Politique

Coronavirus : entre Pékin et Washington, la "guerre des mots" ne profite à personne

Pour Zhao Lijian, directeur adjoint de la presse au ministère chinois des Affaires étrangères, c'est l'armée américaine qui a introduit le coronavirus en Chine. (Source : Asian Nikkei Review)
Pour Zhao Lijian, directeur adjoint de la presse au ministère chinois des Affaires étrangères, c'est l'armée américaine qui a introduit le coronavirus en Chine. (Source : Asian Nikkei Review)
Dans la crise du coronavirus, la Chine est plus que jamais sur le banc des accusés. La critique la plus fréquente dénonce la manière dont le Parti tente d’étouffer l’épidémie de coronavirus depuis le début et la façon dont il fausse les chiffres. Pourtant les pays occidentaux sont loin d’affronter la pandémie de façon « optimale ». Ce qui poussent certains responsables du ministère chinois des Affaires étrangères à utiliser publiquement des théories du complot. D’autres parlent de la redéfinition par la Chine de la scène géopolitique après la crise sanitaire, ou encore de l’instrumentalisation de cette crise par Pékin à des fins politiques. Cependant, rien de substantiel n’a changé depuis le début de la pandémie et rien n’indique non plus de grands changements dans un futur proche. La crise du Covid-19 risque en fait de fragiliser la position de la Chine à l’extérieur comme à l’intérieur de ses frontières. Si aux yeux de certains, crise pourrait servir le pouvoir autoritaire du Parti, le coût économique d’un tel « bénéfice » est plus menaçant pour sa stabilité à long terme. Si l’économie ne redémarre pas à temps, le PCC aura besoin de beaucoup plus que des caméras et des outils de reconnaissance faciale.

Une redéfinition de la géopolitique ?

*Outre les théories qui parlent du coronavirus comme d’une arme bactériologique, du virus comme étant la création de la fondation Bill et Melinda Gates, il faut aussi ajouter une nouvelle théorie du complot : la 5G serait en fait la cause du coronavirus. **Pour certaines publications de droite, comme le National File, la Chine prélèverait les poumons des prisonniers politiques et religieux afin de les transplanter à des patients trop affaiblis par le Covid-19.
« virus chinois », « virus de Wuhan », et même « virus du Parti »… La « guerre des mots » fait rage entre la Chine et les États-Unis. Du côté de Pékin, l’offensive a lieu via Twitter le compte du désormas céléèbre Zhao Lijian (赵立坚), directeur adjoint du département de la presse au ministère depuis 2019. Zhao s’est lancé dans une tirade contre les Américains en utilisant la théorie* selon laquelle ils auraient « amené » le virus à Wuhan lors d’exercices militaires en octobre 2019. Bien entendu, ce type de rhétorique n’a fait qu’envenimer la situation, poussant ainsi le président Donald Trump à user sans vergogne du label « virus chinois »**.
À qui s’adresse ce discours ? Il s’agit d’une mauvaise idée du système chinois de la propagande, dirigé par Wang Huning et qui, au bout du compte, pourrait se retourner contre Xi. Comme dans la guerre commerciale, ce discours s’adresse principalement aux Chinois : il tente de créer de la méfiance envers les États-Unis dans le pays. Malheureusement, Zhao Lijian a réussi à gagner le soutien de plusieurs internautes chinois, en plus de faire du bruit à l’étranger. Cependant, ce discours, comme le leitmotiv « La Chine est formidable » (厉害了,我的国) employé lors de la guerre commerciale, déplait énormément en dehors de Chine.

Tensions dans la propagande à Pékin

Cela dit, Zhao parle-t-il vraiment au nom de Pékin ? Le gouvernement central n’a produit aucun commentaire, ni soutien ni condamnation. Ce qui laisse penser que Zhao doit avoir un minimum de soutien à l’intérieur du ministère. Se mettre en avant de manière aussi cavalière serait trop risqué. Cela dit, ce ne serait pas le premier « comportement voyou » en solitaire depuis 2013.
En fait, pour ceux qui y prêtent attention, ce retournement discursif est symptomatique des tensions à l’intérieur du système de la propagande sous Xi Jinping. Tensions qui depuis créent des doubles discours sur des problématiques sensibles telles que les manifestations à Hong Kong ou la guerre commerciale. Ces doubles discours embourbent la Chine à l’extérieur de ses frontières. Or vu le climat politique mondial actuel, Pékin n’a aucune raison de mettre de l’huile sur le feu, surtout dans sa relation déjà tendue avec les États-Unis. Cependant, pour les « joueurs » qui tenteraient de tenir tête à Xi dans la joute factionnelle au sein du Parti, le contexte est tout autre.
Sous un angle plus « stratégique », alors que la pandémie causera des problèmes économiques majeurs à la Chine pendant encore des mois, tenter de renverser le discours sur « l’origine » du virus peut certainement servir la légitimité du Parti, en particulier dire que le virus vient de étranger. En cette période de crise économique et sanitaire, détourner les accusations pourrait également servir à détourner les regards des lacunes du Parti pour se concentrer sur des facteurs possiblement extérieurs. Ce scénario repose sur le fait que la légitimité du Parti dépend des performances économiques du pays. Il n’est pas impossible qu’on laisse Zhao s’exprimer pour ce type de raison.

Bras croisés

En revanche, l’idée de « redéfinition de la géopolitique globale » laisse perplexe. Selon certains analysts, la Chine tenterait par le biais de son système de propagande de changer les dynamiques mondiales. On ignore toujours ce qui sera effectivement « redéfinit » et comment.
Rien n’a fondamentalement changé depuis le début de la pandémie. « Business as usual » en matière de géopolitique. Par exemple, les services de renseignements américains ont publié début avril un rapport soi-disant « explosif » sur les chiffres incorrects et les faux pas de la Chine en matière de gestion au tout début de la pandémie. En retard de trois mois, ce rapport ne souligne, dans ses grandes lignes, que des éléments évidents et prévisibles. Seul résultat obtenu : la Chine a repris l’assaut dans cette guerre des mots, désormais une constante dans les relations sino-américaines.
*Nous parlons ici de l’impréparation dans la mise en place de mesures préventives dès janvier-février au cas où le virus sortirait de Chine, sans omettre l’aide matérielle à la Chine de la part du Canada, des États-Unis ou de l’Australie.
Regardons la manière dont la Chine a mis en place ses mesures de quarantaine et d’isolement. Elles ont été reçues dans le meilleur des cas comme un beau rattrapage début février après la série d’erreurs et de mauvaises décisions en décembre et en janvier. Pendant ce temps, dans un monde pourtant hautement interconnecté et « globalisé », l’Occident, le reste du monde en fait, est demeuré les bras croisés*. Une sorte de déni accompagné de la petite musique habituelle : « Ce genre de maladie n’atteint que les Chinois ou les Asiatiques. » À présent, alors même qu’ils ont eu le temps de se préparer, les pays occidentaux ont dépassé la Chine en nombre de décès et de personnes infectées. Plusieurs de ces pays, comme le Canada et les États-Unis d’ailleurs, continuent d’avoir des problèmes à mettre en place de mesures de quarantaine ou de confinement des villes, rappelant ainsi la situation de la Chine au cours du mois de janvier. D’autres pays comme la Corée du Sud, Taïwan et même Hong Kong, étaient, au contraire, « prêts » à ce type d’éventualité, fort de leurs expériences passées des épidémies dans la région asiatique.
Désormais, certains gouvernements occidentaux – mais surtout les États-Unis – demandent à ce que la Chine admette sa culpabilité. La situation n’est pas nouvelle sur la scène internationale. Seuls les discours des deux côtés ont évolué ces dernières semaines.

L’inutilité de la « diplomatie des masques »

*Selon certain, la Chine pourrait profiter de la récession en Occident pour prendre le contrôle de plusieurs sociétés au rabais. Mais les compagnies étatiques font face à une série d’obstacles institutionnels en Chine comme à l’étranger (surtout en Europe et en Amérique du Nord).
L’aide médicale chinoise à l’Europe, ainsi qu’à d’autres pays, est souvent qualifiée de « diplomatie des masques ». Aussitôt offerte, cette aide a provoqué une levée de boucliers : quels sont les objectifs de la Chine ? Pour le site War on the Rocks, Pékin « utiliserait la pandémie afin d’exporter l’autoritarisme ». Même si ces critiques sont compréhensibles, elles impliquent que les Chinois soient en quelque sort les grands maîtres d’un jeu d’échecs mondial, mesurant et calculant chaque mouvement à la perfection. Or au contraire, l’opportunité dont la Chine profite* – aussi mince soit-elle – risque probablement de se retourner contre elle, ou, à tout le moins, être un jeu à somme nulle dans ses relations diplomatiques.
Le meilleur exemple en ce moment est l’aide chinoise à l’Italie. Le 2 avril, le sous-secrétaire italien aux Affaires étrangères Manlio Di Stefano déclarait que « tout le monde sait que l’Italie est fière d’être l’un des membres fondateurs de l’Union européenne. Nous n’avons jamais considéré de stratégique géopolitique [avec la Chine] comme une alternative à l’Union européenne. Nous pensons que le multilatéralisme est fondamental. »D’une manière assez subtile, Di Stefano expliquait en fait que l’aide de la Chine ne détournerait pas l’Italie de ses alliés européens. Rappelons que l’Italie est un maillon-clé pour la réussite des « Nouvelles Routes de la Soie », ce qui explique probablement pourquoi la Chine s’est empressée de lui offrir son aide. Une motivation que les Italiens ont bien compris.
La Chine n’a jamais bien réussi à masquer ses objectifs géopolitiques, surtout en matière de diplomatie. Dans l’environnement international actuel domine la suspicion à l’égard de la Chine, qui exporterait ses capitaux pour installer une économie de la dette et piéger les pays les plus vulnérables. Il n’est donc pas exagéré de penser que la « bonne volonté » diplomatique chinoise pour aider les États victimes de la pandémie, n’ait pas la côte en ce moment. Ainsi, la Chine doit améliorer la façon dont elle présente son aide étrangère, sinon une grande partie de ses efforts resteront vains.
Si la Chine veut vraiment améliorer sa posture diplomatique, elle devra faire plus qu’envoyer des masques et des docteurs. Par ailleurs, les rumeurs selon lesquelles des firmes chinoises se préparaient à venir rafler un marché européen en pleine crise, ne feront rien pour améliorer l’image de la Chine. Si l’Union européenne peut facilement se défendre face aux firmes chinoises grâce à de bonnes réglementations, cette menace demeure réelle dans la mesure où certains pays européens – qui se sentent trahis par Bruxelles en temps de crise – pourraient vouloir faire de l’argent en plus de se venger. Mais vu l’état de l’économie chinoise, le moment ne serait pas bien choisi pour les firmes étatiques pour se lancer dans un « assaut » tête la première sur le marché européen.
L’image et l’opinion que l’on a d’un pays mettent beaucoup de temps à se développer et à se consolider. La Chine commence à comprendre qu’elle ne saurait se « payer » une réputation en envoyant de l’aide (des masques et des docteurs) ou en étalant sa « générosité » via sa politique de prêts au développement. Pour l’heure, la Chine, qui cherche à se créer du capital politique, devrait plutôt se concentrer sur ses problèmes économiques systémiques. Car ces derniers ralentissent la reprise économique dont le Parti a tant besoin.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.