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Coronavirus : Hong Kong s’isole face à la seconde vague de contamination en Asie

Le week-end des 21 et 22 mars 2020, Hong Kong a répertorié 44 nouveaux cas e contamination au coronavirus, dont beaucoup dans le quartier festif de Lan Kwai Fong. (Source : SCMP)
Le week-end des 21 et 22 mars 2020, Hong Kong a répertorié 44 nouveaux cas e contamination au coronavirus, dont beaucoup dans le quartier festif de Lan Kwai Fong. (Source : SCMP)
Riche d’une population prompte à se mobiliser ensemble contre le coronavirus, Hong Kong est souvent citée comme modèle en matière de contrôle de l’épidémie de Covid-19. De fait, la région administrative spéciale a jusqu’ici été relativement épargnée par la pandémie avec seulement 4 décès. Mais ce vendredi 27 mars, l’ancienne colonie britannique a répertorié 65 nouvelles personnes contaminées dans les dernières vingt-quatre heures, portant le total à 615 cas confirmés depuis janvier. Ces quinze derniers jours, le nombre de malades a triplé. En début de semaine, l’exécutif hongkongais a donc durci sa politique d’isolement en interdisant l’entrée du territoire aux visiteurs venant de l’étranger.
Une drôle de sensation. Européens, nous savions une guerre imminente au devant de nous. Mais depuis le mois de janvier dernier, elle se passait ailleurs, quelque part loin de chez nous. Un virus prénommé Covid-19 était alors notre ennemi commun, mais davantage comme dans un film de science-fiction. En France, comme dans les autres pays, nous regardions cette guerre à travers nos écrans de smartphone et de télévision sans y prêter beaucoup d’attention, ou bien avec un sentiment diffus, étranger à notre quotidien. C’était encore le cas au mois de février. Aujourd’hui, ce virus est arrivé dans nos foyers et pénètre dans notre corps à nous, spectateurs, sans la moindre distinction. À notre tour d’être victimes, comme les Chinois, avec deux mois de décalage. Au moins sommes-nous égaux devant le virus.
À Hong Kong, aucun décalage de ce type : la population s’est alarmée dès les premiers temps de l’épidémie. Le gouvernement a réagi aussitôt. La première mesure publique mise en place dès le début février fut d’exiger un isolement de 14 jours pour les non-résidents et les personnes ayant transité par la Corée du Sud, et puis la mesure s’étend à toute personne revenant de Chine. Le gouvernement a obligé toutes ces personnes de communiquer un numéro de portable joignable afin de pouvoir localiser leur lieu d’isolement et de surveiller le respect du délai.
Cette politique a donné un résultat assez positif à deux titres. D’abord, la traçabilité des cas douteux a permis de maintenir l’ensemble des activités économiques sans appliquer de confinement à la chinoise. Cette mesure a eu ensuite un effet dissuasif et a réduit drastiquement les allers et retours non nécessaires des commerçants et des touristes.
Encore hanté par la tragédie du Sras en 2003, le gouvernement hongkongais a décidé dès le début de réquisitionner certains lieux de vacances éloignés du centre-ville pour isoler les personnes, et même des familles entières susceptibles d’être contaminées, en attendant le résultat du test biologique. Au moment du pic épidémique, certains logements sociaux situés au milieu de quartiers populaires ont temporairement été, eux aussi, réquisitionnés pour cet usage, ce qui a provoqué la protestation des habitants. Le gouvernement a réajusté le tir sans tarder.
Sous la pression d’une grève massive des professionnels de santé au mois de février, l’exécutif hongkongais a renforcé les contrôles aux frontières avec le continent chinois sans toutefois les fermer complètement, pour ne pas froisser le gouvernement de Pékin. Les autoritiés ont aussitôt réparti 1 400 Hongkongais venus de la province du Hubei dans des lieux d’isolation. Ces mesures ont porté leurs fruits, comme à Taiwan, si bien que le gouvernement de Hong Kong a gagné un certain crédit aux yeux de la population.
A partir du 9 février, le nombre de cas s’est stabilisé. Et pendant plus d’un mois, aucun nouveau malade. Au début du mois de mars, Hong Kong avait ainsi repris petit à petit une vie normale. Sauf les élèves et les étudiants, pour qui la reprise prévue le 20 avril a encore été repoussée à une date ultérieure.

Dorénavant la menace vient d’ailleurs

À partir du 17 mars, la donne change. Les nouveaux cas confirmés remontent en flèche. Ce 27 mars, Hong Kong dénombre ainsi 4 décès et 615 personnes infectées, âgées de 16 mois à 96 ans. Autrement dit, le nombre de personnes contaminées a triplé en dix jours.
Parmi les nouveaux cas, 70 % viennent d’Europe et d’Amérique du Nord. Parmi eux, des étudiants ou des résidents originaires de Hong Kong qui ont souhaité échapper au confinement instauré dans la plupart des pays occidentaux. Afin de rassurer la population, le département de la santé a détaillé devant la presse les derniers lieux de passage ou les itinéraires touristiques des personnes infectées – cette capacité de précision est un luxe en ce moment pour les Européens.
Pour endiguer cette nouvelle vague de ce fléau venu d’ailleurs, la cheffe de l’exécutif Carrie Lam a pris une autre mesure forte. À partir du 19 mars, toute personne arrivant sur les territoires s’est vue obligée de porter un bracelet personnalisé doté d’un QR code juste après avoir quitté l’aéroport et de se soumettre éventuellement à un contrôle médical. Les arrivants sont sous surveillance pendant au moins 14 jours à leur résidence déclarée.
À partir du 19 mars, toute personne arrivant sur les territoires s’est vue obligée de porter un bracelet personnalisé doté d’un QR code juste après avoir quitté l’aéroport et de se soumettre éventuellement à un contrôle médical. (Crédit : DR)
À partir du 19 mars, toute personne arrivant sur les territoires s’est vue obligée de porter un bracelet personnalisé doté d’un QR code juste après avoir quitté l’aéroport et de se soumettre éventuellement à un contrôle médical. (Crédit : DR)

Nouveau foyer à Lan Kwai Fong

Pour le seul le week-end du 21 et du 22 mars, 44 cas ont été déclarés. Patmi eux, plusieurs malades ayant fréquenté le quartier des boîtes de nuit Lan Kwai Fong. Carrie Lam a donc annoncé le 22 mars une nouvelle série de mesures visant à durcir les contrôles à l’aéroport. À partir du 25 mars et pour une durée de 14 jours, l’entrée des non-résidents est totalement interdite. Les passagers en transit par la Chine continentale, Macao et Taiwan, mais venant de voyager dans d’autres pays pendant au moins de 14 jours, sont eux aussi interdits d’entrer. L’aéroport international de Hong Kong doit interrompre toutes les correspondances. Le gouvernement va instaurer un nouveau décret d’interdiction de servir ou de vendre de l’alcool dans les bars et les magasins sous licence. Une décision qui aura un impact sur quelque 8 600 entreprises. Enfin, à partir de ce samedi 28 mars et pour une durée de deux semaines, les rassemblements de plus de 4 personnes ne sont plus autorisés dans les lieux publics, sauf les réunions de députés ou les mariages.
En dépit du faible bilan des morts et des malades, la population continue de critiquer la gestion de la crise par le gouvernement. De nombreux Hongkongais pensent que cette situation stable et contrôlable résulte davantage des efforts collectifs des citoyens, de leurs gestes barrières quotidiens, notamment l’usage généralisé du masque et leur conscience de la contagiosité de l’épidémie. Le port du masque – une banalité en temps normal- est devenu un acte de civisme dès le début de l’épidémie. Après une courte période de spéculation sur le prix de vente, le gouvernement a encouragé les distributions gratuites de masques aux personnes âgées ou démunies, organisées par les associations ou même par les partis politiques.
Pour donner un coup d’accélérateur à l’économie locale, le 26 février, le gouvernement a décidé une aide de 71 milliards de dollars hongkongais à la population, soit 10 000 dollars (environ 1 200 euros) par personne à partir de 18 ans, malgré le déficit budgétaire de 2019, le seul de la décennie écoulée. De quoi se réjouir après autant de perturbations politiques et sociales l’an passé. Mais les opposants pro-démocratie critiquent cette politique qui n’a qu’un seul but, selon eux : amadouer les électeurs en vue de l’élection législative au mois de septembre 2020, et éviter un nouveau Waterloo comme lors des élections des conseils de districts en novembre dernier.

La liberté retrouvée de Chan Kin-man

La crise sanitaire n’a pas éteint la contestation politique à Hong Kong. Une nouvelle qui a fait la une des journaux est bien celle de la libération de Chan Kin-man.
Le 14 mars ver 9 heures du matin, Chan Kin-man (陈健民) a quitté la prison Pik Uk située à Sai Kung après avoir purgé sa peine de 327 jours d’emprisonnement. Il avait été condamné en avril 2019 pour avoir incité à l’obstruction massive des voies publiques lors du mouvement « Occupy Central » en 2014. Ce professeur de sociologie à la retraite fait partie des 3 fondateurs de cette large contestation pour l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif, avec le chercheur en droit Benny Tai Yiu-ting et le pasteur Chu Yiu-Ming.
Ce matin du 14 mars, après avoir passé le portail de la prison, Chan a marché fermement vers les amis qui l’attendaient sur le trottoir en face. Tenant un livre de la romancière nobélisée Alice Munro, il a d’abord serré sa femme dans ses bras. Puis il a lancé aux centaines de personnes présentes : « Je veux l’élection au suffrage universel ! »
*Chan Kin-man se réfère à la version chinoise du livre du pasteur allemand Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) déporté dans le camp de concentration de Flossenbürg, en Bavière. **Traduit en français par l’auteure.
Cette liberté retrouvée contraste avec le temps du confinement. En prison, Chan a trouvé du temps pour la lecture et l’écriture. Il a lu 47 livres et en a un à finir à ce jour. Son journal intitulé Lettres et notes de Captivité (狱中书简)* est publié régulièrement dans le quotidien Apple Daily. « Emprisonné derrière ces murs et dépourvu de tout confort matériel, écrit Chan le 9 mars, quelques jours avant sa libération, cette condition me permet de lire et de réfléchir profondément, c’est une tranquillité retrouvée. »**
Spécialiste de la société civile en Chine et à Hong Kong (lire l’un de ses essais traduits dans Asialyst), Chan Kin-man s’interroge sur l’avenir de sa ville et son rôle dans cette société fracturée. « Depuis toutes ces années où j’ai participé à la société civile chinoise, celle-ci s’est fragilisée, écrit-il. Notre souhait d’obtenir deux élections au suffrage universel s’étiole de plus en plus. Il ne me reste plus rien à présent. Mais tous ces visages sincères et bienveillants que je croise sur le chemin de mon combat me redonnent de l’espoir. »
L’optimisme de Chan Kin-man fait penser à une autre femme isolée chez elle à cause du Covid-19. Fang Fang (方方), l’auteure la plus lue actuellement en Chine continentale, poursuit son journal depuis le premier jour de la quarantaine à Wuhan. « Un beau ciel, un soleil éblouissant, une sensation forte de l’été, écrit-elle de son smartphone le 18 mars. Ensoleillé, temps sec, c’est la saison idéale de l’année à Wuhan. » Le 24 mars : « 62ème jour de confinement. C’est mon 60ème post et le dernier… On annonce la fin du confinement de Wuhan le 8 avril. »
L'écrivaine Fang Fang. (方方) (Source : journal de Fang Fang)
Que fera-t-elle lorsqu’elle aura franchi le seuil de sa porte le 8 avril ? Le jour où il est revenu chez lui de la prison, Chan Kin-man a soufflé ses bougies pour fêter ses 61 ans avec sa famille. Très vite, il va se mettre à écrire.
Par Tamara Lui, avec l’aide de Patrick Cozette

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A propos de l'auteur
Originaire de Hongkong, ancienne journaliste pour deux grands médias hongkongais, Tamara s'est reconvertie dans le documentaire. Spécialisée dans les études sur l'immigration chinoise en France, elle mène actuellement des projets d'économie sociale et solidaire.