Hong Kong, la crise qui vient ?
En affirmant au quotidien le contraire de ce que tente de diffuser le pouvoir pékinois, ces alternatives sont régulièrement refoulées par les dirigeants pékinois avec une fermeté arrogante confinant parfois à l’autisme, toute expression d’une identité autre étant immanquablement assimilée à du séparatisme et réprimé en conséquence. Ce faisant, cette contestation de la mainmise communiste sur l’identité chinoise questionne en profondeur le projet social et les objectifs politiques de dirigeants chinois dont la seule préoccupation – rester au pouvoir – est désormais éclairée d’une lumière crue. Le défi désormais ouvertement posé par la périphérie à l’homogénéité culturelle imaginée par le centre, ne pourra être résolu que par la prise en compte des problématiques qu’il soulève. Ce qui semble à l’heure actuelle pour le moins incertain quand la surdité des uns répond la croissante radicalité des autres.
L’identité hongkongaise et les deux récits nationaux
D’un côté, la République populaire de Chine (RPC) active une narration nationaliste classique dans laquelle Hong Kong – enfant égaré – doit revenir à la « mère patrie » (huigui – 回歸) après une longue période d’affront colonial. Ce retour sur le chemin historique « normal » est un pas important vers le retour de l’unité nationale, avec toujours l’hypothétique retour de Taïwan en ligne de mire. Dans cette optique, la population de l’ancienne colonie devrait être assez rapidement « réformée » après s’être débarrassée d’un verni colonial de valeurs occidentales pour redevenir de bons compatriotes. Une optique qui invalide a priori la possibilité même d’un « héritage » colonial.
La persistance des héritages coloniaux
L’accord « un pays, deux systèmes » apparaît au fil des années de plus en plus pour ce qu’il est : un arrangement élitiste ouvertement favorable au statu quo politique. Les dirigeants politiques et les élites financières et commerciales – comme à l’époque coloniale – conservent les reines d’un pouvoir prêt, dès avant la rétrocession, à aligner ses intérêts avec ceux du régime communiste dans une relation réciproquement bénéfique. De ce point de vue, le retour de Hong Kong est une belle réussite, Pékin n’ayant jamais caché son enthousiasme pour la structure politique oligarchique mise en place par les Britanniques. Même si de là naît l’ironie d’un Parti communiste chinois désormais dévoué à la protection des intérêts des capitalistes les plus fortunés.
Aujourd’hui, près d’un million d’habitants (sur 7 millions) vivent sous le seuil de pauvreté, ainsi qu’une personne âgée sur trois, en l’absence d’un réel système de retraite. 30 % de la population vit dans des logements sociaux. Cette situation, jugée de plus en plus insupportable par la jeune génération dans une des villes les plus riches du monde, commence à être un marqueur de division politique (et générationnelle). La démocratie est dès lors envisagée non plus comme une fin en soi, mais comme un moyen efficace pour résoudre la question des inégalités. Un glissement bien perçu par le chef de l’exécutif C.Y. Leung (梁振英), soutenu par Pékin, qui, dès le début du « mouvement des parapluies », déclaraient qu’une vraie démocratie à Hong Kong verrait les « pauvres » dominer la politique. Ainsi, à un combat pour une démocratie idéalisée et sans doute peu envisageable se mêlent désormais des préoccupations sociales pour une population hongkongaise qui cherche à maintenir en plus de ses valeurs, ses standards de vie et sa dignité.
Les coût social des connivences
De l’autre côté, les critiques affirment que le choix politique de favoriser la République populaire fausse l’économie, fait fuir les personnes les plus compétentes et détourne la répartition des richesses. De plus, la concentration de richesses toujours plus hallucinantes aux mains de quelques grandes familles – les « tycoons » –, et leurs connivences tant avec les autorités locales qu’avec les élites pékinoises, rendent chaque jour plus inacceptables la croissance de la pauvreté, les freins à la mobilité sociale et l’absence de perspective pour une jeunesse éduquée qui se sent flouée au quotidien.
Les autorités hongkongaises avaient réussi jusque-là à faire accepter une importante polarisation de la société en donnant forme à un contrat social relativement stable. Mais depuis la rétrocession, elles sont régulièrement sur la sellette et mises face à leur incapacité à améliorer la situation. La réapparition de la corruption aux plus hauts niveaux des personnels politiques et économiques, nourrit le climat de suspicion généralisé contre les élites.
Pour aller plus loin
« From Handover to Occupy Campaign – Democracy, Identity and the Umbrella Movement of Hong Kong », Contemporary Chinese Political Economy and Strategic Relations: An International Journal, vol. 2, n° 2, août-septembre. 2016.
« Hong Kong prend le large », Critique, n° 807-808, août-septembre 2014.
« Hong Kong depuis 1997 : l’émergence de fractures sociales et institutionnelles », Perspectives chinoises, n° 1, 2014.
Leo Goodstadt, Poverty in the Midst of Affluence – How Hong Kong Mismanaged Its Prosperity, Hong Kong, HKU Press, 2013.
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