Société
Expert - Le Poids de l'Asie

L’Asie face à Trump : un tigre de papier ?

Le portrait du président-élu Donald Trump sur le magazine chinois Global People, dans un kiosque à Shanghai, le 14 novembre 2016.
Le portrait du président-élu Donald Trump sur le magazine chinois Global People, dans un kiosque à Shanghai, le 14 novembre 2016. (Crédits : AFP PHOTO / JOHANNES EISELE)
La première victime de l’élection de Donald Trump a été le Partenariat transpacifique (TPP) accusé par le président-élu de favoriser la Chine. Or non seulement elle n’y adhère pas mais le perçoit comme une agression américaine ! la Maison Blanche a annoncé qu’elle renonçait à le présenter pendant les dernières semaines de Barack Obama après les élections du 8 novembre. Soit la période où le président n’est plus qu’un « lame duck », un « canard boiteux » sans pouvoir.
Marquant la faillite de la politique du « pivot » vers l’Asie, la volte-face américaine sapera durablement la position des États-Unis dans la région. Au mois d’août, à l’issue d’une rencontre avec le président Obama, le Premier ministre singapourien déclarait : « Vos partenaires, vos amis […] ont surmonté des objections politiques […] pour atteindre un accord et si, lorsqu’ils attendent au pied de l’autel, l’épouse n’arrive pas, […] certains se sentiront très blessés. » Venant après les prises de position du président philippin contre Obama et le voyage du Premier ministre malaisien à Pékin, l’échec du TPP ouvre la voie à une signature du Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) souhaité par la Chine et qui n’a pas les ambitions « au-delà des frontières » du TPP. Enfin, l’America First policy (« l’Amérique d’abord ») est une mauvaise nouvelle pour les pays asiatiques car elle signifie la reconnaissance de la prééminence de la Chine.

Guerre commerciale

Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont élu un président ouvertement opposé au libre-échange et au multilatéralisme dont ils avaient été les initiateurs. Donald Trump a promis de dénoncer les accords commerciaux signés par les États-Unis et menacé de quitter l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent et Trump devra composer avec son parti dominé par un libéral convaincu. S’agissant de politique commerciale, il dispose d’une assez grande marge de manœuvre. Au cours de ses cent premiers jours à la Maison Blanche, il accusera la Chine de manipuler sa monnaie, et il a menacé de porter à 45 % les tarifs douaniers sur les produits chinois. Une précision chiffrée qui n’apparaît cependant nulle part sur son site. Il a également annoncé qu’il imposerait les entreprises qui délocalisent, une proposition que refusera une partie des Républicains.

Accuser la Chine de manipuler le yuan et menacer d’augmenter les tarifs douaniers relève sans doute d’une stratégie de négociation. Qu’arrivera-t-il si cette menace s’avère insuffisante ? On ne peut pas écarter un scénario de guerre commerciale pouvant revêtir plusieurs formes. Soit un conflit ouvert si la Chine répond par des hausses de tarifs sur les importations américaines assorties de mesures sur les entreprises : cela provoquerait une récession et la perte de millions d’emplois dans les secteurs des biens d’équipement et les services associés. Soit un conflit asymétrique avec des pertes d’emplois plus limitées si la Chine répond par des mesures ciblées (arrêt des achats liés à l’aéronautique, de conseils aux entreprises ou des importations de soja). Soit encore un conflit de brève durée si les deux parties entament très vite des négociations. Dans tous les cas, le résultat sera « perdant-perdant » et parmi les perdants, il y aura les électeurs de Trump qui souffriront de la hausse des prix des biens de consommation.

Le solde commercial des Etats-Unis avec l'Asie entre 2000 et 2016.
Le solde commercial des Etats-Unis avec l'Asie entre 2000 et 2016.

Les pays dans la ligne de mire

Entre 2000 et 2016 (sur la base des neuf premiers mois), le déficit commercial des États-Unis avec l’Asie a été multiplié par 2,5, grimpant de 210 à 550 milliards de dollars soit plus des trois quarts du déficit américain alors que 40 % des importations proviennent d’Asie. Le déficit sino-américain est de très loin le plus important, devant celui avec le Japon, la Corée et Taïwan. Au fil des ans, ces pays ont « transféré » leur excédent vers la Chine en y délocalisant une partie de leur production. Ainsi, selon les statistiques douanières, la Chine a remplacé les Etats-Unis pour devenir le premier débouché des exportations coréennes. Par contre, si l’on mesure la valeur ajoutée incluse de ces exportations, les États-Unis restent le premier débouché de la Corée.
Alors que les importations américaines en provenance d'Asie ont augmenté de 2002 à 2016, le solde commercial américain est négatif avec tous les pays asiatiques, sauf Singapour.
Alors que les importations américaines en provenance d'Asie ont augmenté de 2002 à 2016, le solde commercial américain est négatif avec tous les pays asiatiques, sauf Singapour.
Donald Trump accuse le KorUS, l’accord de libre-échange entre la Corée du Sud et les États-Unis d’avoir détruit 100 000 emplois et veut l’abroger. Son abrogation exige un préavis de 6 mois et dans un premier temps, cette décision ne serait pas favorable aux États-Unis. En effet, la situation bilatérale retournera à ce qu’elle était avant le KorUS : les exportations américaines en Corée se verront appliquer le statut de la nation la plus favorisée, avec un tarif douanier de 8,8 %, alors que les douanes américaines appliqueront un tarif de 2 % sur les importations coréennes.

Le Vietnam est le pays dont les exportations vers les États-Unis ont progressé le plus rapidement : il accueille les entreprises qui quittent la Chine pour réduire leurs coûts et il est un tremplin des entreprises sud-coréennes : Samsung et ses sous-traitants assurent près d’un quart de ses exportations. Il devait être le principal gagnant du TPP, aussi la non ratification de ce traité est une mauvaise nouvelle. Toutefois, il en a déjà récolté une partie des fruits avec l’entrée d’investissements étrangers.

Les Philippines redoutent moins l’impact sur les échanges que le durcissement vis-à-vis de l’immigration. Plus d’un tiers des émigrés philippins vivent aux États-Unis et ils assurent un pourcentage voisin des transferts qui représentent plus de 10 points de PIB de l’archipel.

Dans son premier discours après l’élection, Donald Trump a repris les propositions de Sanders et Clinton et annoncé qu’il lancerait une politique de grands travaux. Associé aux baisses d’impôt promises, ce programme – qui devra obtenir l’aval du Congrès – aura comme conséquence une hausse de la dette américaine qu’il faudra financer. La Chine comme les autres pays asiatiques seront sans doute plus réticents à investir leurs réserves dans les bons du Trésor américain.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).