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Expert - Hong Kong, China

Chine : la "dictature parfaite" ? (2/2)

Le président chinois Xi Jinping lors de son arrivée devant le Congrès péruvien lors d'une cérémonie en marge du sommet de l'APEC le 21 novembre 2016. (Crédit : AFP PHOTO / CRIS BOURONCLE).
Le président chinois Xi Jinping lors de son arrivée devant le Congrès péruvien lors d'une cérémonie en marge du sommet de l'APEC le 21 novembre 2016. (Crédit : AFP PHOTO / CRIS BOURONCLE).

Lecture

C’est un ouvrage indispensable pour comprendre la chose politique dans la Chine d’aujourd’hui. Professeur à Oxford et spécialiste de l’analyse des Etats, Stein Ringen vient de publier The Perfect Dictatorship aux éditions HKU Press. Suite et fin de notre lecture critique. Pour lire la première partie, c’est ici.

*Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme – suivi de Eichman à Jérusalem, trad. Jean-Loup Bourget et al., Paris, Gallimard, 2002. La première édition date de 1951 ; Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965 ; Juan Linz, Totalitarian and Authoritarian Regimes, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2000.
Depuis les analyses classiques de Hanah Arendth ou Raymond Aron, et plus récemment de Juan Linz, il est de notoriété publique que les Parti-États sont des dictatures*. Pourtant, dans le cas de la République populaire de Chine (RPC), si le terme « autoritaire » est trop accommodant, les termes « dictature » et « totalitarisme » sont problématiques et semblent trop primitifs et simplificateurs pour définir la nature actuelle du régime. Ils doivent être révisés à la lumière de la réalité contemporaine (p. 2).

La « contrôlocratie »

*On trouve par exemple une éclairante mise au point chez Shan Gao, Fazhi: « Rule bu Law » or « Rule of Law »? A Common but Serious Mistake Among Many Writers.
La RPC est une dictature sophistiquée dans laquelle les citoyens bénéficient de nombreuses libertés, jusqu’à un certain point cependant. Arrivé à ce point, le Parti intervient avec toute la force qui lui semble nécessaire, comme il l’a montré en 1989 contre le mouvement démocratique, en 1999 contre la secte Falungong, et plus récemment contre différents éléments de la société civile.
Le Parti est là, tout le monde le sait, et, s’il ne dit pas à chacun ce qu’il doit faire, il contrôle en détail ce qu’il ne doit pas faire, lire ou entendre. Apparemment, ce système subtil de contrôle indirect est plus rentable sur le long terme que l’usage brutal de la force (p. 137). Pourtant, nous rappelle Ringen, la menace de punition, de harcèlement, de détention, de perte d’un emploi ou d’un logement, les intimidations sur la famille ou les proches, la violence et ultimement la mort, restent constamment présentes (p. 137).
Il est parfaitement possible de vivre sa vie en RPC aujourd’hui à partir du moment où la règle – dont les limites sont laissées volontairement floues – est comprise, intégrée et acceptée.
Les pages consacrées à la loi sont d’ailleurs assez édifiantes et rappelle un fait généralement oublié : en RPC, la théorie légale dominante est que la loi est au service du socialisme, c’est-à-dire au service du Parti qui fait la règle – qu’il appelle des « lois » – et qui s’autorise à passer outre les décisions judiciaires qu’il juge « erronées ». Dit autrement, la loi n’existe que du moment qu’elle ne dérange pas celui qui l’a écrite ! Ce qu’est exactement une loi n’est jamais claire (p. 79) et les discussions sur l’ambivalence du concept fazhi – « État de droit » ou « règne par la loi » – n’ont pas fini d’alimenter les débats entre experts juridiques*.
*Alan T. Wood, Asian Democracy in World History, Londres et New York, Routledge, 2004, p. 15.
On le sait, l’absence d’Etat de droit en Chine est un obstacle majeur au développement de la démocratie*. Quoi qu’il en soit, le rapport des Chinois à la loi, et au système judiciaire en général, ne se sort pas d’une schizophrénie connue et liée à l’essence même du système – comme le rappelle Stéphanie Balme, dans « Communisme et schizophrénie – L’individu face au droit dans la société chinoise post-révolutionnaire » (Raisons politiques, n° 3, 2001).
*Pierre Rosanvallon, La Société des égaux, Paris, Seuil, Points Essais, 2011, p. 170.
Or, cette essence est totalitaire. Elle infuse si profondément le quotidien qu’elle réduit à néant l’espace du politique. On le sait, « dans un monde non politique, il n’y a […] aucune place pour les voix discordantes ou les comportements déviants. Il n’y a pas de position possible entre l’adhésion au système et l’exclusion. »* En RPC, ce qui reste de la vie politique est forcé à la clandestinité, au privé, au secret, à l’isolement (p. 139). L’étude très détaillée des mécanismes de taxation des individus et des entreprises, des services sociaux, du secteur public, de l’assurance et de l’assistance sociale offre une cartographie raisonnée des aptitudes du régime, qui, s’il possède les capacités nécessaires pour servir la détermination de l’État reste plus « effectif » (effective) qu' »efficace » (efficient) (p. 115).
Après une analyse minutieuse de l’État, de l’économie et de la matrice du pouvoir (Parti, armée, pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif, police, administration), l’auteur arrive à la conclusion un peu ironique que si les dirigeants chinois ont bien inventé un type de régime politique, ils ont en fait réinventé la dictature. Ringen donne un nom à cette nouveauté : la « contrôlocratie » (p. 138).
Pour parvenir à cette conclusion, il pose les jalons méthodologiques de manière originale en prenant comme fil de son argumentation les dirigeants chinois, ce qu’ils disent, ce qu’ils font, ce qu’ils produisent et enfin qui ils sont. Le seul passage par l’histoire présent dans le livre nous rappelle les « trois fantômes » qui hantent les dirigeants : le siècle d’humiliation (1842-1949), les excès du maoïsme, et la chute de l’URSS (p. 2-3). De cette triple détermination nait l’absolue priorité du Parti-État à assurer sa propre continuation. Dès lors, l’État réformé après 1978 fonctionne sur un agenda double. D’un côté, il faut assurer la croissance de l’économie pour récompenser de manière tangible la population ; de l’autre, il se doit pour sa propre survie de reconstruire la « machinerie » du contrôle social (p. 6) autour de deux priorités : la perpétuation du régime et la défense de l’intégrité territoriale. Dans cette perspective, la « réforme » n’est pas une reproduction des mécanismes modernisateurs occidentaux, mais une consolidation et une perfection du régime (p. 166).

Quel « modèle » chinois ?

N’utilisant avec habileté que les chiffres officiels (dont il souligne la pesante incertitude), Ringen transforme rapidement une analyse du système politique chinois et de ses incidences sociales en une interprétation critique du « modèle », en rappelant d’autres exemples de modernisation où le développement social et politique ont accompagné l’économique, où le qualitatif a accompagné le quantitatif.
À Taïwan et en Corée du Sud, les gouvernements ont obtenu l’adhésion de leur population en accompagnant la croissance économique. Ils se sont offert une légitimité à l’aide d’investissements dans l’éducation et la protection sociale (p. 35). N’est-ce pas là le but primordial de toute entreprise de modernisation ? Ringen questionne ainsi les motifs et les buts d’un projet de réforme qui, en RPC, semblent aujourd’hui n’être réduit qu’à une quête éperdue de croissance économique dévouée à la seule volonté de puissance nationale. Pourtant, dans cette recherche de la « grandeur » (greatness), la RPC n’arrive qu’à impressionner par sa « grosseur » (bigness) (p. 35). Une « course à la croissance » (GDP-growthism) qui confirme l’idée que si les dirigeants savent bien ce qu’est la croissance, ils ne savent plus à quoi elle sert (p. 48). Or, nous prévient Ringen, la puissance sans objectif est une « constellation menaçante » (p. 49). Le jour où l’économie ne se développera plus à un niveau politiquement adéquat, il n’y aura alors plus assez pour satisfaire les multiples attentes que le régime a lui-même crée.
*Dans cette veine, le projet de « Social Credit System » qui à terme voudrait « évaluer » le comportement des citoyens et des entreprises est assez effrayant, voir Sara Hsu, « China’s New Social Credit System », The Diplomat, 10 mai 2015. **Voir David Bartel, « 25 ans après Tiananmen, la Chine reste hantée par le 4 juin« , L’OBS/Rue 89, 12 juin 2014.
L’obtention de la légitimité par la croissance a en tout cas un prix : une pollution massive, une corruption généralisée et une croissance continue des inégalités. A ce titre, le chapitre sur la réalité de la pauvreté est éloquent. Et la mise en perspective des outils statistiques permet à l’auteur d’affirmer que, si beaucoup ont été sortis de la pauvreté, beaucoup, beaucoup d’autres ont été laissés dans la misère (p. 120). Ceux qui sortent de la pauvreté selon les données officielles n’ont en réalité sans doute pas beaucoup bougé et la Chine reste un pays où la pauvreté est « massive et oppressive » (p. 148). Ce qu’ajoute pertinemment Ringen, c’est que pour la pauvreté comme pour la croissance – qu’il juge largement surestimée – le régime s’accorde plus de crédit qu’il n’en mérite. La réduction effective de la pauvreté est davantage le fait de l’économie, que l’État ne fait qu’accompagner, que d’une politique de redistribution sociale réelle et planifiée (p. 148). L’auteur démontre qu’en termes de capacités administratives, la RPC est un pays développé, mais qu’en termes de redistribution, il reste sous-développé. Le discours défendant le statu quo chinois au prétexte du sous-développement est désormais caduc et stratégique. Dans ce qu’il prend, l’État chinois est même hautement développé. Dans ce qu’il donne, il est sous-développé (p. 164).

Pour l’auteur, l’État chinois « fait moins pour le peuple qu’il est capable de le faire et qu’il pourrait se permettre de faire parce qu’il a d’autres objectifs et priorités que de travailler pour le bien des gens ordinaires » (p. 166). Le livre de Ringen est ainsi une minutieuse démonstration de l’absurdité du « mythe libéral » qui dès le milieu des années 1970 liait la nécessité du développement chinois à l’inévitabilité de la libéralisation politique du pays. La classe moyenne devait demander plus de liberté, elle est devenue un pilier du régime. Internet devait devenir une force de libéralisation sociale, il est devenu un nouvel instrument de contrôle aux mains des autorités*. Un mythe qui, dit-il, n’aurait pas dû survivre au drame de 1989 et à la redéfinition conséquente de la réalité par le Parti**. Il est important de souligner l’importance que l’auteur met dans la (non) mémoire du 4 juin 1989 tant par le pouvoir chinois que par une certaine littérature qui réduit le drame à un simple « incident » (note 6 p. 4). Pour lui, ce qui est mort cette nuit-là, c’est l’espoir soulevé par le Parti à la fin de l’épisode révolutionnaire et qui fut le marqueur important des années 1980. La seule réalité disponible devenait dès lors celle de l’accommodation (p. 4).

Les chapitres sur la corruption et sur la capacité de contrôle de l’État sont édifiants et offrent une vision assez triste du paysage le plus contemporain. Ringen divise en trois niveaux le phénomène de la corruption. Le plus bas, le plus quotidien est diffus et partout présent : services, permissions, timbres, accords, certificats, commerce, permis, école, hôpital… La liste est infinie et participe grandement du ressentiment populaire. Le second niveau, au sein de la bureaucratie, correspond à l’achat et à la vente de postes ou de promotions aux plus offrants. Enfin, au niveau le plus haut de l’État, ce n’est plus de la corruption, nous dit Ringen, c’est du crime organisé (p. 24-25). Si l’analyse n’est pas neuve, il est remarquable que l’auteur s’inscrive dans les pas de tous ceux qui cherchent à montrer l’incroyable niveau de corruption dans les plus hautes sphères de l’État*.
*Et dont on trouve une éloquente description dans « Entre présent et passé », l’introduction de Pierre-Etienne Will au livre de Philip A. Kuhn, Les Origines de l’État chinois (EHESS, 1999), p. 37.
En conséquence, pour lui, la campagne que mène l’actuel gouvernement contre la corruption, dont les objectifs réels restent souvent obscurs, est animée d’un double agenda. D’un côté, il faut purger l’opposition au sein du Parti, et de l’autre éradiquer la compétition d’une oligarchie parasitaire pour rétablir fermement la direction du Parti sur la politique, l’économie et ultimement la société (p. 28). Ringen prolonge même l’analyse sur ce thème en signalant l’inversion radicale des priorités qui gangrène de manière systémique l’ensemble de l’appareil bureaucratique. Les fonctionnaires ne sont pas au service du public. Ils ne répondent qu’à leurs supérieurs. Ils sont tenus d’entretenir les échelons supérieurs de leur hiérarchie à qui ils doivent leur position et qui est en charge de leur promotion, dans un jeu permanent d’obligation et de réciprocité qui inverse l’idée même d’un service public pour en faire un appareil au service du Parti. Là encore, il évacue l’argument historiciste qui voit dans le phénomène de la corruption une continuation de l’habitude « culturel » d’offre et de distribution de « cadeaux » pouvant facilement glisser vers de l’extorsion pure et simple*.
*Sur la cooptation du Mouvement de défense du droit et des « ONG » chinoises, voir Chloé Froissart, « Les « ONG » de défense des droits des travailleurs migrants – Des organisations proto-syndicales qui contribuent à la stabilité dynamique du régime », in Perspectives Chinoises, 2011/2. **Michel Bonnin, « Comment définir le régime politique chinois aujourd’hui », in Yves Michaux (dir.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 234
En terme de contrôle, l’auteur insiste sur la cooptation de toute organisation de la société civile. Le Parti, historiquement conscient, sait qu’il vient lui-même de l’organisation aboutie de la contestation de divers groupes sociaux. Cette récupération de mouvements potentiellement critiques participe de l’admirable « stabilité dynamique » du régime qui craint par-dessus tout, plus que les individus ou les petits groupes, l’activisme social capable de s’organiser et de créer des réseaux (p. 140)*. Ce n’est pas tant l’organisation pour ou contre tel ou tel objectif qui pose problème, c’est le fait même de s’organiser (p. 141). « Dans un système totalitaire, nous rappelait Michel Bonnin il y a déjà quelques années, chaque tentative de créer des liens horizontaux est par définition mauvaise, car elle perturbe le fonctionnement vertical de l’organisation. »**
*Michel Bonnin, « Comment définir le régime politique chinois aujourd’hui », in Yves Michaux (dir.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 229, 231 et 232.
L’espace que l’État laisse au peuple, et qui offre une certaine impression de « normalité » à la vie quotidienne, n’est composé que de « zones d’indifférence » concédées par l’État, souvent pour pallier au mieux son désengagement progressif de la sphère sociale. Un retrait de l’État qui n’est jamais un retrait du Parti-État (p. 137). Le rapport de domination entre le pouvoir et la société n’a pas fondamentalement changé, même s’il s’est assoupli, et l’ambition totalitaire ne semble toujours pas être remise en question*. C’est sans doute là que la « contrôlocratie » est la plus parfaite des dictatures. Elle ne dépend pas de l’omniprésence de la terreur. Le régime peut même se permettre de n’utiliser la force brute qu’avec une certaine parcimonie. Pourtant, la menace de la terreur reste omniprésente (p. 141). Mais le contrôle ne suffit pas : le Parti demeure la plus haute autorité en ce qui concerne l’histoire et la vérité et est donc à même d’imposer un grand récit puissant du destin de la nation. La stratégie du régime s’appuie aussi de manière complémentaire sur la distribution de récompense et sur une forme de « conformisme volontaire » (willing compliance) qu’il impose (p. 136).

Stratégies de composition

*Carol Graham, Zhou Shaojie et Zhang Junyi, « Happiness and Health in China: The Paradox of Progress », Brooking Institution, 10 juin 2015
. En effet, les Chinois, comme toute humanité confrontée à un État fort, pesant, intrusif et omniprésent, n’ont d’autre choix que de composer. Les stratégies pour répondre et s’adapter sont multiples : « Courage, ingénuité, entraide, protection, opposition et protestation, organisation, subversion, dissimulation, survie […] aussi bien qu’acceptation, obéissance, collaboration dans l’oppression, opportunisme et lâcheté. » Et Ringen d’ajouter : « Une riche tapisserie de la condition humaine, pour le pire et le meilleur » (p. 40). On voit ici comment l’alibi culturel comme l’excuse historiciste qui essentialisent une supposée spécificité chinoise sont encore balayées avec, on peut le dire, une certaine élégance. Il existe néanmoins un milieu alternatif (underground) que Ringen qualifie d’« héroïque et pas insignifiant » (p. 99).
Pour autant, l’auteur reconnaît que le régime délivre bien une forme de stabilité qui est réelle, même si elle est plus fondée sur le contrôle que sur la légitimité du Parti à gouverner. L’auteur interroge cependant la réalité de cette primauté de la stabilité. L’ouverture politique, dit-il, aurait pu libérer davantage d’énergie et de créativité. Elle aurait pu être ingérable, mais la revendication de son potentiel échec pour justifier le présent « n’est pas crédible » (p. 147). Ce qui est vrai, c’est que chaque tentative d’ouverture (1956, 1979, 1989, l’auteur cite encore Hong Kong en 2014) se sont traduites par des revendications pour plus de démocratie. Le Parti sait qu’il n’a pas réellement l’adhésion de la société. S’il a bien permis aux Chinois de rejoindre le monde du consumérisme moderne, il l’empêche encore d’atteindre l’autonomie moderne. La société chinoise contemporaine est devenue une des plus inégales du monde, et les quelques rapports sur la qualité de la vie et le bonheur de la population achèvent de décrire la réalité un peu triste de la Chine aujourd’hui (p. 149-150). Ringen met ainsi le doigt sur ce « paradoxe du progrès » : il n’existe pas de corrélation entre croissance économique et amélioration de la qualité de la vie*.
*Traduire Zhongguo meng par « rêve de Chine » plutôt que par « rêve chinois » fait sens si on accepte l’idée que le rêve des dirigeants n’est peut-être pas celui de tous les Chinois. Une subtilité qui s’entend bien en anglais, quand on passe du « China Dream » au « Chinese Dream ». **On trouve une traduction en anglais de ce long article sur le site du China Digital Time.
Pour conclure ce survol forcément incomplet de ce livre éclairant, Ringen s’arrête sur le « rêve de Chine » (Zhongguo meng) de l’actuelle direction pékinoise*. Il reprend un article de presse officiel du 5 avril 2013 qui lie sans équivoque possible la grandeur nationale au bonheur individuel de chaque Chinois**. Au-delà d’une célébration nationaliste devenue habituelle, la rhétorique du « rêve » des dirigeants chinois semble bien avoir comme objectif unique de subsumer l’autonomie individuelle à la puissance nationale dans une réactivation de l’idée terrible du « peuple-Un » développée par Claude Lefort qui définissait justement le fait totalitaire comme la consubstantialité de l’État et de la société.
*Claude Lefort, Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2007, p. 268.
Caractéristique essentielle des totalitarismes, ce fantasme de l’unité du peuple et de son dirigeant (fut-il un homme ou un groupe), d’une société homogène, pure et unique, se fonde sur la dénégation de la division entre État et société, et sur les divisions internes à la société. Dans la définition qu’en donne Lefort, le Parti est l’agent privilégié de cette homogénéisation qui veut faire croire en une société qui s’ordonnerait organiquement, du dedans d’elle-même*. Essentiellement, nous rappelle Ringen, l’idée d’unité entre la nation et la personne est une idée fasciste, c’est même l’idée fasciste, insiste-t-il (italique dans l’original, p. 176).

Le livre n’est pas dédicacé à la Chine, il est dédicacé au peuple chinois, à sa liberté, à son bonheur et à sa prospérité.

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A propos de l'auteur
Chercheur indépendant, David Bartel vit à Hong Kong depuis dix ans. Obtenue en 2017 à l'EHESS, sa thèse porte sur les Lumières chinoises du XXème siècle et leur reconfiguration contemporaine. Il s'intéresse particulièrement aux liens entre histoire, politique et langage. La cooptation des discours théoriques postmodernes et postcoloniaux - en Chine et ailleurs - par la rhétorique nationaliste, et l’effacement de la culture au nom du culturel sont au cœur de ses recherches.