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Analyse

Hong Kong : la démocratie impossible ?

Portrait d’un manifestant le 1er juillet 2015, date anniversaire de la retrocession de Hong Kong à la Chine, lors d’une manifestation pro-démocratique à Hong Kong
Portrait d’un manifestant le 1er juillet 2015, date anniversaire de la retrocession de Hong Kong à la Chine, lors d’une manifestation pro-démocratique à Hong Kong. (Crédit : Anthony Wallace / AFP)
Le 18 juin dernier, le conseil législatif de Hong Kong rejetait par 28 voix contre 8 la réforme qui affirmait permettre aux citoyens hongkongais d’élire le chef de l’exécutif au suffrage universel en 2017. Ce vote négatif est considéré comme une victoire pour le camp des démocrates. Il faut dire que la réforme présentée par Pékin limitait largement le suffrage universel par la création d’un comité électoral chargé d’écarter les candidats hostiles à la politique du gouvernement central. Pourtant, les logiques à l’œuvre dans ce débat sont plus subtiles qu’il n’y paraît. Le vote du 18 juin ne s’est pas passé comme prévu. Comment comprendre la stratégie de Pékin ? Le processus de démocratisation a-t-il encore un avenir dans l’ancienne colonie britannique ?
Un territoire incontrôlable au sein même de la Chine. C’est la hantise du gouvernement de Pékin à la vue de Hong Kong. Revenons au 1er juillet 2003. Plus de 500 000 Hongkongais descendent dans la rue pour manifester leur opposition à une nouvelle loi « anti-subversion », un amendement à l’article 23 de la loi fondamentale de la cité. L’ampleur inédite de la manifestation fait reculer Pékin et le projet de loi est abandonné. Pris d’angoisse, le gouvernement central lance alors une offensive majeure pour reprendre la ville en main.
« En réaction aux grandes manifestations de 2003, le comité permanent de l’Assemblée nationale populaire a créé une sorte de droit de véto de Pékin sur les projets de réforme, explique Sébastian Veg, directeur du Centre d’Etude français sur la Chine contemporaine (CEFC), basé à Hong Kong. La décision a été adoptée en 2004. Au départ, selon la loi fondamentale, le gouvernement local hongkongais pouvait proposer et faire voter une réforme et seulement après, informer le comité permanent de l’Assemblée nationale populaire du contenu de cette réforme. La nouvelle procédure implique un accord préalable de Pékin sur le principe même d’une réforme et ensuite sur le projet proprement dit. Ce cadre a un statut légal peu clair. L’idée est que Pékin doit avoir le droit d’éviter une crise constitutionnelle qui se produirait si l’exécutif hongkongais proposait un projet jugé inacceptable. Pékin a ensuite donné son feu vert en 2007 au suffrage universel, mais dans ce nouveau cadre. »

CONTEXTE

D’où vient l’aspiration démocratique à Hong Kong ? L’ancienne colonie britannique (1842-1997) n’était pourtant pas vouée à un gouvernement par le peuple. C’est bien durant l’ère coloniale que la question s’est posée en premier. Après la Seconde Guerre, le gouverneur Mark Young tenta le premier de faire participer les Hongkongais à la vie de la cité, pour affermir leur soutien à la Grande-Bretagne. Sa réforme fut enterrée mais l’élan était né. Il faut attendre 1980 et la perspective de la rétrocession à la Chine en 1997, pour voir un début de démocratisation : une dose de suffrage universel est alors discrètement introduite par les Anglais dans la création des conseils de district.

En 1984, les accords de rétrocession font promettre à la Chine d’accorder à Hong Kong une large autonomie dans la gestion des affaires courantes, ainsi que la sauvegarde durant 50 ans des droits et libertés publiques. C’est la doctrine conçue par Deng Xiaoping : « un pays, deux systèmes ». Le conseil législatif devait être choisi par des élections. A cette époque, les rapports de force actuels entre pro et anti-démocratie se mettent en place. Le gouvernement colonial propose dès 1985 des élections au suffrage indirect, mais la réforme est jugée trop tiède par les démocrates et trop extrême par les milieux d’affaires (les tycoons) et les alliés de Pékin. Plus encore, c’est le massacre de Tian’anmen le 4 juin 1989 – toujours commémoré par une veillée annuelle à Hong Kong – qui fait de la démocratisation un enjeu majeur dans la protection des droits du citoyen.

Partie cruciale des accords de rétrocession : la loi fondamentale de Hong Kong, sorte de mini-constitution, fixe le cap des réformes. Elle prévoit l’élection directe de 18 législateurs en 1991 puis de 30, soit la moitié du conseil législatif, en 2004. Selon les articles 45 et 68, le chef de l’exécutif et le conseil législatif seront « à terme » élus au suffrage universel direct. La victoire des démocrates en 1991 (17 sièges remportés sur 18 possibles), la nomination en 1992 du gouverneur Chris Patten, décidé à accélérer la démocratisation, se heurtent à l’hostilité de Pékin. Dès le retour de Hong Kong dans le giron de la Chine le 1er juillet 1997, le nouveau chef de l’exécutif désigné par Pékin, le tycoon Tung Chee Hwa, s’empresse de mettre fin aux expérimentations démocratiques.

La stratégie de Pékin : une « démocratie » sous contrôle

Le nouveau calendrier élaboré par Pékin prévoyait l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel en 2017. Mais le gouvernement central, bien décidé à conserver la haute main sur les affaires de la ville, s’était gardé un autre as dans sa manche qu’il finit par dévoiler le 31 août 2014, suite à un long exercice de consultation. Le comité électoral, qui jusqu’ici était le collège électoral chargé d’élire le chef de l’exécutif, deviendrait un comité de sélection des candidats. Ledit comité étant, par nature, favorable à Pékin et ses alliés, le gouvernement central se garantissait de facto un chef de l’exécutif conforme à ses désirs.
Un cadre à la fois logique et progressif du point de vue de Regina Ip, législatrice pro-gouvernementale, souvent présentée comme une potentielle candidate au poste de chef de l’exécutif. « Ce cadre, défend-elle, permet à Pékin de s’assurer que Hong Kong n’élise pas un chef de l’exécutif à couteaux tirés avec la Chine continentale ou incapable de sauvegarder la souveraineté nationale. L’article 45 de la loi fondamentale a toujours prévu l’existence d’un comité de nomination où les différents secteurs seraient représentés. Il est raisonnable, je pense, de demander à ce que les candidats soient à même de communiquer avec ces différents secteurs et d’obtenir leur soutien. Au final, cet arrangement donne aux citoyens de Hong Kong bien plus de pouvoir de décision dans le choix de leur leader, qu’ils n’en avaient lors de la période coloniale. C’est donc une grande avancée ! »
Cette position est rejetée par le camp pan-démocrate, pour qui la mise en place d’une telle sélection préalable des candidats équivaut à une absence de choix réel lors de l’élection. « Cette décision nous a porté un sacré coup, se rappelle Fernando Cheung, législateur démocrate sous la bannière du Parti Travailliste. Nous ne nous attendions pas à une position aussi restrictive de la part du comité permanent de l’Assemblée nationale populaire. » Une déception partagée par Emily Lau, sa consoeur du Parti Démocratique, la plus grande formation du camp pan-démocrate. « Bien sûr, nous nous attendions à ce que Pékin rende les choses difficiles, reconnaît-elle. Mais la décision du 31 août était vraiment inacceptable. D’autant plus que le gouvernement avait procédé à une longue consultation où plusieurs modèles de suffrage universel avaient été proposés. Mais Pékin a complètement ignoré ce rapport et a imposé un modèle de son cru. »
Quand le gouvernement tenta de continuer dans la même voie en proposant l’élection directe d’une partie des membres du conseil législatif en 1988, Pékin et le milieu des affaires (dont les intérêts ne cessaient alors de converger) surent faire entendre leurs voix pour retarder le processus jusqu’en 1991. Le massacre de Tien An Men en 1989 ne manqua pas d’exacerber les craintes de la population et d’une partie de l’élite gouvernante, faisant d’une plus grande démocratisation de la vie politique un enjeu majeur dans la protection des droits essentiels des citoyens de Hong Kong.

La pression décisive du mouvement des parapluies

Tout comme en 2003, la réforme proposée par le gouvernement chinois en 2014 donne lieu à une réaction populaire, menée en premier lieu par les étudiants, sous la forme du mouvement « Occupy Central », appelé aussi « mouvement des parapluies » (lire notre article). Si l’événement, qui dura du 28 septembre au 15 décembre 2014, ne fait pas plier l’exécutif de Hong Kong ni le gouvernement central, il permet d’accroître la pression sur les membres du conseil législatif appartenant au camp démocrate. En effet, pour ratifier l’élection de 2017, dans la forme voulue par Pékin, le conseil doit l’approuver par un vote aux deux tiers. Or, fort de 27 sièges sur 70, les démocrates avaient la capacité de bloquer la réforme. Ce qui n’allait pas forcément de soi avant la mobilisation surprise d’Occupy Central.
Un précédent avait en effet rendu possible un revirement in extremis. En 2010, les démocrates avaient juré de rejeter une réforme créant 10 sièges supplémentaires au conseil législatif, pour finalement qu’une partie d’entre eux votent cette réforme après une concession mineure de Pékin à la dernière minute.
Jeunes manifestants prenant en photos des installations de parapluies en papier symbôle du mouvement “Occupy Central”
Jeunes manifestants prenant en photos des installations de parapluies en papier symbôle du mouvement “Occupy Central”. (Crédit : ALEX OGLE / AFP)
Pour Sebastian Veg, le mouvement des parapluies a changé la donne : la pression de la rue a obligé les démocrates à « s’affirmer comme une force politique et à ne pas avoir d’opinion divergente sur l’opportunité de laisser passer cette réforme sur le fond ». C’est une question de stratégie politique, selon le directeur du CEFC : voter pour la réforme « aurait été très difficile pour le camp démocrate, dès lors qu’il n’y avait aucune concession du côté de Pékin, aucune ouverture au dialogue. Une fracturation du camp démocrate aurait probablement abouti à un autre mouvement des parapluies. »

Pékin échoue à faire plier les démocrates

Déterminé, le gouvernement chinois et ses alliés tentent malgré tout de faire plier le camp démocrate, en usant de tous les leviers à disposition, aussi bien pour influencer l’opinion publique les législateurs eux-mêmes. « Je pense que la réforme gouvernementale était soutenue à 60 % par la population« , souligne Regina Ip, citant des enquêtes d’opinion réalisées le 18 juin, jour du vote au conseil législatif.
« Bien sûr, au cours des mois qui ont tout juste précédé le vote, nous avions toujours la crainte que l’Histoire ne se répète à nouveau », se souvient Fernando Cheung.

Une peur que ne partageait pas Emily Lau, dont le parti avait pourtant rallié le camp pro-gouvernemental lors du vote de 2010. Aujourd’hui, elle avance les principes solidement partagés par le camp pan-démocrate.« Notre position a toujours été claire : nous voulons une élection qui donne un véritable choix aux électeurs. Or cette réforme ne le permettait pas. Si cela avait été une étape temporaire vers une vraie élection, cela aurait pu être envisagé. Mais nos adversaires disaient que c’était bien le suffrage universel promis par la loi fondamentale. C’était insultant. »

« Si nous avions voté pour la réforme gouvernementale, le nouveau chef de l’exécutif aurait pu se prévaloir de la légitimité découlant d’un mandat populaire, renchérit Fernando Cheung, alors même qu’une préselection des candidats aurait abouti à un choix en trompe-l’œil donné aux électeurs. En outre, nous aurions perdu la base légale de l’article 45 de la loi fondamentale pour réclamer des changements démocratiques. Cela n’aurait pas été intelligent. (…) Après la rencontre avec les responsables chinois à Shenzhen, il était clair qu’il n’y avait pas la moindre marge de manœuvre dans les négociations. A partir de là, j’étais certain que le camp démocrate voterait non en bloc. »

La surprise du vote : la maladresse des pro-Pékin

Contre toute attente, la surprise n’est pas venue du camp démocrate, qui comme prévu a rejeté le projet dans sa totalité, mais du camp pro-gouvernement. Pour provoquer une suspension de séance, une partie des législateurs favorables à Pékin sont sortis du conseil. Mais une mauvaise communication dans leurs rangs a mis à mal cette tactique : certains pro-Pékin sont restés en nombre suffisant pour que le vote ait lieu. Résultat : le refus minoritaire attendu (27 contre 43) s’est transformé en vote démocrate majoritaire (28 contre 8). « Personne n’avait vu venir un tel fiasco, pointe Emily Lau, moqueuse. Cela révèle [l’] incompétence [des députés pro-Pékin] aux yeux de tous. Je n’ai pas de mots assez forts pour décrire un tel ratage de leur part ! »
Aux yeux de Sebastian Veg, l’événement révèle surtout un camp pro-gouvernement beaucoup moins uni qu’il aimerait à le faire croire. « Rien n’est fortuit dans des situations pareilles. Il existe des lignes de fractures chez les pro-Pékin qui sont bien connues et anciennes. En particulier, l’élection du chef de l’exécutif CY Leung les avait divisé : les tycoons étaient très réticents à l’idée de voter pour lui, en particulier le parti libéral. Or le 18 juin dernier, c’est ce même parti libéral qui n’a pas eu l’information de sortir de la chambre pour ajourner le vote. Evidemment, il est impossible de savoir ce qui s’est exactement passé. Mais il est difficile d’imaginer que le parti libéral n’ait pas compris ce qui se jouait. D’autant que son président James Tien avait déjà provoqué en 2003 l’échec de la loi « anti-subversion » en démissionnant de l’exécutif de l’époque. Il a été également puni à l’automne 2014 [durant le mouvement des parapluies, NDLR] pour avoir suggéré que CY Leung devait démissionner. Il a été immédiatement exclu de la Conférence consultative politique du peuple chinois [l’honorifique chambre haute du Parlement à Pékin, NDLR]. Tout cela reflète donc des divisions plus profondes. »

No man’s land politique

Ce succès partiel du camp démocrate engage désormais la ville dans un no man’s land politique dont l’issue est difficilement prévisible. « A court terme, les démocrates ont remporté une victoire symbolique indéniable, analyse Sébastian Veg. Aux prochaines élections, il sera difficile au pro-Pékin de les accuser de saper le développement démocratique et de ne pas vouloir donner le droit de vote aux Hongkongais. Les pro-Pékin ont, eux, donné l’image d’un groupe désorganisé au mieux, incompétent au pire. Tous ont montré que leur seule crainte était ce que Pékin pouvait penser de la situation, révélant que l’opinion publique ou le bien de Hong Kong étaient le cadet de leurs soucis. Pour la frange très importante qu’est l’électorat du centre – il décide souvent des résultats des élections et s’était détournée du mouvement des parapluies avant la fin des manifestations –, ce fiasco aura certainement des conséquences pour les prochains votes. »
Portrait de Regina Ip lors d’une séance de dédicace de son ouvrage à HongKong le 18 juillet 2014
Portrait de Regina Ip lors d’une séance de dédicace de son ouvrage à HongKong le 18 juillet 2014 (Crédit : EYEPRESS NEWS)

Mais l’avenir est loin d’être ouvert pour le camp démocrate. « Pékin aura à cœur de mieux organiser son action politique à Hong Kong, affirme Sebastian Veg, en donnant encore plus de poids au bureau de liaison [l’organe qui représente directement le gouvernement central dans la ville, NDLR], et en faisant appel à des gens plus fiables au sein du parlement. » D’ailleurs, les législateurs ne se font guère d’illusions. « Nous n’avons rien gagné, mais au moins, nous n’avons pas perdu davantage, pose Fernando Cheung avant de prédire, réaliste :

« Après ce résultat, le gouvernement n’avancera sans doute pas de nouvelle réforme politique avant quelques années. Il y aura probablement une période de confusion et désillusion. »

Une position partiellement partagée par son adversaire politique Regina Ip, même si elle en tire des conclusions différentes : « A court terme, je ne vois pas Pékin rouvrir le débat sur de nouveaux changements constitutionnels. Mais je ne pense pas que le suffrage universel soit la solution à tous nos problèmes. Il importe surtout de mettre en œuvre des politiques efficaces pour réduire le fossé entre riches et pauvres, résoudre la crise du logement et restructurer l’économie de Hong Kong pour la rendre plus diversifiée et plus innovante. »

Quant à Emily Lau, elle veut s’inscrire dans la durée. Selon elle, la lutte politique pour la démocratisation de Hong Kong est loin d’être finie. « Je suppose qu’il n’y a rien d’autre à faire que de continuer notre combat. Nous avons toujours l’espoir d’aboutir à un Hong Kong démocratique. Et si nous n’y arrivons pas, il appartiendra à la génération suivante de poursuivre la lutte. C’est un processus très difficile, mais nous appartenons à la Chine, et nous devons faire avec cette réalité. »
Lam Kar Lok à Hong Kong

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A propos de l'auteur
Lam Kar Lok est journaliste indépendant basé à Hong Kong. Depuis 10 ans, il explore l'histoire coloniale et suit les développements politiques à l'oeuvre dans la ville.