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Chine : l'industrie du pétrole toujours hantée par Zhou Yongkang

Provoquée par l'explosion de deux oléoducs le 16 juillet 2010, la marée noire au large de Dalian s'est transformée en affaire de négligence grave au sein de la "faction du pétrole". (Source : National Geographic)
Provoquée par l'explosion de deux oléoducs le 16 juillet 2010, la marée noire au large de Dalian s'est transformée en affaire de négligence grave au sein de la "faction du pétrole". (Source : National Geographic)
Depuis 2015, les têtes ne cessent de tomber dans l’industrie du pétrole. Un secteur où dominait la tristement célèbre faction associée principalement à Zhou Yongkang. En déroute depuis la chute de son patron, elle est loin d’avoir été éradiquée par la lutte anti-corruption lancée par Xi Jinping. L’ancienne garde est toujours présente, tandis que le pouvoir central tente de reprendre le contrôle des compagnies pétrolières nationales. En février et mars derniers, un nouveau coup de filet a emporté une demi-douzaines de cadres.

Les associés, le pétrole et la discipline

*qui dépend du nouveau ministère de la Supervision créé en mars 2018. **防范和处理邪教问题办公室.
Les deux premiers touchés par le « nettoyage » sont He Ruilin (何瑞林, 1956), directeur général des ventes de PétroChina dans le Guangdong, et Hu Yongqing (胡永庆, 1968), directeur général adjoint de la planification chez CNPC (China National Petroleum Corporation). Ils sont mis en examen à près de 10 jours d’intervalle. He est inculpé par le département de la supervision du Hubei* pour des affaires de corruption entre 2008 et 2009. L’enquête est menée par Wang Lishan (王立山, 1961), représentant du bureau « 6.10 » spécialisé dans la lutte contre les sectes* au Hebei de 2013 à 2015. Originaire du Shandong, Wang est surtout un allié de Wang Qishan.
*Comme ses collègues Xu Fushun (徐福顺, 1958), directeur adjoint de la SASAC (2013-2018), et Yang Hua (杨华, 1961), président de CNOOC depuis 2015, Wang avait été rappelé à l’ordre en juin 2016 pour avoir abusé des ressources d’une entreprise d’État à des fins de « luxure » (achat de cigarettes et de spiritueux très dispendieux lors de banquets somptueux, par exemple). **Wang était à l’époque directeur adjoint du bureau. ***Il sera d’ailleurs responsable de la chute de trois membres importants de la « bande de Qiqihar » (Hu Fumian, Han Dongyan et Huang Yu).
Hu Yongqing a travaillé auprès de Wang Yilin (王宜林, 1956), actuel président du groupe CNPC* et allié de Zhou Yongkang, au bureau de l’administration du pétrole du Xinjiang**. Hu exerce ensuite sous la direction de Li Jing (李敬, 1927) au milieu des années 1980, lequel sera plus tard ministre adjoint du Pétrole sous Song Zhenming (宋振明, 1926-1990), un allié de la première génération de la faction du pétrole. Vers la fin des années 1990, Hu intègre ensuite l’équipe de Xie Hong (谢宏, 1935-2015), alors directeur du même bureau de l’administration du pétrole dans la région autonome. Mais Hu Yongqing passe dans le collimateur de Wang Changsong (王常松, 1962), président de la cour supérieure du Jilin de 2013 à 2016, au début de la campagne anti-corruption, qu’il aura pour mission confiée de relancer en juin 2016 dans le Heilongjiang à la demande de Wang Qishan***.
*Voir « l’événement 7.16 » lors de la marée noire près de Dalian le 16 juillet 2010, provoquée par l’explosion de deux oléoducs. **À ce titre, il existe des liens importants entre les dirigeants de Yuntian et le gouvernement provincial du Yunna. ***Zhou était un fidèle de Zhou Yongkang.
Le « coup de filet » de fevrier-mars derniers touche aussi Li Xinhua (李新华, 1953). Ce dernier se retrouve en disgrâce en 2010 pour négligence suite à la terrible marée noire issue de l’explosion de deux oléoducs dans la région de Dalian*. Li est un très proche collaborateur de Jiang Jiemin (蒋洁敏, 1955), président de la CNPC de 2011 à 2013, principal lieutenant de Zhou Yongkang, et ancien PDG du groupe Yuntian (云天化集团公司)** de 1997 à 2002. Li Xinhua était aussi considéré comme membre de la bande de Qin Guangrong (秦光荣, 1954) et du tristement célèbre Bai Enpei (白恩培, 1946), secrétaire du Qinghai (1999-2001), proche collaborateur de Zhou Yongkang, connu aussi sous le nom de « régent du Yunnan ». Li passe la fin de sa carrière (2007-2013) en tant que directeur général adjoint de la CNPC. À ce titre, il connaissait bien Wang Yongchun (王永春, 1960), autre directeur général adjoint de la CNPC (2011-2014) mis en examen en 2013, Li Hualin (李华林, 1962), directeur général adjoint de la CNPC (2013) et allié de Zhou Jiping (周吉平, 1952), PDG du groupe pétrolier de 2013 à 2015*. Li connaissait bien sûr Liao Yongyuan (廖永远, 1962), directeur général de la CNPC de 2013 à 2015, impliqué dans « l’affaire 7.16″*. Wang, Yongchun, Li Hualin et Liao Yongyuan sont tous des associés de Zhou Yongkang.
*Directement impliqué dans l’affaire de Nie Shubin (聂树斌案) en 1994, une affaire de viol non résolue et « conclue » sur l’arrestation d’un coupable présumé (Nie), exécuté une journée après son arrestation. Certains des détails sont encore disponibles sur Baidu. **A l’origine plus proche de Zhou Yongkang, Liu se rapproche de Wang Qishan et il sera nommé directeur adjoint du groupe d’enquête sur Zhou Yongkang.
Li est mis en examen le 22 mars conjointement par la CNPC et la commission disciplinaire du Sichuan dirigée par Wang Yanfei (王雁飞, 1963). Ce dernier, avant tout un vétéran du Hebei, fut le secrétaire particuler (« mishu ») de Xu Yongyue (许永跃, 1942)* entre 1993 et 1998, de Liu Jinguo (刘金国, 1955), ex-ministre adjoint de la Sécurité publique (2005-2014) et directeur de l’unité 6.10 de lutte contre les sectes (2014)**, ainsi que de Che Jun (车俊, 1955), actuel secrétaire du parti du Zhejiang et dit « proche » de Hu Jintao.

Un mois de mars mouvementé

*À noter que Wang a bien connu la première génération de la faction du pétrole, avec des figures comme Yu Qili (余秋里, 1914-1999) et Kang Shi’en (康世恩, 1915-1995, mentors de Zhou Yongkang. **Wang est le secrétaire pour la commission disciplinaire du Shaanxi. ***Remplaçant de Wang Lixin (王立新), mis en examen en septembre 2014.
Ce qui nous amène à trois arrestations à la fin mars dernier : Qu Guangxue (曲广学, 1960) le 19 mars, Ma Wenjun (马文军, 1969) le 26 mars, et Wu Hong (吴宏, 1958) le 29 mars. Le premier, Qu, est un associé de Li Xinhua. Il était responsable du travail idéologique et politique à l’intérieur de la CNPC depuis 2014. Plus impliqué dans la région de Daqing, Qu a travaillé sous la direction de Zeng Yukang (曾玉康, 1950), à la tête du bureau de l’administration du pétrole de Daqing de 2001 à 2008 et proche de la haute direction liée à « l’affaire de corruption chez CNPC » (中石油腐败案) qui débute en 2013. Zeng est également le beau-fils de Wang Jingxi (王进喜, 1923-1970), « l’homme de fer » (铁人) pionnier du secteur pétrolier dans la région Daqing dans les années 1960 . Qu est mis en examen le 19 mars par la commission de la supervision du Shaanxi, dirigée par Wang Xingning (王兴宁, 1964),* allié de Wang Qishan, ainsi que par la commission de supervision interne à la CNPC, dirigée par Xu Jiming (徐吉明)*, un ancien du Bureanu national de l’audit alors sous la supervision de Liu Jiayi (刘家义, 1956).
Ma Wenjun, lui, est un proche collègue de Hu Yongqing. Ils ont travaillé environ une décennie au bureau de l’administration du pétrole du Xinjiang. Il a aussi travaillé sou la direction de Li Jing, de Xie Hong et de Tang Jian (唐健, 1949), directeur du bureau au Xinjiang de 2000 à 2005 et une connaissance de Zhou Yongkang.
Wu Hong, directeur général du département de la construction d’oléoduc depuis 2007, avait déjà mis en examen en août 2016 et rétrogradé. En mars 2019, il est mis en examen de manière formelle par le département interne de la CNPC ainsi que par la section du Hebei, dirigée par Liu Shuang (刘爽, 1969), l’un des proches de Wang Qishan. Liu avait été choisi en 2017 pour remplacer le second de Wang, Zhou Liang (周亮, 1970), ainsi qu’en 2016 pour assister Wang en tant que directeur de l’unité de supervision des cadres de la Commission centrale disciplinaire.
Zhang Pengjiang (张鹏江, 1955) et Fu Dexin (付德新, 1954) seront tous deux mis en examen aux environs du 22 juin dernier par la commission disciplinaire de Yichun (Heilongjiang). Ils sont directement mêlés à l’exploitation du Xinjiang (champ de Dushanzi). Certes, ils demeurent des cas plus isolés car ils sont moins proches des chefs de la faction pétrolière. Mais leur inculpation révèle que la lutte anticorruption se déplace vers les bureaux parfois « oubliés » de l’Ouest chinois.
Les mises en examen énumérées ici ne représentent bien sûr qu’un aperçu de la situation. Cependant, les cadres responsables de ce coup de filet démontrent que le nettoyage de la CNPC, commencé il y a plus de cinq ans, reflète la volonté politique de Wang Qishan et de Xi Jinping d’en finir avec la clique du pétrole une fois pour toutes. Pour autant, ces arrestations, qui perturbent les opérations de la CNPC, n’annoncent pas la fin du « nettoyage », mais bien la nécessité de continuer afin de reprendre le contrôle du secteur.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.