Politique
Analyse

Hong Kong : qui sont les "localistes" ?

Un manifestant localiste appartenant au groupe Hong Kong Indigenous lors d’une manifestation contre des traders venus du continent à Yuen Long le 1er mars 2015. (Crédit : EyePress News/AFP)
Un manifestant localiste appartenant au groupe Hong Kong Indigenous lors d’une manifestation contre des traders venus du continent à Yuen Long le 1er mars 2015. (Crédit : EyePress News/AFP)
Il y a cinq mois, nous avions abordé la question du repli identitaire à Hong Kong (voir notre article). Aujourd’hui nous revenons sur le sujet pour approfondir encore, et mieux comprendre les racines idéologiques et les principaux acteurs du « localisme ». Né de l’aspiration démocratique de la révolte dite des parapluies à l’automne 2014, ce mouvement persiste aujourd’hui. Qui sont donc les « localistes » ? Lam Kar Lok, l’un de nos correspondants à Hong Kong, est allé à leur rencontre.
Quand la police évacua les dernières tentes et barricades qui occupaient Harcourt Road le 11 décembre 2014, une atmosphère de victoire régnait à n’en pas douter au sein du bureau de liaison du gouvernement central et chez le chef de l’exécutif hongkongais. Toutefois, les réjouissances furent de courte durée. Car l’échec partiel du mouvement engendra une nouvelle force politique de plus en plus audible dans son opposition à Pékin : les « nativistes » ou « localistes » (bentupai 本土派).

« Pendant longtemps, l’idée qu’un mouvement démocratique purement local se développe, était pour beaucoup une aberration car les Hongkongais étaient considérés comme politiquement apathiques », explique Michael DeGolyer, professeur à la Baptist University et cofondateur du Hong Kong Transition Project, qui étudie l’attitude des Hongkongais envers la Chine, avant et après la rétrocession de 1997 (voir notre entretien au bas de cet page). « Tian’anmen a été un évènement majeur dans l’éveil politique d’une partie des habitants de Hong Kong », souligne DeGloyer. Même après la rétrocession, des organisations sont apparues demandant l’indépendance de Hong Kong envers la Chine comme le Hong Konger Front, créé en 2004. Mais elles étaient jusque-là considérées comme ultra-minoritaires et sans influence sur les grandes orientations de la ville.

Les choses se sont considérablement accélérées en 2012, après l’échec de la réforme de l’Education voulue par le gouvernement central, et à la fin 2014, suite au « mouvement des parapluies » C’est alors que de multiples groupes se revendiquant “localistes” sont apparus. Avec une vigueur nouvelle, ils se sont mis à réclamer l’autonomie complète vis-à-vis de la Chine, voire l’indépendance de Hong Kong.

Contexte

Les localistes vont se présenter contre les démocrates aux prochaines élections locales en novembre. C’est ce qu’a annoncé le groupe Civic Passion dont 6 membres seront candidats. Ce groupe localiste s’opposera au Democratic Party dans cinq des six districts de Hong Kong. A l’image de Cheng Chung-tai, professeur associé à la Polytechnic University de Hong Kong, en lice contre Albert Ho Chun-yan, député démocrate et conseiller de district dans la circonscription de Lok Tsui à Tuen Mun. Cheng accuse Albert Ho d’avoir « aidé les nouveaux immigrés à déposer des dossiers d’aide publique » et d’avoir ainsi « trahi les intérêts des Hongkongais ». En réponse, le démocrate a mis en question l’orientation politique de la candidature du localiste : pourquoi Cheng ne s’est-il pas présenté dans le district voisin où personne n’est en lice contre le candidat du parti pro-Pékin, a interrogé Albert Ho ? Selon ce dernier, Cheng « ne cherche pas à gagner » mais à « ouvrir la voie au camp pro-Pékin ».

Horace Chin, l’idéologue

Tout mouvement se doit d’avoir un grand prêtre, une personne à même de théoriser ce pour quoi il faut se battre. Pour les localistes, cet homme s’appelle Horace Chin. En 2011, ce professeur associé au département de chinois de l’université de Lingnan, publia Hong Kong, cité-Etat. L’ouvrage fit sensation dans l’ancienne colonie britannique, conférant à Chin le surnom de « parrain du localisme ».

L’idée principale d’Horace Chin est la suivante : Hong Kong était « déjà une cité autonome avant 1997 » et « la Chine populaire n’a fait qu’endosser cet état de fait à travers la loi fondamentale ». Pour l’idéologue, l’autonomie existait de facto avant la rétrocession et donc avant d’être formalisée dans la mini-constitution de la cité.

« La souveraineté exercée est limitée mais bien réelle, affirme Chin. Cela concerne la monnaie, les affaires intérieures, l’absence de taxe à payer à la Chine ou la non participation aux dépenses de l’armée. Il s’agit du point de départ de l’indépendance de Hong Kong. Cette idée m’a été inspirée par mon séjour en Allemagne. Un jour, en 1992, une tempête de neige a soufflé sur Göttingen et j’ai dû attendre qu’elle passe dans une bibliothèque. Par curiosité, j’ai feuilleté quelques guides touristiques consacrés à Hong Kong. Et j’ai été très surpris de découvrir que la plupart d’entre eux commençaient en décrivant Hong Kong comme une cité-Etat. Cela m’a fait beaucoup réfléchir. Quand il a eu l’idée « d’un pays, deux systèmes », Deng Xiaoping voulait simplement récupérer Hong Kong, mais il ne réalisait pas qu’il créait de facto un autre pays. Les communistes n’ont pas d’expérience en matière de constitution, ils ne réalisent pas que cela peut changer la nature d’un endroit. En créant la loi fondamentale, avec ses nombreuses exceptions à la loi chinoise, ils ont créé une autre entité. Si l’on considère Deng Xiaoping comme un empereur, Hong Kong a tout d’un Etat vassal. Nous élisons notre propre leader, nous visitons Beijing une fois par an… Ce n’est pas si différent de la Corée sous la dynastie Ming [1368-1644 NDLR]. »

L’enseignant ne s’arrête pas à cette conclusion. Il propose un nouveau modèle politique pour la grande Chine : la formation « sur le long terme » d’une « confédération ». Horace Chin invoque l’histoire de la construction des nations en Europe : « Cela s’est fait soit en mettant à bas un Empire, puis en mettant en place un processus démocratique via une constitution ; soit par l’union de cités-Etats pour former une république fédérale ». La Chine, aux yeux de l’idéologue, se trouve toujours « dans un processus de construction nationale », dotée d’une constitution qu’elle n’applique pas vraiment.

« Hong Kong, en tant que cité-Etat, peut aider la Chine à évoluer dans ce processus. Dans ce cadre, la confédération est la solution idéale. Taïwan pourrait être intégrée sans difficulté. Cela pourrait également permettre d’accorder davantage d’autonomie au Tibet et au Xinjiang. Le Parti Communiste Chinois (PCC) y trouverait son intérêt puisqu’il pourrait ainsi se vanter d’avoir réussi à récupérer Taïwan et résoudre les envies séparatistes tibétaines et ouïghoures. »
Et de poursuivre : « Pour que tout cela se mette en place, il faut parvenir à convaincre une large partie de la population de Hong Kong de la validité de ces idées. Des actions comme Occupy Central, dont l’occupation de Mongkok avait été recommandée par moi, et la création de différents groupes se réclamant du localisme vont tous dans ce sens. A un moment donné, Pékin n’aura pas d’autre choix que de reconnaître que c’est une tendance de fond et, s’ils ne peuvent pas la combattre, ils finiront par s’y rallier. Ce qui les bloque à l’heure actuelle, c’est qu’ils n’ont personne sur qui ils peuvent se reposer à Hong Kong. Le DAB (Democratic Alliance for the Betterment and Progress of Hong Kong – 民主建港協進聯盟) ou les communistes locaux, n’ont pas la confiance du gouvernement central et sont de manière générale très peu doués. Pour le moment, ils se basent sur la seconde génération des membres du Parti élevés à l’étranger. Mais ces gens manquent d’implantation locale et sont souvent corrompus. Ils doivent donc construire un nouveau parti communiste local ce qui n’a rien d’évident. Mais si l’opinion continue à pousser dans cette direction, ils n’auront pas le choix ».

Cependant, le projet d’Horace Chin n’est pas uniquement politique. En 2014, l’enseignant a créé HK Resurgence afin de promouvoir une certaine idée de la culture chinoise. Pour l’idéologue du mouvement localiste, « il s’agit d’une organisation culturelle » qu’il entend développer autour d’idées précises : « Je veux faire revivre les anciennes traditions chinoises à travers des cérémonies, des conférences et la publication de classiques. L’idée est de faire en sorte que les Hongkongais aient foi dans la culture chinoise mais dans une version modernisée. Par exemple, quand je prie les dieux, les femmes ont le droit d’être présentes. Nous essayons de relier certaines idées modernes, comme celle de démocratie, à des anciens textes chinois. Pour montrer qu’on peut moderniser notre culture et aboutir à une renaissance chinoise. Mais l’aspect essentiel tient dans le culte autour des cieux, de la lune et du soleil. Ce type de croyance a disparu avec la dynastie Qing. Et maintenant, les gens lisent Confucius comme de la philosophie, sans l’aspect religieux qu’il comportait avant. Or, lire Confucius sans ce coté religieux a aussi peu d’impact que de lire la Bible sans la foi qui va avec. Certaines personnes de mon propre camp ne me soutiennent pas dans cette entreprise mais je pense que c’est quelque chose d’important à faire ».

HK Indigenous et Civic Passion, les troupes de choc

Les principales organisations qui se chargent de promouvoir les idées d’Horace Chin dans les rues de Hong Kong se nomment Hong Kong Indigenous et Civic Passion. Très actives sur les réseaux sociaux, elles n’hésitent pas à mettre les mains dans le cambouis en manifestant avec vigueur contre les dysfonctionnements issus de l’application du principe « un pays, deux systèmes ». Leurs cibles sont le plus souvent des Chinois du continent : contrebandiers, immigrés illégaux ou retraitées dansant sur des chansons à la gloire du Parti communiste. Parfois polémiques, leurs actions n’en ont pas moins un grand impact sur le climat politique actuel.

« Nous sommes un groupe d’une cinquantaine de jeunes gens, nous sommes tous nés dans les années 1990 », explique Edward Leung, porte-parole de HK Indigenous. « Notre point commun, c’est d’être frustré par la situation politique et sociale actuelle, tout particulièrement après la « révolution des parapluies ». Le mouvement était mené par les leaders actuels de la société civile, y compris les pan-démocrates. Et nous pensons qu’ils n’ont pas fait assez pour mettre la pression sur le gouvernement. » Et il poursuit : « Nous avons occupé Central et Mongkok pendant près de trois mois mais nous n’avons rien obtenu au final. Or, la loi fondamentale prévoit que nous avons le droit d’élire le chef de l’exécutif au suffrage universel. Suite à cet échec, nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire. C’est comme ca que Ray Wong a créé HK Indigenous ».

Bannières des Hong Kong Indigenous lors d’une manifestation à Yuen Long le 1er mars 2015. (Crédit : EyePress News/AFP).

Et tout cela pour quel objectif ? « Notre but est de protéger les valeurs fondamentales de Hong Kong de manière plus radicale afin de pousser le gouvernement à agir. A l’heure actuelle, ces valeurs – que sont le principe d’égalité, le respect des droits de l’homme, l’économie de marché et la démocratie – sont en constante diminution depuis la rétrocession. » Edward Leung prend alors un exemple très parlant selon lui, qui rejoint le projet prôné par Horace Chin : la culture.
« Cela concerne également notre identité culturelle. Les Hongkongais parlent cantonais mais plus de 80 % des écoles primaires enseignent en mandarin. C’est un phénomène qui a lieu ailleurs en Chine : au Tibet, au Xinjiang… C’est la manière dont les communistes traitent les minorités. »
« Pour y parvenir, indique Edward Leung, nous cherchons à renforcer le sentiment d’appartenance à Hong Kong. Nous ne sommes pas comme les Chinois du continent. C’est un fait : nous parlons cantonais, nous écrivons en chinois traditionnel, nous sommes sous la common law, nous avons l’ICAC [Independent Commission Against Corruption, NDLR], nous croyons en la démocratie…. Et si nous voulons obtenir des résultats, nous devons agir par nous-mêmes. Les pan-démocrates ont l’habitude de négocier avec le PCC et nous en connaissons le résultat. Ray Wong a initié différentes actions comme les manifestations contre le commerce parallèle qui ont eu lieu dans les Nouveaux Territoires. Cela a créé un certain chaos, plusieurs d’entre nous ont été arrêtés mais il y a eu un résultat : les permis à entrées multiples ont été suspendus. »

Quand on évoque les critiques qui ont parfois pointé du doigt le caractère discriminatoire des localistes envers les Chinois du continent, allant jusqu’à dresser des parallèles avec certains mouvements d’extrême-droite en Europe, Edward Leung estime qu’il s’agit là d’un malentendu lié à une mauvaise promotion de leurs idées auprès du grand public. « Nous ne sommes pas racistes, se justifie-t-il. Notre credo, c’est un nationalisme civique. Quelle que soit votre origine, vos convictions, votre religion ou votre langue, vous pouvez faire partie de la communauté tant que vous êtes d’accord avec les valeurs fondamentales de Hong Kong et que vous respectez la culture locale. » Selon Leung, il s’agit donc de tout le contraire d’une posture raciste car ce qu’il entend promouvoir, « c’est une politique d’intégration civique qui se rapproche de ce que font beaucoup de pays en Europe ».

Youngspiration, la vitrine politique

La rue n’est pas le seul endroit qu’investissent les localistes. Les urnes sont également un autre front qu’ils souhaitent occuper. Et dans cette optique, le groupe de pointe se nomme Youngspiration. Baggio Leung, le fondateur et leader du mouvement, nous en livre la genèse : « Youngspiration a été créé le 20 décembre 2014, juste après la fin de la révolution des parapluies. Nous n’étions alors que cinq et la décision a été prise lors d’une séance de karaoké ! » Pour lui, Youngspiration partage le même socle idéologique que les autres mouvements localistes de l’île : à savoir « la protection d’une certaine idée de l’identité hongkongaise et du droit à déterminer notre propre futur ». Pour autant, malgré cette base commune, les moyens d’action diffèrent : « Nous pensons qu’il existe des moyens de faire avancer nos idées au sein du système, à travers les élections de district ou pour le conseil législatif. Cela ne nous empêche pas de rejoindre d’autres groupes localistes pour manifester dans la rue dans certains cas de figures mais nous voulons créer une troisième voie, entre les pro-Pékin et les pan-démocrates ».

Et lui aussi relève les critiques dont les localistes font l’objet. « Certains pensent que notre initiative aboutira à un affaiblissement du camp démocratique dans son ensemble mais quand vous vous réclamez comme démocrates, vous devez y croire pleinement. Le plus important, c’est que les gens aient le choix. Si vous ne croyez pas en ce que je propose, vous avez toujours la possibilité de voter pour quelqu’un d’autre. Mais, de toute façon, notre but est de dépasser les clivages et de toucher une frange d’électeurs qui n’est pas traditionnellement pro-démocrate. »

En effet, la naissance de Youngspiration est intimement liée à la « révolution des parapluies » et cette dernière a profondément transformé la vie politique honkongaise. C’est ce qu’explique Baggio Leung : « La révolution des parapluies a changé quelque chose à Hong Kong. Beaucoup de gens étaient politiquement neutres avant. Grâce à ces évènements, ils sont davantage au courant des questions politiques parce qu’ils se sont rendus compte que le gouvernement n’était pas forcement de leur côté. C’est un nouveau marché qui s’est créé en quelque sorte. Nous avons déjà pu le constater dans nos activités sur certains districts où nous avons des retours très positifs de gens âgés.”

Quand on évoque la question des moyens financiers ou humains, Baggio retorque sans concession : « Comparé aux pro-Pékin, les seules ressources dont nous disposons sont notre motivation. Ce qui fait que nous sommes toujours plus réactifs que nos adversaires. Par exemple, il y avait eu un cas potentiel de MERS à Tsing Yi (une île des Nouveaux Territoires) et le jour-même, nous étions présents pour distribuer des masques chirurgicaux aux habitants. Nous sommes également plus travailleurs. Nous sommes restés là jusque tard en soirée alors que les pro-Pékin venaient une heure pour faire acte de présence et repartaient immédiatement après. Beaucoup d’habitants de Tsing Yi ont apprécié notre implication ».

Youngspiration a présenté neuf candidats pour les élections de districts qui auront lieu en novembre prochain.

Localisme et establishment

L’influence grandissante des mouvements localistes n’a évidemment pas échappé aux différentes forces politiques qui dominent la ville depuis la rétrocession. Et à chacun d’expliquer le phénomène de manière différente selon son orientation politique.

Pour Regina Ip, une des membres de l’alliance pro-Pékin la plus connue, le développement des idées localistes tient uniquement au difficile contexte économique actuel : « La plupart des jeunes gens qui font partie de ces mouvements n’ont pas de travail. Ils y trouvent un moyen de manifester contre le fossé grandissant qui existe entre les riches et les pauvres et la difficulté qu’il y a d’accéder à la propriété. Entre 1970 et aujourd’hui, le salaire médian d’un jeune diplômé a été multiplié par 10 mais le prix d’un appartement a été multiplié par 120. » Et elle peut conclure : « Beaucoup de jeunes se sont tournés vers ce type de protestations parce qu’ils ne voient aucun espoir de mobilité sociale. »

Sa concurrente du Parti Démocratique, Emily Lau, a une approche plus nuancée : « C’est bien que ce types de groupes apparaissent. Mais ce qui me préoccupe, c’est leur tendance à la violence. Toute action politique doit être faite de manière pacifique et ordonnée. Et je m’oppose à la discrimination des Chinois du continent. S’ils se sont installés ici légalement, ce sont des Hongkongais. Ils ne devraient pas attaquer ces gens qui sont souvent dans des positions vulnérables. » Selon elle, une grande partie du problème vient de l’attitude du pouvoir central. “Pékin a aussi sa part de responsabilité. A chaque fois que l’on essaye de parler avec eux des problèmes de Hong Kong, ils n’écoutent pas. Mais quand les gens font preuve de violence, Pékin écoute. Donc, en un sens, Le gouvernement encourage la violence. C’est très inquiétant. Pékin devrait comprendre que certaines de leurs initiatives ne sont pas appréciées ici. »

Pour Fernando Cheung, vice-président du parti travailliste, l’apparition des groupes localistes représente rien de moins qu’un nouveau challenge pour le camp démocratique : « Je pense que les citoyens de Hong Kong doivent se faire à l’idée qu’une portion de plus en plus importante de sa jeune génération souhaite être autonome vis-à-vis de la Chine. Et plus le temps passera, plus il y a de chances que cette voix grossisse. Cela prend énormément d’énergie et de ressources pour négocier avec cette nouvelle force ». Selon lui, l’attitude du pouvoir central sera elle aussi déterminante dans l’évolution du mouvement : « Bien sûr, le gouvernement central considèrera cela comme une menace et si les demandes vont jusqu’à l’indépendance, ils ne manqueront pas de qualifier tout le camp démocratique comme des traîtres ».

Par Lam Kar Lok à Hong Kong

Entretien

Comment comprendre le sentiment anti-chinois ? Michael Degolyer est professeur de Sciences politiques à la Hong Kong Baptist University et
directeur du Centre de recherches « Hong Kong Transition Project ». Il répond aux questions de Baptiste Fallevoz, notre correspondant à Shanghai.

Pourquoi les jeunes semblent les plus concernés par ce sentiment « anti-chinois »?

Parce qu’ils sont, avec les retraités, les plus affectés par le malaise social de Hong Kong. Il faut savoir qu’entre 2000 et 2010, le salaire moyen des Hongkongais de moins de 40 ans a baissé de 10 à 15%. Cela s’explique notamment par l’ouverture des universités locales aux étudiants du continent, qui viennent ensuite concurrencer les locaux sur le marché de l’emploi. Cette compétition croissante tire les salaires vers le bas.

La concurrence se retrouve aussi dans l’accès aux logements publics. Beaucoup de jeunes Hongkongais ont des revenus trop importants pour avoir droit à ces appartements, mais ils sont en revanche trop pauvres pour acheter un bien immobilier.
Enfin, je parlais à l’instant des personnes âgées. Leur situation précaire a des conséquences directes sur la jeunesse. Dans la plupart des entreprises hongkongaises, vous partez à la retraite à 60 ans, mais commencez à toucher vos pensions à 65 ans. C’est un énorme fardeau pour vos descendants. Un de nos sondages récents montre que la moitié des jeunes de moins de 30 ans donnent de l’argent à leurs parents ou grands-parents. Tout cela crée beaucoup de frustrations.

Les touristes continentaux sont accusés de saturer Hong Kong, quelle est la part de vrai, quelle est la part de fantasme?

47,5 millions de touristes du continent sont venus à Hong Kong l’an dernier, la ville ne peut pas le supporter. Cela crée entre autres des files d’attente dans les magasins et un manque de place dans les bus. Mais il y a un problème particulier lié au tourisme du luxe auquel s’adonnent les continentaux. Le gouvernement local a privatisé en 2010 de nombreux espaces commerciaux situés dans des parcs HLM. Conséquence : les loyers ont grimpé. De nombreux petits commerçants qui vendaient des produits du quotidien ont mis la clé sous la porte. Ils ont été remplacés par des chaînes et des magasins de luxe. Beaucoup de jeunes et de personnes âgées vivent dans ces quartiers. Aujourd’hui, ils ne trouvent plus de produits de base près de chez eux et doivent circuler au milieu des continentaux quand ils sortent de leur appartement.

En réalité, les jeunes Hongkongais ont aujourd’hui l’impression de subir une triple concurrence venue du continent: une concurrence au travail, une concurrence pour les logements et même une concurrence dans l’accès aux commerces.

Comment expliquez-vous la violence de certaines manifestations « anti-chinoises » à Hong Kong?

Contrairement aux croyances répandues, la jeunesse hongkongaise croit de moins en moins dans le dialogue avec la classe politique. Les manifestations deviennent violentes car c’est le seul moyen d’amener le gouvernement à prêter attention aux demandes. Le dossier des vendeurs parallèles l’a d’ailleurs montré.

Par Baptiste Fallevoz à Shanghai

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Lam Kar Lok est journaliste indépendant basé à Hong Kong. Depuis 10 ans, il explore l'histoire coloniale et suit les développements politiques à l'oeuvre dans la ville.