Chine : "Routes de la soie", une entreprise risquée
Or une fois l’impulsion politique donnée au plus haut niveau, il restait à l’administration, aux entreprises et aux partenaires de la Chine à donner vie à l’idée. Dans tout le pays, officiels, investisseurs et universitaires tentent de se positionner pour influencer le cours du développement d’OBOR. En mars 2015, les ministères du Commerce, des Affaires étrangères et la Commission nationale pour la réforme et le développement (NDRC) rendent public un premier plan d’action, qui précise certains aspects importants d’OBOR. L’on y apprend par exemple que l’initiative comporte désormais cinq corridors terrestres, en plus du volet maritime qui connecte la mer de Chine du Sud et le Pacifique Sud à l’Océan Indien.
Une initiative encore « ouverte »
Pour l’heure, la Chine a mis en place les principaux instruments financiers pour soutenir OBOR – Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et Fonds pour la Route de la Soie. Tout indique qu’elle compte prendre son temps pour garantir le retour sur investissement de ses projets, en les étudiant dans toutes leurs dimensions. Car les enjeux sont potentiellement immenses. Comme le note une étude du Conseil Européen des Affaires Etrangères (ECFR), la zone couverte par OBOR regroupe « 55% du PNB mondial, 70% de la population mondiale et 75% des réserves d’énergie connue ».
L’exemple afghan
Nul autre pays n’illustre aussi bien cette tension que l’Afghanistan. Lors d’un récent colloque d’experts sur OBOR à l’Académie des sciences sociales de Shanghai, un participant afghan soulignait l’absence de son pays, un territoire charnière de la route de la soie historique. A l’heure où la Chine investit dans des projets de grande envergure au Pakistan pour y développer le réseau de transport et la production énergétique, quid du voisin afghan, qui manque cruellement d’infrastructures ? Ne peut-on pas imaginer à l’avenir une contribution chinoise au développement des ressources naturelles du pays ? Un train à grande vitesse à travers la mythique passe de Khyber, autrefois passage risqué pour les caravanes, aujourd’hui frontière stratégique avec les zones tribales pakistanaises ?
Certains experts chinois se retranchent derrière le risque d’attentat, trop élevé en Afghanistan pour y envisager une présence économique et humaine suffisante pour y enclencher un cercle vertueux de développement économique. D’autres rétorquent qu’il est hors de question de ne pas inclure l’Afghanistan dans OBOR, mais sans preuve à l’appui.
Nouveau dispositif au Pakistan
De toutes les zones d’ombre d’OBOR, les risques sécuritaires sont bien celle qui explique toutes les autres. La Chine ne s’implique qu’exceptionnellement dans les crises de sécurité internationale. Elle privilégie une approche centrée sur ses intérêts commerciaux, et choisit d’évacuer ses ressortissants lorsque la situation devient intenable. En dix ans, le gouvernement chinois a effectué plus d’une quinzaine d’évacuations de pays en crise, la plus importante en Libye (35 000 ressortissants) en 2011, les plus récentes au Yémen et en Iraq.
Approche musclée et ruptures sur la non-ingérence
Pour un pays dont le principe cardinal de politique étrangère est la non-ingérence, il y a là une série de ruptures importantes, toutes liées à la protection de ses ressortissants. Depuis 2013, le livre blanc de la Défense chinoise identifie la protection des « intérêts à l’étranger » du pays comme l’une des missions de l’armée, une affirmation réitérée dans la toute nouvelle loi sur la sécurité nationale. Jusqu’où la Chine peut-elle infléchir sa politique étrangère en cas de crise se répercutant sur la sécurité de ses ressortissants?
L’abandon du profil bas
Tous les observateurs de la politique étrangère chinoise le savent : son centre de gravité est en Asie Orientale, principal référent de l’identité culturelle chinoise, où se trouvent ses principaux partenaires commerciaux et ses priorités en matière de défense nationale. Elle se déploie dans une rivalité géostratégique avec les Etats-Unis, qui a tendance à se fixer sur les problèmes de sécurité de la région : Taïwan, les mers de Chine du Sud et de l’Est et la péninsule coréenne. Or, comme l’observe le professeur Wang Jisi (université de Pékin), l’un des avocats les plus influents d’un déploiement de la politique étrangère chinoise vers son grand Occident, les enjeux de sécurité en Asie Orientale asphyxient les relations entre la Chine et les Etats-Unis. Pourquoi ne pas faire diversion en prêtant davantage attention au vaste continent eurasiatique ?
Sur le plan géopolitique, OBOR apparaît comme une tentative de la Chine de déployer sa politique étrangère dans un angle mort de la rivalité sino-américaine. En prenant l’initiative au lieu de rester discrètement en retrait, Xi Jinping rompt avec les préceptes qui ont guidé la diplomatie chinoise depuis le lancement des réformes par Deng Xiaoping. Mais le risque pour la Chine tient précisément à l’abandon du profil bas, une posture qui a tant servi son image et ses intérêts dans les pays en développement. Quinze ans après le début de l’expansion internationale des entreprises chinoises, un tel profil bas a en effet contribué à éviter que ses ressortissants ne soient pris pour cible par les organisations terroristes islamistes.
Mais cette posture n’est plus tenable, et la Chine doit rechercher un nouvel équilibre entre intérêts économiques et contribution à la sécurité internationale. Les risques considérables auxquels sont déjà soumis ses ressortissants dans de nombreux points du globe ont déjà forcé Pékin à prendre des responsabilités inédites. Nul doute qu’OBOR amplifiera ce processus en redistribuant les cartes de la sécurité régionales dans la grande Asie Centrale, et en augmentant une nouvelle fois la mise pour la Chine et ses partenaires –, mais surtout pour la Chine.
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