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Benny Tai Yiu-ting : sous l'emprise autoritaire, Hong Kong n'est plus la même

Professeur de droit à la Hong Kong University, Benny Tai Yiu-ting (levant le poing au centre) est jugé depuis le 19 novembre 2018 pour son rôle dans le "Mouvement des parapluies", avec huit autres organisateurs de cette manifestation massive, qui a bloqué les rues de la ville trois mois durant fin 2014 pour demander la démocratie et des élections libres. (Source : Fox 19)
Professeur de droit à la Hong Kong University, Benny Tai Yiu-ting (levant le poing au centre) est jugé depuis le 19 novembre 2018 pour son rôle dans le "Mouvement des parapluies", avec huit autres organisateurs de cette manifestation massive, qui a bloqué les rues de la ville trois mois durant fin 2014 pour demander la démocratie et des élections libres. (Source : Fox 19)
C’est l’un des organisateurs de la « Révolution des parapluies », qui a bloqué les rues de Hong Kong pendant près de trois mois fin 2014. Ce mouvement démocratique massif marqua un tournant dans la vie politique de l’ancienne colonie britannique. Avec huit autres organisateurs des « Parapluies », Benny Tai Yiu-ting est accusé de « complot en vue de causer une nuisance publique, incitation d’autres personnes à causer une nuisance publique et incitation d’autres personnes à inciter d’autres personnes à causer une nuisance publique ». Son procès a commencé le 19 novembre dernier. Il encourt une peine de sept ans de prison. Dans cette tribune, traduite par le sinologue David Bartel, il dénonce la répression des libertés politiques et des droits de l’opposition à Hong Kong. Sans pour autant désarmer.
Si vous venez ici maintenant, vous trouverez sans doute Hong Kong différent. Un coûteux train rapide lie Hong Kong au réseau ferré à grande vitesse de Chine continentale et un immense pont connecte la ville avec dix autres cités importantes du Détroit de la Rivière des perles. Pourtant, sous cette surface économique clinquante, le cœur socio-politique du territoire ne brille pas du tout.
Depuis des années, Hong Kong n’était ni vraiment démocratique, ni totalement autoritaire. On y trouvait à la fois des éléments démocratiques et des aspects autoritaires, et la ville semblait même être plus démocratique qu’autoritaire. Tout du moins, tant que la cité vivait un haut degré d’autonomie sous l’égide du principe « un pays, deux systèmes », Hong Kong a pu maintenir un état de droit solide grâce auquel les pouvoirs du gouvernement était effectivement contraints, et les droits fondamentaux de ses citoyens étaient adéquatement protégés.
Les choses ont commencé à changer après les 79 jours d’occupation du « Mouvement des parapluies », à la fin de 2014. Considérant le Hong Kong d’après le mouvement de plus en plus défiant et insubordonné, le régime du Parti communiste chinois a ajusté sa stratégie pour diriger la métropole en adoptant une approche duale : l’intégrer économiquement au Continent chinois, tout en durcissant l’autoritarisme politique.
Possédant de nombreux agents politiques dans le secteur public et d’agents culturels dans la société civile, le régime communiste chinois applique un pouvoir sans faille de coercition allié à sa puissance économique, avec comme résultat un pouvoir aigu de tromperie, de manipulation, d’intimidation, de confusion, de division et de répression. Le tout pour mettre la pression, neutraliser, affaiblir et réduire au silence tout pouvoir contraignant à son encontre encore actif dans le territoire. L’opposition, les tribunaux et la société civile sont ses cibles principales. Un discours officiel est en même temps vigoureusement dispensé : 1) le maintien de la loi et de l’ordre passe avant toute préoccupation sociétale, 2) les opportunités économiques offertes par une plus grande intégration avec la Chine continentale ne doivent pas être manquées.
Les exemples qui illustrent comment Hong Kong est victime d’un autoritarisme croissant ne sont pas difficiles à trouver. Le pouvoir du Comité central de l’Assemblée nationale populaire d’interpréter la Loi fondamentale [la constitution de Hong Kong] était au départ pensé pour n’être utilisé qu’en ultime recours. Son usage est désormais normalisé. Quelle que soit la nécessité politique, des significations peuvent être ajoutées à volonté aux mots de la constitution hongkongaise, pour offrir une couverture constitutionnelle à des mesures autoritaires. Même la Haute Cour d’appel n’ose plus questionner l’autorité juridique du régime communiste chinois.
En 2016, des parlementaires élus de l’opposition ont été disqualifiés selon une interprétation par le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale de la disposition de la Loi fondamentale relative à la prestation de serment par les fonctionnaires, les législateurs et les juges. S’appuyant sur la même interprétation, des officiels chargés du scrutin, des fonctionnaires du gouvernement hongkongais, ont exercé leur pouvoir pour valider la nomination de candidats en vertu de la loi électorale, et pour en disqualifier d’autres à cause de leurs opinions politiques supposées, passés ou présentes.
*L’élection a eu lieu le 25 novembre : le candidat pro-Pékin a battu son concurrent pro-démocrate.
Les candidats soutenant l’indépendance de Hong Kong sont les premiers à avoir été empêchés de se présenter aux élections. Puis, les défenseurs du droit à l’autodétermination du peuple hongkongais, du droit à décider de son futur politique, ont aussi été considérés comme ayant franchi la ligne rouge politique. Le dernier exemple en date est celui de Lau Siu-lai (劉小麗). Élue et assermentée avec succès au Conseil législatif [le LegCo, le parlement de Hong Kong] en 2016, elle est démise de ses fonctions un an plus tard au prétexte de la manière irrégulière dont elle a prêté serment. Une élection partielle pour son siège vacant aura lieu fin novembre 2018*. Lau a été nominée pour se présenter à nouveau. Le directeur du scrutin, prétextant que Lau défend encore le droit à l’autodétermination et ne croyant pas que celle-ci ait changé de position, a simplement invalidé sa candidature. Lau n’a même pas eu la possibilité de répondre aux allégations de cet officiel.
Avec six parlementaires de l’opposition disqualifiés, le camp pro-Pékin contrôle désormais la majorité au Conseil législatif. Les règles de procédure du Conseil ont été amendées. Différentes méthodes – comme l’obstruction – que l’opposition utilisait pour empêcher ou retarder les décisions controversées du gouvernement hongkongais, ont été neutralisées. Il reste peu d’espace au parlement pour que l’opposition puisse résister aux empiètements du régime autoritaire.
Le secrétaire chargé de la Sécurité, c’est une première, a utilisé une loi locale – à l’origine ciblant les syndicats du crime organisé – pour déclarer que le Hong Kong National Party est une association illicite. La plateforme indépendantiste du National Party et ses activités ont été considérées comme une menace pour la sécurité nationale. Pourtant, les preuves soutenant l’accusation se limitaient à des messages sur les réseaux sociaux, à la distribution de tracts, et à une réunion publique réunissant quelques milliers de personnes.
Le Foreign Corespondents’ Club de Hong Kong a organisé un forum pour Andy Chan, le porte-parole du National Party, pour qu’il présente sa vision de l’avenir de Hong Kong – son parti n’avait alors pas encore été déclaré illégal. Avant la tenue de la conférence, le gouvernement hongkongais a déclaré que l’organisation d’une telle réunion était inappropriée. C’est Victor Mallet, le vice-président du Foreign Correspondents’ Club, qui a organisé de la conférence. Peu après, sa demande pour renouveler son visa de travail a été rejetée par le directeur de l’Immigration, sans autre explication. Même l’entrée à Hong Kong comme simple touriste lui a été refusée.
L’effet est glaçant pour la communauté. Même si une personne a assez de courage pour exprimer une opinion politique susceptible de franchir une ligne rouge politique toujours mouvante, aucun groupe de la société civile n’ose lui offrir une plateforme pour exprimer ses opinions à la lumière des possibles répercussions. L’incertitude est d’autant plus inquiétante que personne ne sait si et comment la liste des opinions politiques prohibées va continuer à s’allonger.
Après avoir écarté tous les obstacles au parlement, il est probable que le gouvernement hongkongais va bientôt entériner de nouvelles lois pour accélérer le tournant autoritaire de Hong Kong. La plus importante sera la loi sur la sécurité nationale connue sous le nom d’Article 23 de la Loi fondamentale. Elle stipule que la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong doit adopter des lois pour interdire tout acte de trahison, sécession, sédition, subversion à l’encontre du gouvernement de la République populaire. Les moindres paroles pour l’indépendance ou l’autodétermination de Hong Kong, sans incitation à commettre des actes répréhensibles de violence ou tout autre acte criminel, deviendraient passibles de sanctions. Malheureusement, personne ne sait jamais où est la ligne rouge…
Le pouvoir des procureurs sert désormais à dissuader l’organisation d’actions de désobéissance civile. Avec huit autres organisateurs du « Mouvement des parapluies », je fais face à des accusations inhabituelles en vertu d’une vieille infraction à la loi que j’avais faite au début de l’occupation : complot en vue de causer une nuisance publique, incitation d’autres personnes à causer une nuisance publique et incitation d’autres personnes à inciter d’autres personnes à causer une nuisance publique. Le sens de nuisance publique est extensible et peut recouvrir différentes formes d’obstruction. La peine encourue est de sept années de prison et est beaucoup plus élevée que pour des infractions statutaires similaires. Le procès commence le 19 novembre 2018.
Dans et hors de Hong Kong, peu sont ceux qui remarquent ces changements ou les prennent au sérieux car de nombreuses mesures autoritaires sont enrobées de régulations légales et de bénéfices économiques. C’est peut-être difficile à voir, mais Hong Kong n’est plus la ville qu’elle était.
Le haut degré d’autonomie de Hong Kong – sous l’égide du principe « un pays, deux systèmes » – va aussi bientôt connaître son « procès ». Et tout ceux qui formulent et mettent en oeuvre ces mesures autoritaires entravent l’état de droit à Hong Kong et en portent personnellement la responsabilité.
Quoi qu’il en soit, je refuse d’accepter la mort de Hong Kong qu’annoncent certains. La ville est encore bien vivante. Nombreux sont ceux qui s’y battent sans relâche pour la démocratie. Les empiètements autoritaires, s’ils ne peuvent être stoppés, peuvent être ralentis si les Hongkongais peuvent continuer à résister, intelligemment, sans violence, avec constance.
Comme l’a dit récemment M. le Juge Tang, juge permanent de la Cour d’appel à la retraite dans son discours d’adieu, « nous avons une presse libre, des élections libres à Hong Kong. Faites entendre votre voix, votre vote compte. Croyez-moi, le prix de la liberté se résume à une vigilance éternelle. Par-dessus tout, n’abandonnez jamais et ne sous-estimez pas vos forces. »
« C’est seulement quand il fait assez sombre qu’on peut voir les étoiles. » J’aime la sagesse de Martin Luther King.
Par Benny Tai Yiu-ting, traduit de l’anglais par David Bartel
Cette tribune est d’abord parue sous une autre version éditée dans le New York Times le 18 novembre 2018.

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A propos de l'auteur
Professeur de droit à la Hong Kong University, Benny Tai Yiu-ting est l'un des organisateurs du Mouvement des parapluies en 2014 à Hong Kong.
Chercheur indépendant, David Bartel vit à Hong Kong depuis dix ans. Obtenue en 2017 à l'EHESS, sa thèse porte sur les Lumières chinoises du XXème siècle et leur reconfiguration contemporaine. Il s'intéresse particulièrement aux liens entre histoire, politique et langage. La cooptation des discours théoriques postmodernes et postcoloniaux - en Chine et ailleurs - par la rhétorique nationaliste, et l’effacement de la culture au nom du culturel sont au cœur de ses recherches.