocier les termes de cette situation dans le cadre trilatérale du CJR. Le gouvernement aurait aussi hésité à affronter une nouvelle fois la colère des agriculteurs qui sont vent debout contre l’ouverture du marché du riz. Il y a eu une erreur d’anticipation de l’équipe au pouvoir : le gouvernement sud-coréen a jugé que les négociations pour le TPP traîneraient en longueur et il a été surpris par l’accord obtenu en octobre 2015 – sachant bien sûr que le TPP doit encore être ratifié par le Congrès américain. Et, une fois n’est pas coutume, les Coréens ont manqué de réactivité : ils auraient dû rejoindre les négociations dès que les Japonais ont fait part de leur intention d’adhérer au TPP. Et cela d’autant plus que Tokyo souhaitait la participation de la Corée. Japonais et Coréens auraient pu faire front commun dans les négociations agricoles. Désormais, non seulement le Japon n’a plus besoin de la Corée, mais il peut aussi se montrer réticent à une future adhésion de Séoul au TPP : il a en effet repris un avantage sur la Corée du Sud dans plusieurs secteurs où Coréens et Japonais sont en concurrence frontale, comme la construction navale et l’automobile.

Ces erreurs nourrissent les critiques contre l’administration Park. Elles sont d’autant plus vives que l’opinion publique a évolué d’anti-TPP à pro-TPP. Il faut dire que les Coréens ressentent une forte frustration car depuis une quinzaine d’années, leur pays a poursuivi une politique commerciale très active de promotion d’accord de libre-échange, en signant des accords avec la quasi-totalité des pays participants au TPP, à l’exclusion du Japon.

Cette politique date de l’élection à la présidence de Kim Dae-jung en 1997. Ce dernier avait alors élargi au commerce extérieur le domaine du ministère des Affaires étrangères, qui s’est doté en 1998 d’une direction des accords de libre-échange. La Corée a négocié dès 1998 un premier ALE avec le Chili et un autre avec Singapour. En 2003, Séoul a entamé des négociations avec l’ASEAN qui ont abouti en 2007, et avec l’European Free Trade Association (Islande, Norvège, Lichtenstein et Suisse), un an plus tard. La Corée du Sud a ensuite signé avec l’Inde, la Turquie et d’autres ALE ont été conclus ou sont sur le point de l’être avec la Colombie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, le Mercosur, l’Amérique Centrale et Israël. En 2015, la Corée a signé avec le Vietnam, qui est aujourd’hui un débouché plus important pour ses exportations que le Japon. Réagissant à la normalisation des relations avec l’Iran, le gouvernement sud-coréen a envoyé une mission à Téhéran en février 2016 pour engager des discussions qui pourraient aboutir d’ici quatre ans avec un ALE entre les deux pays.

Ne participant pas à la grande manœuvre des Etats-Unis en Asie, les Coréens sont – comme les Japonais – confrontés aux ambitions géo-économiques de la Chine en Asie du Sud-Est, en Asie Centrale et en Mongolie. En effet, ces trois pays poursuivent les mêmes objectifs (accès aux marchés, accès aux ressources naturelles) et en mobilisant leur capacité de financement dans le projet de Nouvelle route de la soie (« One Belt, One Road »), les Chinois prennent un avantage.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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