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Expert - Politique chinoise

Chine : le Premier ministre Li Keqiang en danger ?

Le Premier ministre chinois Li Keqiang lors de son discours d'ouverture de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire à Pékin, le 5 mars 2016. (Source : Brookings)
Le Premier ministre chinois Li Keqiang lors de son discours d'ouverture de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire à Pékin, le 5 mars 2016. (Source : Brookings)
Si le Premier ministre Li Keqiang était une matière première, son cours en bourse serait aujourd’hui au plus bas. Ce lundi 5 mars, le chef du gouvernement chinois a ouvert comme il se doit la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP). Mais les apparences n’ont jamais été aussi cruelles. Sauf coup de théâtre, l’ANP doit notamment entériner la fin de la limitation à deux mandats pour le président de la République, ouvrant la voie à un « mandat à vie » pour Xi Jinping. Et le pouvoir de Li Keqiang dans tout cela ? Il continue de se réduire à une peau de chagrin : en préparation de la session parlementaire, il a perdu son « bras droit », Yang Jing (杨晶). Secrétaire en chef du Conseil d’État (le nom officiel du gouvernement que Li préside), Yang a été démis de ses fonctions le 24 février dernier, soit quelques semaines avant le début de la session du Parlement et l’annonce du nouveau cabinet. Pris dans les mailles de la « campagne anti-corruption » lancée par Xi – une attaque massive contre « l’ancien régime » dominé par le réseau de Jiang Zemin -, la chute de Yang succède à celles d’autres figures, dont notamment Ling Jihua, l’ancien « bras droit » de Hu Jintao, le « parrain » de Li Keqiang.
*Yang Jing vient en fait remplacer Ma Kai, un des hommes de Zhu Rongji sur trois postes en 2013 du fait de sa nomination en tant que vice-premier ministre.
Connu comme le secrétaire particulier du Premier ministre, Yang Jing, né en 1953, a passé près de 30 ans en Mongolie-Intérieure. En 2008, il entre au département du Front Uni avant d’être transféré au secrétariat central en 2012. Il deviendra secrétaire du conseil d’État en 2013*. Il semble que cet allié de Li ait été limogé à case de ses autres « relations ».

« Tomorrow Holdings », le Front Uni et la Mongolie-Intérieure : Yang Jing, un homme du compromis

*Il aurait connu Ling lorsqu’il était directeur du bureau de la propagande des Jeunesses communistes dans les années 1990.
Malgré sa formation « tuanpai » (nom de la faction de la Ligue des jeunesses communistes structurée par Hu Jintao), Yang Jing s’est associé à Li Keqiang très récemment, en 2012. En ce sens, ses affiliations précédentes sont probablement la cause de sa chute précipitée. Son expérience prolongée en Mongolie-Intérieure fait de Yang Jing un proche des hommes de Jiang Zemin, dont notamment Liu Yunshan (considéré parfois comme un « Duc » de la Mongolie-Intérieure) et de Chu Bo (储波, né en 1944), surnommé le « Roi » de la Mongolie-Intérieure – 蒙古王). ce dernier était un allié de Jiang Zemin et de son ancien vice-président Zeng Qinghong. Ainsi, son transfert vers le département du Front Uni en 2008 le placera plus tard directement sous la supervision Du Qinglin (杜青林) jusqu’en 2012, et ensuite de Ling Jihua, avec lequel il renouera le contact*.
Cette affiliation à Ling Jihua a poussé Wang Qishan à enquêter sur Yang au même moment que sur Sun Zhengcai (lire notre article sur sa chute spectaculaire). Dans le cas de Yang, on ne parle pas de l’association du Shanxi, mais plutôt des « Tomorrow Holdings », dirigés par Xiao Jianhua, lui-même mêlé à « l’affaire de la banque Minsheng ». Ces mêmes holdings abriteraient l’argent d’autres dirigeants déchus. Si tel était le cas, Yang Jing sera épinglé avec l’ancienne « bande du Jiangsu », affiliée à Jiang Zemin, sans pouvoir en référer à Li Keqiang. Même si Yang est peut-être davantage un homme de « l’ancien régime » de Jiang que de Li, l’actuel Premier ministre n’a clairement pas apprécié le traitement que Wang Qishan puis Zhao Leji ont réservé à secrétaire particulier. En l’occurrence, les deux patrons de la commission discipline ont appliqué un bon vieil adage : « Saisir d’abord, prouver ensuite » (先斩后奏).

Une fin de session parlementaire sans doute mouvementée

La chute de Yang intervient en plein remaniement des effectifs stratégiques du Conseil d’État sont en plein remaniement. D’important changements sont à prévoir dont la nomination de Wang Xiaohong (王小洪), l’actuel vice-ministre de la Sécurité publique à la tête de la Défense nationale ; un système fonctionnel encore « occupé » à certains endroits par la « clique du Jiangsu ». Pour l’heure, plusieurs questions demeurent en suspens, dont l’avenir-même de Li Keqiang : aura-t-il encore des alliés au Conseil d’État ? Pire encore : lui permettra-t-on de rester à la tête du gouvernement ?

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.