Politique
Analyse

Chine : la "bande mongole" et la chute de la Baoshang Bank

La Banque commerciale de Baotou ou Baoshang Bank a été mise sous la tutelle de la banque centrale en mai 2019 après la gigantesque affaire de corruption qui a fait trembler la Mongolie-Intérieure au Nord-Ouest chinois. (Source : SCMP)
La Banque commerciale de Baotou ou Baoshang Bank a été mise sous la tutelle de la banque centrale en mai 2019 après la gigantesque affaire de corruption qui a fait trembler la Mongolie-Intérieure au Nord-Ouest chinois. (Source : SCMP)
En Chine, la politique se joue en bandes. Celle de Mongolie-Intérieure est responsable de la chute d’une des plus importantes banques locales : la Baoshang ou banque commerciale de Baotou. Théâtre de la « lutte anti-corruption » de Xi Jinping, l’affaire n’est pas seulement liée à la clique de l’ancien président Jiang Zemin, le véritable objet de la purge nationale. Ses ramifications remontent à Wang Qishan, le bras droit du président.
*Connue jusqu’en 2007 comme la Banque commerciale de la ville de Baotou (包头市商业银行), la banque change de nom, mais aussi de catégorie pour devenir une banque de commerce régionale avec son siège à Baotou. **Lire le rapport N°949 de la compagnie Dagong publié le 30 octobre 2017. ***Le CAR (Capital adequacy ratio) représente, de manière générale, le « coussin » permettant à une institution bancaire d’absorber un montant raisonnable de pertes sans devenir insolvable et perdre l’argent des dépositaires. ****Voir le rapport annuel de la Baogang (Q3).
Depuis l’automne 2017, un nuage noir plane au-dessus de la Banque commerciale de Baotou*. 200 millions de yuans (environ 25 millions d’euros) s’évapore illégalement. L’histoire remonte à 2015. La dette de la banque dépasse alors les 6,5 milliards de yuans (plus de 841 millions d’euros) en prêts à haut risque (subprime). L’agence chinoise de notation Dagong avait sonné l’alarme dès 2017, surtout sur les investissements immobiliers entrepris par des filiales de Baoshang**. Ainsi, à parti de 2018, le gouvernement municipal de Baotou et la région autonome de Mongolie-Intérieure annulent des projets, causant encore plus de perte pour la banque. Alors que cette dernière annonçait un taux d’adéquation de capitaux propres (CAR)*** de 9,52 % à la fin de 2017 (taux établi à 8% par la banque centrale), elle affiche seulement 7,38 % de capital de premier tiers, au lieu de 40%****. Outre les créances douteuses, et les investissements à haut risque, la banque est mêlée à d’autres affaires, notamment celle de la corruption, mais aussi à la tristement célèbre « affaire Tomorrow Holdings » (明天系) du « disparu » Xiao Jianhua.

les « Tomorrows Holdings » et la « bande mongole »

Pour comprendre les liens qui existent entre ces deux entités, il faut remonter à la création de la banque de Baotou en décembre 1998. La ville de Baotou est dirigée par le maire Niu Yuru (牛玉儒, 1952-2004) et le secrétaire local du parti Hu Zhong (胡忠, 1944), tandis que Liu Mingzu (刘明祖, 1936) est à la tête de la région autonome. C’est d’ailleurs durant la période 1994-2001 que s’organise la relève des alliés de Liu Yunshan (en poste de 1975 à 1993).
*包头市北普实业有限公司 : Compagnie crée en 1997 qui en 1998 avait pour PDG Xiao Jianhua. **包头草原糖业 (集团) 有限责任公司, contrôlée par le groupe Xishui (西水股份), crée aussi en 1998. ***En 2003, la compagnie Huaxian y investit 15 millions de yuans et contrôle alors 6,8 % du capital.
De juillet à décembre 1998, les avoirs de la Tomorrow Holdings détenue par Xiao Jianhua sont en pleine acquisition dans la région de Baotou : investissement de 8 millions de yuans chez Baotou Beipu Industrial Ltd*, investissement de 2 millions chez Baotou Huasheng Industrial Co, création de la société Baotou Beipu Information System. Ces trois entités auront des parts importantes dans plusieurs secteurs, dont le sucre (via la Grassland Sugar Industry Co**). Plusieurs parts de ces compagnies et subsidiaires seront achetées par le groupe Huazi (包头华资实业股份公司), fondé en 1998 et dont Xiao Jinhua sera d’emblée le vice-président. La même année, Xiao investit 20 millions de yuans et prend le contrôle de 13,9 % de la Banque commerciale de Baotou***. Sans revenir en détail sur l’histoire des « Tomorrow Holdings », on se rend vite compte de l’intérêt de Xiao Jianhua pour la Mongolie-Intérieure. Pourquoi ? Parce que Xiao y possède dès avant 2001 une alliée de taille : sa femme Zhou Hongwen (周虹文, 1970), originaire de Baotou et dont la famille jouit d’importants réseaux d’influence.
*C’est sous Chu que Han passera du rang préfectoral à vice-ministériel en trois ans.
Retour sur la scène politique post-Liu Mingzu. Chu Bo (储波, 1944), surnommé le « roi des Mongoles » (蒙古王), arrive en 2001. Un scandale de corruption vient d’éclater sur la construction des nouveaux bâtiments du gouvernement de la ville de Hohhot. C’est le début du « régime d’extraction » des ressources naturelles. Sous la direction de Chu Bo, un membre clé de la clique de l’ancien président Jiang Zemin, les hommes de Liu Yunshan seront tous promus à des postes importants dans le gouvernement régional, à l’image de Ba Te’er, secrétaire de la commission régionale de discipline (1999-2008), secrétaire adjoint du parti (2001) puis président de la région par intérim dès 2008 ; de Yang Jing, secrétaire adjoint en 2003 et président de la région de 2004 à 2008 ; de Han Zhiran*, secrétaire de Hohhot en 2004 puis membre du comité permanent trois mois plus tard ; de Lian Ji, vice-président de la région en 2003 ; de Zhao Liping, directeur de la sécurité publique en 2005 et commissaire de la police armée en 2007 ; de Mo Jiancheng, secrétaire de Baotou et membre du comité permanent en 2004 ; et de Bai Xiangqun, entré au gouvernement régional dès 2003. Yang Jing sera d’ailleurs « son » président durant cette période. Il épaulera Chu qui peine à repousser les affaires de corruptions qui font surface à partir de 2005-2007.
Chu Bo se liera également d’amitié avec Xing Yun (邢云, 1952), un membre de l’élite locale à l’époque premier secrétaire de la préfecture d’Ordos (septembre à décembre 2001) puis secrétaire de la ville du minerai de fer de Baotou (2001-2006). Xing sera promu au comité permanent régional en décembre 2001 et placé à la commission politico-légale (zhengfa) de la région en 2006. Connaissant bien le terrain dans le bassin charbonnier d’Ordos et bien entendu les cadres en place, Xing deviendra un personnage-clé de l’administration de Chu Bo, surtout dans la mise en place de l’exploitation du minerai de la région, de la cession des droits de ces exploitations et des permis de construction.
Cependant, le personnage central se nomme Mo Jiancheng, le numéro deux de Su Rong, lui-même second de la bande du Jiangxi de l’ancien vice-président Zeng Qinghong. Su Rong était en poste à Baotou en 2007, lors du changement de dénomination de la banque commerciale. Il a bien connu le président du groupe, Li Zhenxi (李镇西). Mais la relation entre Mo, membre de la « bande mongole », et Su, membre important de la « clique du Jiangxi », va plus loin. Su Rong quitte le Jiangxi en décembre 2015 pour devenir représentant de la commission disciplinaire pour le ministère des Finances. Il sera en poste de décembre 2015 à août 2017, période qui suit la descente aux enfers de la Baoshang. Son rapport annuel sera d’ailleurs retardé en 2017.

La chute des « tigres » locaux

Les problèmes de la Baoshang sont intimement liés à la lutte anti-corruption menée dans la région autonome à partir de 2013. Les ennuis commencent vraiment à la chute de Yang Chenglin (杨成林), gouverneur de la banque de Mongolie-Intérieure, et de Wu Wenyuan (武文元), directeur de l’Union de crédit rural de la région autonome en 2014. Tous deux sont épinglés pour corruption et abus de pouvoir.
*Une subdivision administrative appartenant à la municipalité de Baotou. **Les mises en examen ont lieu entre août 2017 et octobre 2018.
La situation se corse avec la mise en examen de Zhao Liping en mars 2015, de Han Zhiran en juin 2015. Elle s’intensifie sous la direction de Li Jiheng, allié de Xi Jinping arrivé en poste en août 2016. La « clique de Baotou » prend un coup sur la tête lorsque Dong Wei (responsable de la bannière de Darhan Muminggan*), Mo Jiancheng et Cui Chen, directeur adjoint à l’économie et l’information, sont inculpés. Suivront Lu Zhi, le maire adjoint de Baotou, Li Zhibin, directeur adjoint à la Sécurité publique de la région autonome, Du Baojun, directeur de la sécurité publique de Baotou, Meng Jianwei, directeur adjoint de la sécurité publique de la région autonome**. D’autres « tigres » seront aussi emportés par la vague, notamment Yang Ailin, président de l’Association de crédit rural, en juillet 2018, et Xing Yun en octobre 2018.
L’ensemble de ces cadres sont accusés de corruption, d’abus de pouvoir, d’obtention illégale de permis de construction, d’extraction de ressources, en plus de tentative d’étouffer leur affaire à travers la commission politico-légale et la Sécurité publique. Dans une grande partie des cas – dans la limite des informations disponibles -, cette corruption provenait d’entités financées ou qui finançaient la Banque commerciale.
Ces turbulences, en plus des risques pris par la banque, font écho aux problèmes de la Baoshang depuis 2017 : une grande partie des facilitateurs étant en déroute, sans parler des « Tomorrow Holdings », ils empêchent les projets d’aboutir ou encore de « payer » un retour sur investissement, causant en partie la situation actuelle.

Une banque à bout de souffle et la fin du « Far West »

La banque commerciale est sous pression depuis la chute de Xiao Jianhua et bien sûr des agents gouvernementaux qui facilitaient les « cashback » (remises en argent) et les permis (« stamp for cash »). Baoshang est à présent prise en charge par la Banque centrale afin de trouver une solution à son insolvabilité – et éviter le licenciement d’environ 10 000 employés. Tous les avoirs de la Baoshang sont désormais sous la responsabilité de la Construction Bank, l’ancienne unité de travail de Wang Qishan. Reste à voir si cet ami du « régime » de Chu Bo et Mo Jiancheng sera sommé d’expliquer non seulement la chute des avoirs de la banque, mais aussi ses relations avec Xiao Jianhua.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.