Politique
Expert - Hong Kong, China

Chine : Xi Jinping et la fin du régime communiste

Le président chinois et secrétaire général Xi Jinping un instant après avoir voté la réforme constitutionnelle, notamment la suppression de la limite à deux mandats pour le président à l'Assemblée nationale populaire dans le Grand Hall du Peuple à Pékin le 11 mars 2018.
Le président chinois et secrétaire général Xi Jinping un instant après avoir voté la réforme constitutionnelle, notamment la suppression de la limite à deux mandats pour le président à l'Assemblée nationale populaire dans le Grand Hall du Peuple à Pékin le 11 mars 2018. (Source : WAMC)
C’est fait. L’Assemblée nationale populaire a « voté » la réforme constitutionnelle voulue par Xi Jinping : le président de la République populaire de Chine pourra rester au pouvoir au-delà de deux mandats de 5 ans. Ce faisant, Xi Jinping est en train de détruire l’oeuvre de Deng Xiaoping. Le « Petit Timonier » avait mis au point un principe vital pour la survie du Parti communiste en Chine : la capacité d’adaptation dynamique. Voilà ce qui a déterminé la surprenante continuité du régime depuis la mort de Mao et la fin de la période totalitaire la plus dure. A l’évidence, cette souplesse a manqué aux autres régimes communistes qui se sont écroulés en Europe de l’Est au tournant des années 1990. Grâce à ses « souris noires ou grises », Deng avait imposé la sortie d’un dogmatisme rigide : celui qui a partout ailleurs miné les dernières assises des pouvoirs totalitaires. Jusqu’au cynisme, son pragmatisme institutionnalisé a permis de « traverser la rivière en tâtant les pierres » (摸石头过河 – mo shitou guohe).
Pour Deng Xiaoping, la seule chose importante a toujours été la survie du Parti. Après le schisme qui a failli couté la vie à celui-ci au printemps 1989, les vagues promesses de libéralisation politique disparaissent pour de bon, et le mythe libéral des années 1990 s’installe : plus de liberté économique amènera nécessairement le desserrement du régime. Eh bien non ! La liberté de choisir et de consommer n’est pas la liberté, et les deux peuvent même être antagonistes. Un coup d’œil sur le Chili de Pinochet aurait pu permettre de comprendre que les marchands aiment la stabilité, et se soucient assez peu de légitimité démocratique.
Cette stabilité qui est devenu le sacro-saint slogan du régime et qui doit absolument primer sur tout (稳定高于一切 – wending gaoyu yiqie), c’est Deng encore qui l’a permise en nommant non pas un, mais deux héritiers. Dans les régimes communistes – et dans les régimes autoritaires/totalitaires en général – les fins de vie des dictateurs sont généralement des moments délicats, et leur mort, donnent souvent lieu à des accrocs dans la continuité dynastique. Khrouchtchev n’avait pas attendu trois années pour remettre en cause les réalisations et les méthodes de Staline. Trois décennies plus tard, le régime s’effondre. Trente ans, c’est long à vivre dans une dictature. C’est court à l’échelle de l’Histoire… Hanna Arendt disait en substance que les dictatures survivent mal à la disparition du dictateur.
De la même façon, ce n’est pas le falot Hua Guofeng, fait héritier par un Mao Zedong vieillissant, qui pouvait prétendre résister à un Deng déjà rompu aux subtilités de la politique chinoise. En 1976, quand Mao meurt, Deng est un vétéran :compagnon de la « Longue marche » puis de la Guerre contre le Japon, il a dirigé la répression contre les intellectuels « droitiers » après la brève ouverture des « Cent Fleurs ». Il a aussi été deux fois « répudié » par Mao en 1968 et 1976. Deng est un fervent communiste qui a compris que pour que rien ne change – que le Parti reste au pouvoir – tout devait changer (j’emprunte ce mot au regretté Roland Lew). En 1989, il fait la même chose et sauve un Parti que dix années d’hésitation sur le rythme et l’envergure à donner aux réformes (qu’il a lui-même impulsées) ont mené au bord de la rupture.
En imposant la limitation des mandats pour le personnel politique (deux mandats de cinq ans pour le président de la RPC) et une forme de direction collégiale, Deng voulait éviter les deux écueils dont il a été directement témoin et qui selon lui pouvaient coûter au Parti son existence : le culte de la personnalité et le pendant du « centralisme démocratique », le despotisme d’un individu et son corolaire, le factionnalisme.
Après cinq années au pouvoir, les médias et les intellectuels sont très fermement tenus. Le décès en prison du prix Nobel de la paix montre tant la brutalité que les extrémités dont le régime est capable et le peu de cas qu’il fait d’une « communauté » internationale dont les atermoiements restent lettres mortes. Même les compagnies étrangères, qui ont longtemps bénéficié d’un certain espace pour leur participation au développement économique, sont désormais soumises à des contrôles stricts. Xi Jinping a su habillement utiliser une vaste campagne contre la corruption pour consolider son pouvoir tout en s’assurant le soutien de larges pans de la population. Résultat : la direction collégiale que Deng avait imposée n’est plus. Xi est désormais seul à la manœuvre. Et en inscrivant sa « pensée » dans la constitution, il se veut l’égal de Mao. Faîtes un tour en Chine populaire : son image est partout et les soupçons de dérive vers un culte personnel existent depuis déjà quelque temps.
Alors que les slogans officiels, la « société harmonieuse » (和谐社会 – hexie shehui), la « petite prospérité » (小康 - xiaokang), pavait le terrain du « rêve chinois » (中国梦 - Zhongguo meng) de Xi Jinping, le régime est devenu obsédé par les troubles sociaux (社会动荡 - shehui dongdang) et la croissance continue des « incidents de masse » (群体性事件 – quntixing shijian). A tel point que la première décennie du XXIème siècle a vu les dépenses de police pour maintenir la stabilité intérieure dépasser les dépenses militaires – sous l’égide du sulfureux ministre de l’Intérieur Zhou Yongkang, condamné à perpétuité en 2014. Une telle hiérarchisation des dangers en dit long sur la pleine conscience qu’a le pouvoir chinois de la fragilité de sa situation et de la volatilité de sa légitimité. Il n’y a qu’à observer la quantité d’efforts policiers et financiers appliqués à la préservation de ses privilèges nombreux et de ses intérêts multiples ! S’ajoute encore la sophistication des énergies intellectuelles déployées pour empêcher de parler de libre expression ou de démocratie aux fallacieux prétexte de l’identité culturelle et du relativisme des valeurs universelles. Ce ne sont pas là les signes d’une société très saine.
*Les trois heures et vingt-cinq minutes de discours de clôture du dernier Congrès du Parti montrent que le président est déjà bien entraîné à ce jeu. Regardez ici les premières 80 minutes et ici pour les 120 minutes suivantes.
La futurologie est par définition une entreprise pleine d’incertitudes. On ne peut pourtant pas s’empêcher de voir se profiler, d’ici quelques décennies, des images que ceux qui regardaient les actualités du côté du bloc de l’Est au tournant des années 1980 n’ont pas oubliés : un pouvoir de gérontes dans un décorum de rideaux rouges poussiéreux, des discours figés interminables sur l’amitié entre le peuples ou sur les réussites du « socialisme » et de l’exemple soviétique*.
Surtout, une population épuisée, lassée, avait tellement internalisée la menace constante du pouvoir, qu’elle était devenue experte dans sa capacité à savoir dire quoi, quand et à qui pour éviter les ennuis. Au travers d’infinies stratégies du quotidien, elle avait appris à ne pas se faire remarquer des autorités. Une situation qui résonne avec les mots d’un sociologue connu, Sun Liping (孫立平), écrits en 2009 avant même l’accession de Xi au pouvoir. Le sociologue présentait déjà une erreur possible dans la hiérarchisation des problèmes. Ce n’est pas l’effervescence de la population qui est le problème, mais au contraire sa passivité devant le peu de prise qu’elle a sur son propre devenir. Ce que Sun appelle la « désintégration sociale » (社会溃败 – shehui kuibai), qu’il rapproche de ce qu’un autre sociologue Fei Xiaotong (費孝通) appelait « l’érosion sociale » (社会侵蚀 – shehui qinshi).
La stabilité – par opposition à l’agitation – sociale est devenue une finalité de la politique chinoise. Ce qui déjà suppose un diagnostic erroné. Pour Sun, il y a déjà une décennie que l’on soigne l’effet pour la cause. La dégénérescence sociale est en réalité due au pouvoir sans limite (权力的时空 – quanli de shikong) des dirigeants dont la corruption n’est qu’un symptôme et le mariage du pouvoir politique et du marché la pathologie. Les fastes d’un consumérisme dispendieux et vain font déjà de l’argent la mesure de toute chose. « Il ne reste aux pauvres que l’argent » (穷得只剩下钱 – qiong de zhi shengxia qian), dit le triste proverbe. Tous les dix ans, le remplacement d’une partie du personnel politique sous couvert de lutte anti-corruption permettait une certaine « circulation » dans la structure de l’État. Sans cela, et si l’actuel président continue à tout interdire, le pays court vers une catatonie politique, sociale et intellectuelle qui aura raison de ce régime. C’est ce qui est arrivé à tous les systèmes plus ou moins autoritaires, plus ou moins totalitaires, qui ont perdu leur vitalité dans les rêves mégalomanes de leur suprême leader vieillissant, et devant la complaisance toujours intéressée de leurs acolytes et autres sycophantes.
Xi Jinping a 64 ans et il a l’air en pleine forme. Il en aura 74 dans 10 ans. Quatre-vingt dans 15 ans… Les dictateurs se bonifient rarement avec le temps.

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A propos de l'auteur
Chercheur indépendant, David Bartel vit à Hong Kong depuis dix ans. Obtenue en 2017 à l'EHESS, sa thèse porte sur les Lumières chinoises du XXème siècle et leur reconfiguration contemporaine. Il s'intéresse particulièrement aux liens entre histoire, politique et langage. La cooptation des discours théoriques postmodernes et postcoloniaux - en Chine et ailleurs - par la rhétorique nationaliste, et l’effacement de la culture au nom du culturel sont au cœur de ses recherches.