Vie et mort de l'Etat indépendant d'Hyderabad (1947-48)
Contexte
Tout l’été – élargi maintenant à l’été indien -, Asialyst se penche sur l’histoire de quelques États d’Asie éphémères ou disparus. L’occasion de revenir sur les événements qui ont façonné les frontières du continent que l’on connaît aujourd’hui.
Si les juristes s’écharpent encore sur les contours de ce qu’est un État, ses trois critères constitutifs ont été consacrés par la Convention de Montevideo (1933) : un territoire déterminé, une population permanente, et un gouvernement exerçant une autorité effective (en fait, sa souveraineté) sur ce territoire et cette population. Si la reconnaissance diplomatique est majoritairement rejetée comme condition nécessaire à l’existence d’un État, ce dernier doit néanmoins être apte à « entrer en relation avec d’autres États », d’après cette même convention.
Les États sélectionnés pour ce dossier répondent donc à ces quatre critères – quand bien même la capacité à « entrer en relation avec d’autres États » s’avère difficilement appréciable pour les plus éphémères d’entre eux.
La naissance de l’État exalté
C’est de cette façon que l’État d’Hyderabad entre de manière triomphante dans le XXe siècle et lorsque Osman Ali Khan est intronisé 7e nizam en 1911, il paraît bien difficile de se douter qu’il sera le dernier de sa dynastie. Ses dominions sont les plus riches et les plus étendus de tous les États princiers, ce sont aussi les plus peuplés, forts de 13 millions de sujets. Le plus grand prince de l’Inde fait battre monnaie, dispose d’une armée, de son propre réseau ferré, télégraphique et postal, et exerce sur cet ensemble une domination patrimoniale et autocratique, appuyé en cela par une aristocratie foncière héréditaire.
C’est ainsi que pendant que les Indiens obtiennent toujours plus de concessions politiques de la part du Raj britannique, à Hyderabad, une crise politique s’amoncelle à l’horizon. Elle s’exprimera brutalement, exacerbée par des tensions religieuses et un malaise économique grandissant.
Hyderabad dans la tourmente
Cette destitution devait arriver plus vite que prévu. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que les Britanniques se résignent à liquider l’Empire des Indes, les Etats princiers sont invités à décider eux-mêmes de leur destinée, nouant au choix des accords avec l’Inde et le Pakistan nouvellement indépendants.
En cette fin d’année 1947, le gouvernement indien ronge donc son frein, ayant signé un « accord d’immobilisation » (standstill agreement) devant garantir l’indépendance de l’État princier pour une année supplémentaire, afin d’entamer des négociations pour parvenir à un règlement définitif de la question d’Hyderabad. La confiance manque cependant entre les parties, chacune accusant l’autre de ne pas respecter les termes de l’engagement : Delhi soupçonne Hyderabad de tout faire pour se préparer à l’indépendance, tandis qu’en retour, le nizam considère son État comme victime d’un blocus indien ayant pour but de le faire plier.
1948, après la chute
Face au refus du nizam, le gouvernement indien, fortement incité par Vallabhbhai Patel, alors ministre de l’Intérieur et en charge de l’intégration des États princiers, se décida à agir afin de mettre fin aux troubles à Hyderabad. Ce fut le déclenchement de l’opération « Polo » : le 13 septembre 1948, l’armée indienne se rend maîtresse de l’État en quelques jours, forçant le nizam à capituler et à accepter la présence d’un gouverneur militaire indien. Ces manœuvres politico-militaires ont ainsi formé le prélude à l’inéluctable accession de l’Etat à l’Union Indienne, et avec elle la fin des tensions communautaires, le retour à l’ordre et la création d’un espace politique démocratique et inclusif.
Au début des années 1950, la paix semblait être revenue sur l’ancien État princier, désormais partie intégrante de l’Union Indienne. Le prix à payer avait été élevé, cette unité retrouvée s’étant faite au prix de la destruction d’une culture composite unique, fruit de plusieurs siècles de cohabitation entre communautés. Il ne fallut que quelques années pour que ce syncrétisme unique disparaisse, emporté dans la tourmente identitaire et nationaliste qui soufflait alors sur le sous-continent.
Plus d’un demi-siècle plus tard, alors que les principaux protagonistes ont quitté la scène de l’histoire depuis fort longtemps — Nehru est mort en 1964 tandis que le nizam finira ses jours dans son palais, dépourvu de tous ses titres, en 1967 — les mémoires se délient peu à peu, autorisant un nouveau regard sur ce qui demeure à ce jour une tragédie oubliée, éclipsée par l’ombre d’une Partition au souvenir inviolable et les séquelles toujours réécrites du Cachemire.
Pour aller plus loin
Jean-Claude Rolinat, Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours, Paris : Dualpha, 2005, 506 p.
A.G. Noorani, The Destruction of Hyderabad, Hurst, 2014.
Arundhati Virmani, Atlas historique de l’Inde, Autrement, 2012.
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