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Analyse

Chine : que reste-t-il de la "Nouvelle bande des Quatre" ?

La "Nouvelle bande des quatre" et leurs alliés constituent, selon le Parti, le groupe présumé qui a tenté de prendre le pouvoir à la place de Xi Jinping en 2012. Les "Quatre" : Zhou Yongkang (en h. à g.), Bo Xilai (en h. au centre), Xu Caihou (en bas à g.) et Ling Jihua (en bas à d.). Deux de leurs "alliés" déchus dans leur sillage : Sun Zhengcai (en bas au centre) et Guo Boxiong (en h. à d.). (Source : Asia Nikkei)
La "Nouvelle bande des quatre" et leurs alliés constituent, selon le Parti, le groupe présumé qui a tenté de prendre le pouvoir à la place de Xi Jinping en 2012. Les "Quatre" : Zhou Yongkang (en h. à g.), Bo Xilai (en h. au centre), Xu Caihou (en bas à g.) et Ling Jihua (en bas à d.). Deux de leurs "alliés" déchus dans leur sillage : Sun Zhengcai (en bas au centre) et Guo Boxiong (en h. à d.). (Source : Asia Nikkei)
Selon la doxa à Pékin, ils s’étaient ligués pour empêcher Xi Jinping de diriger la Chine. Son grand rival Bo Xilai, ancien patron du Parti à Chongqing, se serait ainsi allié avec Zhou Yongkang, tsar de la sécurité, Ling Jihua, ex-bras droit de Hu Jintao, et le général Xu Caihou, vice-président de la commission militaire centrale. La « Nouvelle bande des quatre », c’est le nom donné par la presse officielle à ce groupe présumé, qui a peu de choses en commun avec celle de la Révolution culturelle. Aujourd’hui, ses membres ont été jugés et enfermés, les uns après les autres. Mais leurs réseaux ne sont pas encore totalement éliminés, en particulier celui de Ling Jihua, ex-guerrier de la faction des Jeunesses communistes. Le récent suicide de Shen Jian, vétéran de la « bande du Jiangsu » en passe d’être arrêté, soulève des interrogations sur les « tigres » toujours en liberté. Qui sera le prochain gibier de la « lutte anti-corruption » de Xi Jinping ?
Avec la mise en examen en mai dernier de Qin Guangrong, l’ancien secrétaire du Parti du Yunnan, les choses semblent s’accélérer pour certains alliés de « l’Ancien régime », celui dominé par les réseaux de l’ex-président Jiang Zemin. Des alliés qui à l’époque n’étaient pas forcément à l’avant-poste de la scène provinciale. Comme souvent dans les purges, les proches de seconde ou de troisième zone, voire même les secrétaires particuliers (« mishu »), se font épingler en premier, histoire de nuire aux factions en coupant le mal à la racine.
*À noter, les dates divergent : il serait mort le 2, mais le corps fut retrouvé le 8.
Le 2 juin dernier, Shen Jian (沈健, 1954-2019)*, président de la conférence consultative de la ville de Nankin, s’est donné la mort. Ancien « mishu » de Luo Zhijun (罗志军, 1951), l’ex-gouverneur (2008-2010) et secrétaire provincial (2010-2016) du Jiangsu, Shen était, selon les rumeurs, sur le point d’être mis en examen. Un étau qui se referme sur Luo, lieutenant de la « bande du Jiangsu » de Jiang Zemin, n’annonce rien de bon pour lui, mais aussi pour d’autres de ses collègues, dont Qiang Wei (强卫, 1953), secrétaire du Parti du Qinghai (2007-2013) puis du Jiangxi (2013-2016), et Yuan Chunqing (袁纯清, 1952), gouverneur du Shaanxi (2007-2010), dont il fut ensuite le secrétaire provincial du Parti (2010-2014).

Le retrait de la « bande du Jiangsu »

Shen Jian est un vétéran de la région de Nankin. Retiré de la scène politique en janvier 2018, il aurait fait l’objet d’une enquête commencée il y a quelques années, après son retrait du comité permanent de la ville de Nankin en 2013. Que lui reproche-t-on ? Il aurait entretenu illégalement des maîtresses. Plus encore, Shen était connu dans les milieux politiques comme le « grand administrateur » (大管家) de Luo Zhijun, lui-même proche de Ling Jihua et de Zhou Yongkang, deux membres de la « Nouvelle bande des quatre », accusée d’avoir comploté avec Bo Xilai pour prendre le pouvoir à la place de Xi Jinping. La pression monte en janvier 2016 alors que Luo Zhijun est à présent secondé par Shi Taifeng (石泰峰, 1956), un membre de cette nouvelle élite formée d’anciens « Jeunes instruits » (« zhiqing »), envoyés naguère par Mao à la campagne. Par ailleurs, Shi était aussi l’un des camarades de classe de l’actuel Premier ministre Li Keqiang à la faculté de droit de l’Université de Pékin entre 1978 et 1982.
Pour l’instant, aucune information n’a filtré sur une potentielle affaire Shen Jian. Ni bien sûr au sujet de répercussions éventuelles sur la carrière de Luo Zhijun, sans parler de ses liens avec la famille de Ling Jihua. Cependant, le nom de He Quan (何权, 1952), gouverneur adjoint du Jiangsu de 2003 à 2013 et vice-président de la conférence consultative de 2013 à 2016, a été cité comme un indice possible. Proche de Luo Zhijun et de Shen Jian, He a quitté la scène politique en janvier 2016. Il est encore libre à ce jour. Il fut aussi l’un des proches de Wang Min (王珉, 1950), mais aussi de Chou He (仇和, 1957), deux cadres emportés par la lutte anti-corruption.
Wang Min a fait partie des instances gouvernementales du Jiangsu de 1994 à 2004. Il devient par la suite secrétaire des provinces du Jilin (2006-2009) et du Liaoning (2009-2015). Il est mis en examen en mars 2016. Considéré comme un allié de Su Rong, et membre des bandes du Jilin et du Liaoning, Wang fut aussi un membre de la clique de Luo Zhijun, en poste à Nankin dès 1995. Quant à Chou He, ce natif du Jiangsu fut aussi cadre de la province de 1996 à 2007. Il a bien connu Luo Zhijun, Shen Jian et aussi Wang Min. Il a été mis en examen en mars 2015. Il avait passé ces huit dernières années dans le Yunnan, allié à Chu Bo, mais comme bras droit de Qin Guangrong, mis en examen en mai dernier.
*Connu comme l’administrateur très apprécié de Jiang Zemin.
L’épuration de la « bande du Jiangsu » a déjà fait un certain nombre de « victimes ». Parmi elles, Li Yunfeng (李云峰, 1957), membre du comité permanent du Jiangsu de 2006 à 2016, Li Jianye (季建业, 1975), maire de Nankin de 2010 à 2013, Yang Weize (杨卫泽, 1962)*, secrétaire de Nankin de 2011 à 2015, Zhao Shaolin (赵少麟, 1946), membre du comité permanent du Jiangsu de 2000 à 2006, Li Qiang (李强, 1955), secrétaire de Lianyungang de 2011 à 2014, et Feng Yajun (冯亚军, 1966), secrétaire du district de Jianye (Nankin) de 2011 à 2014. Shen Jian échappe à la purge de l’automne 2014 durant laquelle Feng Yajun, Li Qiang et Zhao Shaolin sont épinglés.
*Hui est sans doute proche de la famille de Jiang Zemin. Il a connu sa cousine alors qu’il était en poste dans l’Anhui (1994-1999). Sa fille se serait aussi marié avec le fils de Jiang. **La fille de Wang Yang et celle de Ma Kai, tous deux vice-premiers ministres) ne sont pas revenues non plus. ***L’idée est bien entendu de minimiser la possibilité de détournements de fonds vers l’étranger.
Mais alors, reste-t-il encore beaucoup de « tigres » en liberté de cette fameuse bande ? Outre Luo Zhijun, deux responsables de premier plan sont encore libres : l’ex-vice-président Li Yuanchao, enfant du Jiangsu, secrétaire de Nankin de 2001 à 2003 puis de la province de 2002 à 2007, et l’ancien vice-premier ministre Hui Liangyu, secrétaire du Jiangsu de 1999 à 2002*. Le pouvoir central a gentiment montré la porte à Li Yuanchao en mars 2018. Pourtant, il était seulement âgé de 67 ans de non de 68, ce qui lui permettait de rester aux responsabilités selon une règle non écrite du Parti (« 7 monte, 8 descend », qishang baxia, 七上八下). Sans parler de la « passation » de la vice-présidence à Wang Qishan : Li fut tout bonnement ignoré, aucun discours de passation n’eut lieu. Et que dire de son fils, Li Haijin (李海进) ? Contrairement à la fille de Xi Jinping et celle de Li Keqiang, il n’est pas revenu en Chine en 2013** après l’annonce de Wang Qishan***.
Les choses pourraient être autrement ennuyeuses pour Hui Liangyu. Une histoire de villas sur le lac Taihu à Suzhou commence à refaire surface – l’affaire rappelle le scandale des villas de Xi’an. Plus d’une centaine de propriétés auraient ainsi été construites entre 1999 et 2002 aux frais du trésor provincial, en plus des voûtes contenant de larges sommes qui appartiendraient à certains hauts cadres. Le plus intéressant ici, c’est que cette histoire de voûtes et de « trésors » se retrouve consultable sur le Net chinois. L’histoire elle-même, qui surprend par son contenu, implique des centaines de millions de yuans.

Qiang Wei, prochain sur la liste ?

L’avenir d’un autre cadre de premier plan pourrait être menacé. Il s’agit de Qiang Wei, qui fut le chef de la police de Pékin et le secrétaire adjoint du Parti de la municipalité dans les années 1990-2000. Or tout comme Qin Guangrong, Luo Zhijun et Yuan Chunqing, Qiang Wei fait partie de ces cadres de la faction des jeunesses communistes (tuanpai) ayant « déserté » Hu Jintao et Li Keqiang pour se rapprocher de Ling Jihua et Zhou Yongkang. Mais contrairement à Qin, Luo et Yuan, Qiang était aussi de 1992 à 2007 l’un des protégés de Jia Qinglin, maire de Pékin (1996-1999) puis secrétaire du Parti de la capitale (1997-2002), et de son successeur aux deux postes, Liu Qi. Après la débâcle de Meng Xuenong, maire de la ville, lors de la crise du SRAS en 2003, c’est Wang Qishan, le beau-frère de Meng, qui fut rapatrié de Hainan pour venir gérer la crise, reléguant ainsi Qiang Wei au second plan.
Un temps bloqué par les hommes de Jiang Zemin, notamment Liu Qi, Wang Qishan ne fut officiellement nommé à la tête de la capitale qu’en 2004. Il connu aussi des tensions avec Qiang Wei. Résultat : en 2007, Qiang fut envoyé au Qinghai pour devenir secrétaire provincial du Parti et puis transféré en 2013, à la tête du Parti du Jiangxi. Il succédait ainsi à Su Rong, allié de Zeng Qinghong et de Ling Jihua. Aujourd’hui, il est difficile de dire si le « conflit de Pékin », qui emporta d’ailleurs Sun Zhengcai en juillet 2017, est clôt. Mais son association à « l’Ancien régime » et sa mauvaise relation avec Wang Qishan font de Qiang Wei une cible potentielle pour la suite de la lutte anti-corruption.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.