Vie et mort des Républiques du Turkestan oriental (1933-1934 et 1944-1949)
Contexte
Tout l’été, Asialyst se penche sur l’histoire de quelques États d’Asie éphémères ou disparus. L’occasion de revenir sur les événements qui ont façonné les frontières du continent que l’on connaît aujourd’hui.
Si les juristes s’écharpent encore sur les contours de ce qu’est un État, ses trois critères constitutifs ont été consacrés par la Convention de Montevideo (1933) : un territoire déterminé, une population permanente, et un gouvernement exerçant une autorité effective (en fait, sa souveraineté) sur ce territoire et cette population. Si la reconnaissance diplomatique est majoritairement rejetée comme condition nécessaire à l’existence d’un État, ce dernier doit néanmoins être apte à « entrer en relation avec d’autres États », d’après cette même convention.
Les États sélectionnés pour ce dossier répondent donc à ces quatre critères – quand bien même la capacité à « entrer en relation avec d’autres États » s’avère difficilement appréciable pour les plus éphémères d’entre eux.
De marge impériale à province périphérique
Par la suite, en le dotant du statut de province en 1884, les autorités de Pékin font passer le Xinjiang d’espace-frontière à composante inaliénable du territoire chinois. Les particularismes locaux sont progressivement étouffés via la mise en place d’une administration majoritairement composée de fonctionnaires han, l’immigration encouragée de cette même ethnie, et l’assimilation des jeunes générations au détriment de l’islam. Et si la région connaît une relative accalmie les années suivantes, la chute de l’Empire mandchou et l’instauration de la République de Chine en 1911-1912 ouvrent la voie à de nouvelles tensions.
Vie et mort de la première République du Turkestan oriental
Les Ouïghours de l’ex-principauté se soulèvent contre l’autorité du gouverneur en 1931. Ils sont soutenus dans leur lutte par l’armée d’un seigneur de la guerre du Gansu, province limitrophe de Komul : Ma Zhongying (馬仲英) – qui rêve de constituer un nouvel Empire timouride. Et tandis que les oasis du bassin du Tarim se rebellent les unes après les autres dès 1932, c’est au sud du Xinjiang que s’opère un véritable tournant. La « République islamique du Turkestan oriental » – également appelée à ses débuts « République du Ouïghouristan » – est officiellement proclamée le 12 novembre 1933, avec pour capitale Kashgar. Objectif : soustraire le Xinjiang aux mains chinoises et permettre à sa population de recouvrer culture et traditions.
D’une indépendance à l’autre
Vie et mort de la seconde République du Turkestan oriental
Rapidement néanmoins, les autorités de Moscou arrivent à la même réflexion que celle nourrie une dizaine d’années auparavant, lors de la proclamation de la première République du Turkestan oriental. Elles craignent de nouveau que la dynamique indépendantiste ne déborde chez les populations turcophones d’Asie centrale. Alors, une fois signé un traité d’alliance et d’amitié avec la République de Chine en 1945, l’URSS encourage les représentants de la République du Turkestan oriental à mener des négociations avec les autorités de Chongqing (où s’est déplacé le siège du gouvernement chinois). Cela aboutit à l’armistice de 1946 prévoyant l’autonomie du Xinjiang sous réserve que la République du Turkestan oriental renonce à la sécession.
Bien que l’accord ait été rompu l’année suivante par Chiang Kaï-chek, le gouvernement de Ghulja finit par s’effondrer le 19 septembre 1949 avec l’entrée des troupes communistes chinoises au Xinjiang. Sept ans plus tard, en 1955, Pékin crée la « région autonome ouïghoure du Xinjiang ». Ce qui lui offre toute la latitude nécessaire pour mener son projet d’assimilation des peuples autochtones. Parallèlement, les espoirs de création d’une République autonome du Turkestan oriental – sur le modèle des Républiques socialistes soviétiques – s’effondrent définitivement.
Une troisième République du Turkestan oriental ?
C’est bien la crainte de Pékin : que le Xinjiang fasse sécession. Il faut dire que depuis l’assassinat de Jume Tahim, imam proche du gouvernement central en 2014, la cause autonomiste incarne une option de moins en moins crédible – et de moins et moins représentée par les forces d’opposition.
Pour aller plus loin
Jean-Claude Rolinat, Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours, Paris : Dualpha, 2005, 506 p.
Rémi Castets, « Opposition politique, nationalisme et islam chez les ouïghours du Xinjiang », Etudes du CERI, n° 110, octobre 2004.
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