Histoire

Route de la soie : retour sur un axe mythique

Chameaux et chamelier au camp de yourtes d’Adjar, sur le tracé historique de la route de la soie (Crédit : LEMAIRE STÉPHANE / HEMIS.FR /AFP)
Chameaux et chamelier au camp de yourtes d’Adjar, sur le tracé historique de la route de la soie (Crédit : LEMAIRE STÉPHANE / HEMIS.FR /AFP)
Pendant près de 2 000 ans, la route de la soie a été sur toutes les lèvres, dans toutes les bourses et de tous les échanges. Et la situation semble se répéter aujourd’hui. Plus une semaine ne passe sans que le gouvernement chinois ne fasse publiquement référence à la route de la soie, ressuscitée à travers son projet-phare « One Belt, One Road – yidai yilu ».
Dernier exemple en date : le 18 juillet, lors du 15e forum des médias internet de Chine à Zhanjiang (dans la province du Guangdong), le vice-ministre de l’Administration chinoise du Cyberespace (CAC), Ren Xianliang, a enjoint les entreprises et medias nationaux présents de développer une « route de la soie digitale », ajoutant de fait une nouvelle déclinaison (numérique) au concept déjà mobilisé pour l’économie, l’énergie, les transports, la culture et la diplomatie.
L’engouement actuel de Xi Jinping et du gouvernement chinois s’explique par l’histoire de la route la soie, axe mythique et plurimillénaire, pont caravanier jeté entre Orient et Occident.
Apparue au XIXe siècle, l’expression « route de la soie » est employée pour la première fois par le baron et géographe allemand Ferdinand von Richthofen (1833-1905) afin de désigner le faisceau historique d’itinéraires terrestres et maritimes reliant, à travers l’Asie centrale et la Perse, la Chine à la Méditerranée. Par souci d’exactitude, il faudrait donc préférer le pluriel en parlant des « routes de la soie », afin de rappeler qu’il s’agit d’un réseau quasi-tentaculaire. Quoi qu’il en soit, ces appellations se font a posteriori puisque l’on date la fréquentation de la route de la soie du IIe siècle avant J.-C. au XVIe siècle après J.-C. environ.
Carte : les faisceaux terrestres et maritimes de la route de la soie historique. Team Directory
Carte : les faisceaux terrestres et maritimes de la route de la soie historique. Team Directory

Naissance et déclin

L’ouverture de ce faisceau d’itinéraires remonte à la décision prise par l’Empereur chinois Han Wudi (156 – 87 avant J.-C.) d’envoyer une mission diplomatique à l’ouest de l’Empire, dirigée par l’officier Zhang Qian. L’objectif est alors de fonder une alliance contre les Xiongnu, un peuple de nomades conquérants menaçant la Chine à sa frontière nord. Or, Zhang Qian est rapidement fait prisonnier et ne retrouvera définitivement sa liberté que treize ans plus tard. Entre temps, ses multiples évasions lui permettent de recueillir des informations sur l’Asie centrale qu’il a en partie parcourue et sur des contrées plus lointaines qu’il n’a pu traverser. Ébloui par la profusion de richesses inconnues décrite par son officier, Han Wudi décide alors de renvoyer Zhang Qian en Asie centrale, cette fois-ci dans le but exprès d’ouvrir des itinéraires commerciaux. C’est ainsi que se développèrent progressivement les routes terrestres de la soie, couplées par des routes maritimes aux débuts de l’ère chrétienne.
La route de la soie a connu des périodes de plus ou moins forte fréquentation avant de s’éteindre progressivement au XVIe siècle. Elle fut donc empruntée pendant près de 2 000 ans par des marchands de toute l’Eurasie. Plusieurs raisons permettent d’expliquer ce déclin, comme l’ouverture de nouvelles routes maritimes entièrement sous contrôle des Européens et l’adoption d’une politique isolationniste par la dynastie Ming (1368-1644).
Durant presque deux millénaires, la route de la soie a donc constitué l’instrument d’un profond rapprochement entre Orient et Occident. La circulation des marchandises s’est en effet accompagnée d’une circulation des savoirs et des techniques (systèmes d’irrigation, fabrication du papier, imprimerie), des religions (bouddhisme depuis l’Inde, zoroastrisme depuis la Perse, christianisme nestorien depuis la Syrie) et surtout, des hommes (métissages entre voyageurs et locaux). Bien qu’elle ne se soit pas toujours opérée de manière pacifique, l’entrée en contact des différents peuples d’Eurasie a profondément influencé leur histoire et leurs cultures.
Et parce qu’il peut être difficile de se représenter la prégnance de son héritage, nous vous proposons de remonter le fil de la route de la soie depuis son point de départ, Xi’an, jusqu’à sa dernière ville-étape d’importance, Constantinople (l’actuelle Istanbul). Il faut bien garder à l’esprit que les marchands ne suivaient pas la route de bout en bout, mais se chargeaient d’en parcourir seulement une partie en se relayant à certaines villes-étapes.

Héritage et limites

L’interconnexion eurasienne assurée par la route de la soie relève donc autant du commerce et de l’économie que de la culture et de la diplomatie. Si l’on ajoute à cela l’image d’Épinal d’un itinéraire mythique, exotique et fabuleux qu’en ont la plupart des Occidentaux, la décision prise par le président chinois de ressusciter la route de la soie peut s’expliquer aisément. Il s’agit ainsi de rendre acceptable une stratégie de défense des intérêts chinois grâce à la mobilisation d’un concept historique et fédérateur, au mieux attractif, au pire inoffensif, à l’échelle de l’Eurasie. A travers ce renouveau, Xi Jinping cherche à maintenir un taux de croissance élevé via la sécurisation des flux énergétiques entrants et des flux commerciaux sortants.
Néanmoins, les nombreuses limites d’une telle entreprise apparaissent rapidement. Pour n’en citer que quelques-unes, pensons par exemple aux investissements colossaux nécessaires au développement des infrastructures de base (routes, ponts, aéroports, installations d’approvisionnement en eau et en électricité…) ; à l’instabilité d’une Asie centrale (questionnements identitaires, corruption endémique, retard économique) déjà au cœur des convoitises russes (Union eurasiatique), européennes (TRACECA) et américaines (New Silk Road Project) ; aux risques liés à la sécurité des ressortissants chinois et des infrastructures développées dans certaines zones considérées comme sensibles (vandalisme, terrorisme…) ; au comportement chinois à adopter face aux États comprenant une communauté ouïghoure (Kazakhstan, Kirghizistan) ou dont l’opinion publique se dit solidaire avec cette ethnie (Turquie) ; et plus généralement, aux modalités de mise en place encore floues d’un projet ambitieux et volontariste.
L’histoire de la route de la soie nous montre donc qu’un tel projet n’a pu prendre corps que progressivement mais quasi-naturellement à l’échelle du continent. Or, c’est une méthode diamétralement opposée que semble vouloir adopter le gouvernement de Pékin, bien plus rapide et plus dirigiste. Le développement de ces « nouvelles routes de la soie » est en effet censé s’achever pour les 100 ans de la République populaire de Chine, en 2049.

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A propos de l'auteur
Doctorant en science politique au Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI), Alexandre Gandil consacre ses recherches à la construction du politique dans le détroit de Taiwan. Anciennement doctorant associé à l'Institut de Recherche stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM, 2016-2019) puis à la fondation taïwanaise Chiang Ching-Kuo (depuis 2019), il est passé par le Dessous des cartes (Arte) avant de rejoindre la rédaction d'Asialyst. Il a été formé en chinois et en relations internationales à l'INALCO puis en géopolitique à l'IFG (Université Paris 8).
Antoine Richard est rédacteur en chef adjoint d'Asialyst, en charge du participatif. Collaborateur du Petit Futé, ancien secrétaire général de l’Antenne des sciences sociales et des Ateliers doctoraux à Pékin, voyage et écrit sur la Chine et l’Asie depuis 10 ans.