Vie et mort du Royaume de Sarawak (1841-1946)
Contexte
Tout l’été, Asialyst se penche sur l’histoire de quelques États d’Asie éphémères ou disparus. L’occasion de revenir sur les événements qui ont façonné les frontières du continent que l’on connaît aujourd’hui.
Si les juristes s’écharpent encore sur les contours de ce qu’est un État, ses trois critères constitutifs ont été consacrés par la Convention de Montevideo (1933) : un territoire déterminé, une population permanente, et un gouvernement exerçant une autorité effective (en fait, sa souveraineté) sur ce territoire et cette population. Si la reconnaissance diplomatique est majoritairement rejetée comme condition nécessaire à l’existence d’un État, ce dernier doit néanmoins être apte à « entrer en relation avec d’autres États », d’après cette même convention.
Les États sélectionnés pour ce dossier répondent donc à ces quatre critères – quand bien même la capacité à « entrer en relation avec d’autres États » s’avère difficilement appréciable pour les plus éphémères d’entre eux.
Le Sarawak avant l’arrivée de James Brooke
James Brooke, le « Rajah blanc »
Le rôle de James Brooke ne s’arrêta pas là. Par la suite, le Raja Muda Hassim souhaita le conserver dans sa clientèle et lui conféra un titre lui permettant de s’établir au Sarawak et de mener des activités commerciales. Le 24 septembre 1841, il fut nommé Rajah du Sarawak par Hassim. Sa nomination fut par la suite entérinée par le Sultan Omar Ali.
Brooke de son côté maintint des rapports étroits avec les élites malaises du Sarawak afin de s’attirer le plus de partisans possibles. Il réorganisa l’administration, et en bon raja, distribua titres et apanages à ses sympathisants. Il utilisa à bon escient la culture politique malaise et instaura quatre datu à qui il donna titres, entourage et revenus.
Brooke avait un comportement situé radicalement à l’opposé de celui de la plupart des Européens. Il n’était ni brutal, ni méprisant, et était soucieux de respecter le décorum et l’étiquette chers à la culture politique malaise. Il mit un point d’honneur à cultiver les vertus « raffinées » (halus) prisées des élites malaises. Cependant, la réputation de l’Anglais ne se limitait pas aux cercles malais puisque ce dernier jouissait d’une certaine popularité auprès d’autres groupes ethniques comme les Bidayuh, Dyak et les Iban. Tout au long de son administration, Brooke se montra respectueux des coutumes locales, et pas seulement des coutumes malaises. Il abolit cependant la pratique de la réduction des têtes et de la piraterie fluviale.
Le Rajah britannique finança son expansion politique grâce aux ressources naturelles du Sarawak. Il désirait en faire une grande plaque tournante pour le commerce, à l’image de Singapour. Cependant, James Brooke fut, semble-t-il, relativement indécis sur le statut qu’il souhaitait conserver : un roitelet ou un haut fonctionnaire de l’administration coloniale britannique. Dès 1843, il envisagea une solution pour transférer ses droits à l’Angleterre et à en faire une colonie. Il envoya d’innombrables lettres à Londres dans lesquels il vantait les atouts et le potentiel du Sarawak. D’après lui, l’établissement d’une colonie à Bornéo serait une première étape dans l’extension de l’influence anglaise dans l’archipel. Il nomma Henry Wise comme ambassadeur de sa cause auprès du gouvernement. Lorsque l’Angleterre reconnut les intérêts potentiels d’une future intégration du Sarawak, James Brooke fut investi du titre de gouverneur de Labuan (1847).
Dans les années 1860, Brooke se retira en Angleterre. Un projet de cession du Sarawak à la couronne britannique fut évoqué, provoquant la fureur du neveu de Brooke – Brooke Brooke – alors à la tête de l’administration du Sarawak. Brooke Brooke annonça à son oncle qu’il s’octroyait les pleins pouvoirs et qu’il l’exclurait des affaires du pays. James s’en alarma et résolut d’écarter son neveu de la succession. Il choisit un autre de ses neveux, Charles Anthoni Johnson, comme successeur.
La succession de James Brooke et la fin du gouvernement des « Rajah Blancs »
Lorsque Charles Vyner Brooke (1917-1946) prit la succession de son père, les industries du pétrole et du caoutchouc avaient pris leur essor, ce qui lui permit de se lancer dans la modernisation des institutions du pays. Il institua le code pénal, selon le modèle anglais, en 1924. A l’instar de James et de Charles, il administrait le royaume d’une manière qui était appréciée de la population. Sous son gouvernement, les activités missionnaires chrétiennes furent interdites et les traditions locales protégées (à l’exception de la réduction des têtes). L’occupation japonaise (1941-1945) le fit fuir, ainsi que sa famille, à Sydney, en Australie.
Il revint au Sarawak en 1946 et abdiqua en juillet de la même année pour céder son trône à la couronne britannique qui en fit une colonie. L’autonomie du territoire fut accordée en juillet 1963 par l’Angleterre et la région rejoignit Malaya en septembre de la même année pour former la fédération malaysienne (Malaysia).
Pour aller plus loin
Jean-Claude Rolinat, Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours, Paris : Dualpha, 2005, 506 p.
Walker, John H., Power and Prowess: The Origins of Brooke Kingship in Sarawak, Southeast Asia Publication Series; University of Hawaii Press, 2002.
Steve Runciman, The White Rajahs. A History of Sarawak from 1841 to 1946, Cambridge University Press, 1960, 342 p.
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