Chine : la "dictature parfaite" ? (2/2)
Lecture
C’est un ouvrage indispensable pour comprendre la chose politique dans la Chine d’aujourd’hui. Professeur à Oxford et spécialiste de l’analyse des Etats, Stein Ringen vient de publier The Perfect Dictatorship aux éditions HKU Press. Suite et fin de notre lecture critique. Pour lire la première partie, c’est ici.
La « contrôlocratie »
Le Parti est là, tout le monde le sait, et, s’il ne dit pas à chacun ce qu’il doit faire, il contrôle en détail ce qu’il ne doit pas faire, lire ou entendre. Apparemment, ce système subtil de contrôle indirect est plus rentable sur le long terme que l’usage brutal de la force (p. 137). Pourtant, nous rappelle Ringen, la menace de punition, de harcèlement, de détention, de perte d’un emploi ou d’un logement, les intimidations sur la famille ou les proches, la violence et ultimement la mort, restent constamment présentes (p. 137).
Il est parfaitement possible de vivre sa vie en RPC aujourd’hui à partir du moment où la règle – dont les limites sont laissées volontairement floues – est comprise, intégrée et acceptée.
Les pages consacrées à la loi sont d’ailleurs assez édifiantes et rappelle un fait généralement oublié : en RPC, la théorie légale dominante est que la loi est au service du socialisme, c’est-à-dire au service du Parti qui fait la règle – qu’il appelle des « lois » – et qui s’autorise à passer outre les décisions judiciaires qu’il juge « erronées ». Dit autrement, la loi n’existe que du moment qu’elle ne dérange pas celui qui l’a écrite ! Ce qu’est exactement une loi n’est jamais claire (p. 79) et les discussions sur l’ambivalence du concept fazhi – « État de droit » ou « règne par la loi » – n’ont pas fini d’alimenter les débats entre experts juridiques*.
Après une analyse minutieuse de l’État, de l’économie et de la matrice du pouvoir (Parti, armée, pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif, police, administration), l’auteur arrive à la conclusion un peu ironique que si les dirigeants chinois ont bien inventé un type de régime politique, ils ont en fait réinventé la dictature. Ringen donne un nom à cette nouveauté : la « contrôlocratie » (p. 138).
Quel « modèle » chinois ?
À Taïwan et en Corée du Sud, les gouvernements ont obtenu l’adhésion de leur population en accompagnant la croissance économique. Ils se sont offert une légitimité à l’aide d’investissements dans l’éducation et la protection sociale (p. 35). N’est-ce pas là le but primordial de toute entreprise de modernisation ? Ringen questionne ainsi les motifs et les buts d’un projet de réforme qui, en RPC, semblent aujourd’hui n’être réduit qu’à une quête éperdue de croissance économique dévouée à la seule volonté de puissance nationale. Pourtant, dans cette recherche de la « grandeur » (greatness), la RPC n’arrive qu’à impressionner par sa « grosseur » (bigness) (p. 35). Une « course à la croissance » (GDP-growthism) qui confirme l’idée que si les dirigeants savent bien ce qu’est la croissance, ils ne savent plus à quoi elle sert (p. 48). Or, nous prévient Ringen, la puissance sans objectif est une « constellation menaçante » (p. 49). Le jour où l’économie ne se développera plus à un niveau politiquement adéquat, il n’y aura alors plus assez pour satisfaire les multiples attentes que le régime a lui-même crée.
Pour l’auteur, l’État chinois « fait moins pour le peuple qu’il est capable de le faire et qu’il pourrait se permettre de faire parce qu’il a d’autres objectifs et priorités que de travailler pour le bien des gens ordinaires » (p. 166). Le livre de Ringen est ainsi une minutieuse démonstration de l’absurdité du « mythe libéral » qui dès le milieu des années 1970 liait la nécessité du développement chinois à l’inévitabilité de la libéralisation politique du pays. La classe moyenne devait demander plus de liberté, elle est devenue un pilier du régime. Internet devait devenir une force de libéralisation sociale, il est devenu un nouvel instrument de contrôle aux mains des autorités*. Un mythe qui, dit-il, n’aurait pas dû survivre au drame de 1989 et à la redéfinition conséquente de la réalité par le Parti**. Il est important de souligner l’importance que l’auteur met dans la (non) mémoire du 4 juin 1989 tant par le pouvoir chinois que par une certaine littérature qui réduit le drame à un simple « incident » (note 6 p. 4). Pour lui, ce qui est mort cette nuit-là, c’est l’espoir soulevé par le Parti à la fin de l’épisode révolutionnaire et qui fut le marqueur important des années 1980. La seule réalité disponible devenait dès lors celle de l’accommodation (p. 4).
Stratégies de composition
Pour autant, l’auteur reconnaît que le régime délivre bien une forme de stabilité qui est réelle, même si elle est plus fondée sur le contrôle que sur la légitimité du Parti à gouverner. L’auteur interroge cependant la réalité de cette primauté de la stabilité. L’ouverture politique, dit-il, aurait pu libérer davantage d’énergie et de créativité. Elle aurait pu être ingérable, mais la revendication de son potentiel échec pour justifier le présent « n’est pas crédible » (p. 147). Ce qui est vrai, c’est que chaque tentative d’ouverture (1956, 1979, 1989, l’auteur cite encore Hong Kong en 2014) se sont traduites par des revendications pour plus de démocratie. Le Parti sait qu’il n’a pas réellement l’adhésion de la société. S’il a bien permis aux Chinois de rejoindre le monde du consumérisme moderne, il l’empêche encore d’atteindre l’autonomie moderne. La société chinoise contemporaine est devenue une des plus inégales du monde, et les quelques rapports sur la qualité de la vie et le bonheur de la population achèvent de décrire la réalité un peu triste de la Chine aujourd’hui (p. 149-150). Ringen met ainsi le doigt sur ce « paradoxe du progrès » : il n’existe pas de corrélation entre croissance économique et amélioration de la qualité de la vie*.
Le livre n’est pas dédicacé à la Chine, il est dédicacé au peuple chinois, à sa liberté, à son bonheur et à sa prospérité.
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