Politique
Expert – Asie Stratégie

Les limites de la relation France-Chine

Photo de Li Keqiang et Manuel valls
Le 1er ministre français Manuel Valls prend un selfie avec son homologue chinois, Li Keqiang, lors de sa visite à Toulouse le 2 juillet 2015 (Crédit : AFP PHOTO/ REMY GABALDA).
Le Premier ministre chinois Li Keqiang a effectué fin juin, début juillet 2015 sa sixième visite sur le continent européen alors que l’intérêt de l’ensemble de la région était focalisé sur la crise grecque et l’avenir même de l’Union européenne.

Cette nouvelle crise est venue un peu plus souligner aux yeux de Pékin les limites d’un acteur européen trop peu existant sur la question de hard security ; économiquement peu performant et dont le modèle idéal, au cœur de la puissance normative de l’Union européenne, menace de voler en éclat.

Mais au-delà de ces péripéties, la relation Chine-Europe et plus encore la relation Chine-France souffre d’une asymétrie difficile à rééquilibrer. Chacun espère en l’autre ce que l’autre ne peut lui offrir et les perspectives de coopération, si elles existent, sont insuffisantes à créer une véritable complémentarité. La Chine en effet, veut plus que jamais demeurer une « grande puissance exportatrice », selon le mot de Deng Xiaoping au début des réformes. Elle a besoin de technologies et son dynamisme économique ainsi que l’attractivité à peine écornée par le ralentissement de la croissance et l’effondrement des bulles spéculatives de son marché immense lui permettent d’imposer ses conditions. La France désindustrialisée peine à trouver sa niche, même au prix de transferts de savoir-faire très couteux à long terme, contrairement à l’Allemagne, seule puissance à véritablement tirer son épingle du jeu dans ses relations avec la Chine.

Les visites de chefs d’Etat ou de gouvernement chinois en France se suivent et se ressemblent. Le quotidien anglophone Global Times – porte-parole des autorités chinoises – parle même d’un « âge d’or des relations sino-françaises ». En effet, quand les relations se tendent avec Washington et ses alliés en Asie, un petit rééquilibrage stratégique en direction de l’Europe et de la puissance française – qui garde pour elle d’être membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU à l’égal de la Chine – n’est pas malvenue.

Mais c’est l’impression de répétition qui domine, avec l’annonce de dizaines d’accords commerciaux et de coopération dont certaines, en dépit des déclarations triomphalistes, ne sont pas à la hauteur des attentes annoncées. Si, à nouveau, un contrat a été signé avec Airbus il ne porte que sur une trentaine d’appareils et de nouveaux transferts de technologie ; et non 75 avions comme initialement espéré. Et le déficit commerciale de la France avec la Chine continue de se creuser, pour atteindre 26 milliards d’euros, soit 40 % de son déficit total.

Du côté français pourtant de nombreux efforts ont été accomplis. Aujourd’hui, les visas sont accordés aux touristes chinois en moins de 48 heures alors que les procédures pour les français sont de plus en plus longues et complexes. A un autre niveau, la France, comme la quasi totalité des puissances européennes a accepté de rejoindre l’AIIB et les discours sur l’ouverture du marché français aux investisseurs chinois se font toujours plus insistants. Et cela alors que dans le même temps le climat des affaires en Chine pour les investisseurs étrangers se dégrade. Car, ce que Pékin recherche avant tout c’est une porte d’entrée à ses propres sociétés de construction, en surcapacité sur le marché chinois et à la recherche de nouveaux débouchés.

Ces débouchés, la Chine les cherche en Europe – ou ses investissements représentent moins de 3 % du total – et plus encore sur d’autres continents, en Afrique par exemple, où l’expérience de la France, les garanties de sécurité qu’elle peut offrir et une vraie connaissance du terrain sont précieuses.

Pékin met donc en avant les opportunités offertes par la mise en œuvre de projets communs sur le continent africain. Mais le risque c’est de voir Paris jouer pour Pékin le rôle de cheval de Troie et ne tirer qu’un bénéfice limité de ces coopérations triangulaires. Le risque, c’est aussi de voir se réduire un peu plus notre part de marché sur un continent dont le développement touche très directement à nos intérêts futurs. Ce sera sans doute le cas pour les lignes à grande vitesse qui pourraient enfin contribuer à construire un véritable marché africain. Ce sera le cas aussi sans doute dans l’énergie, et plus particulièrement l’énergie solaire et le nucléaire alors que la Chine – qui a pleinement bénéficié des apports technologiques de la filière française – se dit prête à exporter ses propres réacteurs de troisième génération, pour conquérir ce marché global comme elle a su le faire « avec les trains à grande vitesse ».

Enfin, la Chine a listé un certain nombre de secteurs – environnement, pharmacie, énergie ou aéronautique – prioritaires pour l’accès à de nouvelles technologies. Là aussi, le risque est grand d’aider Pékin à construire une concurrence contre laquelle il sera difficile de lutter, particulièrement sur les marchés émergents. La caractéristique de ces technologies est par ailleurs leur dualité, qui joue aussi en faveur du développement des capacités militaires chinoises dans l’aéronautique, l’espace, l’acier, le nucléaire ou l’énergie. Et c’est pourquoi, Li Keqiang lors de sa visite à Bruxelles plaide pour « de meilleures conditions destinées à faciliter les partenariats commerciaux et un équilibre « dynamique » dans le commerce bilatéral ».

En « contrepartie », La Chine « s’engage ». Consciente qu’elle était attendue sur un sujet d’importance vitale pour la présidence française, Li Keqiang a ainsi accepté de répéter ce qu’il avait déjà annoncé, avec plus d’éclat aux côtés du président Obama en 2014 : la Chine fera tout pour atteindre son pic de production de gaz à effet de serre en 2030. Et, si la RPC « soutient les efforts de la France sur le climat » elle exige « un système de gouvernance global du climat qui soit juste et raisonnable », notamment pour les pays émergents au rang desquels elle se classe pour échapper à des attentes trop importantes.

Ainsi, on sent bien qu’au-delà des déclarations, il existe des divergences majeures qui pèsent sur la solidité du partenariat stratégique franco-chinois et la réalité de la « confiance stratégique » et d’une « vision globale commune ». Contrairement à la France, la Chine s’implique peu dans la gestion des crises majeures auxquelles le monde fait face aujourd’hui, du nucléaire nord-coréen et iranien au risque terroriste en Afrique en passant par la crise syrienne ou la question ukrainienne.

Grande puissance elle-même, la Chine préfère se positionner dans un jeu triangulaire dont elle tente de tirer profit avec Moscou comme partenaire secondaire et Washington comme partenaire principal. Et dans ce cadre, plus humiliant encore pour Paris, la déclaration de Mu Chunshan, un analyste chinois reconnu, qui citant les relations entre grandes puissances que la Chine à su tisser avec certains Etats européens, oublie la France pour ne mentionner que la Grande Bretagne et l’Allemagne « qui représente la voix de l’Europe ».
Enfin, sur des questions majeures de principe, comme la liberté de circulation sur mer, les positions de la France et de la Chine divergent fondamentalement et Pékin s’agace des coopérations que la France a pu mettre en place avec les Philippines par exemple.

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A propos de l'auteur
Valérie Niquet est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et membre du comité scientifique du Conseil supérieur de la Formation et de la recherche stratégique. Traductrice de deux oeuvres majeures de la stratégie chinoise (L'Art de la guerre de Sun Zi et le Traité militaire de Sun Bin), elle est également l'auteure de nombreux articles et ouvrages consacrés aux relations internationales et aux questions stratégiques en Asie. Son dernier ouvrage s’intitule : Chine-Japon, l’affrontement (Editions Perrin, 2006).
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