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Chine : l'armée renforcée de Wang Qishan contre la corruption

Bras droit de Xi Jinping, Wang Qishan s'est retiré de la commission centrale de discipline du Parti en laissant derrière lui une armée de fidèles.
Bras droit de Xi Jinping, Wang Qishan s'est retiré de la commission centrale de discipline du Parti en laissant derrière lui une armée de fidèles. (Source : Quartz)
« Chasser les tigres et écraser les mouches » (打虎拍蝇 – dahu paiying). Le slogan date de 2014. Choisi en pensant à la chute de Zhou Yongkang, le premier tigre, il a transformé la mission de la commission disciplinaire du Parti. La désormais terrible « jiwei » était depuis le début des années 1990 sous le contrôle des hommes de l’ancien président Jiang Zemin. C’était jusqu’à l’arrivée de Wang Qishan à sa tete, propulsé par Xi Jinping pour accomplir la plus retentissante campagne de rectification des cadres depuis des années. Lors du 19ème Congrès en octobre dernier, le président Xi a choisi de respecter la règle tacite du depart à la retraite à 68 ans révolus : Wang a dû se retirer en novembre. Est-ce la fin d’une époque ? Rien n’est ,oins sûr. Pour remplacer Wang Qishan, Xi Jinping a choisi un proche allié, Zhao Leji, tout aussi motivé que son prédécesseur. Après environ quatre années de purges incessantes, Wang laisse une « jiwei » changée en profondeur, déracinée de « l’ancien régime » – celui dominé par Jiang Zemin. Aujourd’hui, nombre de ses nouveaux membres sauront rester fidèles au nouveau régime de Xi Jinping, dont un certain Zhou Liang.

Zhou Liang, la relève indéfectible de Wang Qishan

*Cui Peng est actuellement vice-ministre de l’Inspection, Li Xiaohong fait partie du groupe central de l’inspection; Yang (anciennement au bureau des taxes de Pékin) est actuellement secrétaire adjoint de la jiwei.
Figure incontournable de la 7ème génération, Zhou Liang (周亮), est le secrétaire de Wang Qishan depuis son passage dans le Guangdong (1997-2000). Il a suivi son patron dans le burau des réformes économiques du Conseil d’État, puis au bureau des affaires générales de Hainan et Pékin. Durant son passage dans la capitale entre 2002 et 2012, Zhou fut aussi en charge de la gestion du personnel au bureau des affaires générales [人事行政主管]. C’est alors qu’il est entré en contact avec beaucoup d’autres membres de la « clique » de Wang Qishan, dont Cui Peng (崔鹏, né en 1964), Li Xiaohong (黎晓宏, 1953) et Yang Xiaochao (杨晓超, 1958)*.
*Ce dernier fut placé en mars 2015 à la tête du groupe d’inspection de la jiwei pour le Congrès national du Peuple (中央纪委驻全国人大机关纪检组长). Zhang joua ainsi un rôle clé dans le retrait préventif de certains cadres en vue du 19ème Congrès.
Zhou Liang est né en 1971 dans le Hunan qu centre de la Chine. Les dates exactes de ses entrées et sorties de fonction demeurent floues, excepté lorsqu’il fut nommé vice-directeur du département de l’organisation de la commission disciplinaire en mars 2015. En août de la même année, il remplace Zhang Lijun (张立军, 1955) comme directeur de ce département*. En l’espace de cinq mois, il passe donc du rang préfectoral au rang vice-ministériel. On sait aussi que Wang Qishan l’avait placé en 2013 à ses côtés en tant que secrétaire-général adjoint de la jiwei. À son arrivée, il fut introduit à Yang Xiaodu (杨晓渡, 1953), alors secrétaire-adjoint de la commission, et à Li Xinran (李欣然, 1972), l’actuel directeur du groupe au sein de la jiwei pour la commission de la régulation bancaire. En novembre dernier, Zhou Liang est promu vice-président de la commission de la régulation bancaire – sous l’autorité de Guo Shuqing. Il retrouve alors Li Xinran pour passer au peigne fin le secteur bancaire chinois, si cher à Wang Qishan.

L’organe central et ses tentacules provinciales : une commission remise à neuf

*Pourcentages calculés sur le nombre d’individus « factionnellement identifiables » au premier degré.
À son départ de la commission disciplinaire, Wang Qishan laisse à Zhao Leji une « machine à purges » prête à l’action, avec une direction complètement remaniée par lui, à une exception près. Sur les 133 membres de la Commission centrale, plus de 17% sont des alliés directs de Wang ou de Xi Jinping, et une grande majorité demeure « sans attache ». En 2012, cette même commission comptait seulement 12 alliés, soit 9% de l’équipe Xi-Wang, contre 20% encore attaché à « l’ancien régime ». Le réseau de Jiang Zemin n’y représente plus que 5% en 2017*.
Wang laisse aussi à Zhao Leji une scène provinciale remise à neuf. L’ensemble des représentants de la commission disciplinaire – sauf 3 sur 31 – sont en poste depuis environ une année ou moins. Dans leur grande majorité, ce sont des « parachutés » (空降, kongjiang) sans affiliation particulière – à quelques noms près. On ne retrouve quasiment aucun membre encore affilié à l’ancien secrétaire He Guoqiang, l’homme de Jiang Zemin.

Et le ministère de la Supervision ?

Yang Xiaodu est un personnage méconnu mais très puissant. Membre du Politburo depuis octobre, il n’est pas seulement le bras droit de Zhao Leji au sein de la commission disciplinaire. Ministre de la Supervision, il est de surcroît directeur du bureau national pour la lutte anti-corruption. Ancien « zhiqing » (jeune instruit envoyé à la campagne par Mao) dans l’Anhui, il reviendra aux études en 1973, en médecine. Il démarre sa carrière politique au Tibet en 1992 puis devient vice-gouverneur de la région autonome en 1998, à 45 ans. Il est ensuite rapatrié à Shanghai comme vice-maire de la ville en 2001, année où il rencontre Wang Zhongwei (王仲伟, né en 1955), futur aide de camp de l’actuel Premier ministre Li Keqiang. Mis de côté par la force encore imposante des hommes de Jiang Zemin et de Han Zheng, Yang fera du sur place jusqu’en 2012. Wang Qishan le place alors à la tête de la commission disciplinaire de Shanghai afin d’amorcer le « nettoyage » de la municipalité. C’est encore Wang Qishan qui le ramène en 2014 au cœur de la commission disciplinaire, puis le nomme avant de partir à la tête du ministère de la Supervision.
Étant donné que ses 4 ministres-adjoints ont été tous promus en 2017, Yang a devant lui le champ libre pour appuyer les efforts renouvelés de Zhao Leji. Même le petit groupe central dirigeant sur l’inspection est dirigé par un proche de Wang Qishan, Wang Hongjin (王鸿津, 1963). Ce dernier, avant de succéder au secrétaire de Wang, Li Xiaohong (黎晓宏, 1953), était le directeur du groupe d’inspection lié à la banque centrale (2016-2017), sous les ordres directs de… Wang Qishan.

L’armée de Wang Qishan

*Liu Shiyu, Li Chao et Fang Xinghai sont d’anciens alliés de Wang au sein du secteur bancaire dans les années 1990.
Outre « l’armée de la jiwei », Wang a su placer d’autres de ces hommes à des postes clés qui sauront aider Xi Jinping dans ce mandat de transition. En première ligne, les cadres liés à son « équipe de Pékin » dont Zhao Fengtao (赵凤桐, 1954), qui pourrait devenir ministre des Ressources naturelles en 2018, et Lin Duo (林铎, 1956), le « nettoyeur » du Liaoning et le « remplaçant » de Wang Sanyun dans le Gansu (lire notre article). On pense aussi à d’autres membres influents de la commission disciplinaire comme Dong Hong (董宏, 1953) : cet allié de Wang Qishan du temps où il officiait dans le Guangdong, fut d’abord nommé à la commission pour la réforme et le développement au début des années 2000, avant d’occuper à présent le poste de chef d’équipe centrale d’inspection. Enfin, impossible d’omettre l’influence grandissante de Wang Qishan dans le secteur bancaire, par le biais notamment de Liu Shiyu (刘士余, 1961)*, président de la commission de régulation des valeurs mobilières, Li Chao (李超, 1965) et Fang Xinghai (方星海, 1964), tous deux vices-présidents de la même commission.
Ces coups millimétrés, surtout dans les secteurs financier et bancaire, poussent vers la sortie les membres de la faction des réformes (改革派, gaigepai), comme Zhou Xiaochuan, l’actuel gouverneur de la banque centrale, et Guo Shuqing pour ne nommer qu’eux. En cumulant à la fois les postes de direction et les postes de supervision (comme il en sera éventuellement question avec Zhou Liang et Li Xinran), Wang assure à Xi Jinping un double contrôle sur le secteur des finances.
Ces craintes font aussi écho à la mutation de l’aide numéro un de Zhou Xiaochuan, Zhang Xiaohui (张晓慧) le 22 décembre dernier et aux rumeurs grandissantes concernant la reprise de la banque centrale par Jiang Chaoliang (蒋超良, 1957) – aide de longue date de Wang Qishan et actuel secrétaire du Hubei. Jiang a passé la grande majorité de sa carrière dans la banque avant d’être muté en 2014 au Jilin. Ce qui nous rappelle le cas de Guo Shuqing au Shandong entre 2013 et 2017. Ce faisant, le retour de Jiang pourrait aussi indiquer le départ d’un autre cadre vers le Hubei afin d’y faire sa « formation » provinciale. En ce sens, Liu Shiyu, qui ne possède aucune expérience en province, semble tout indiqué pour devenir gouverneur du Hubei.
Tranquillement, les pions de Wang Qishan avancent vers le sommet des secteurs clés de la réforme, tout en étant protégés par Zhao Leji qui lui continue de traquer les factions régionales non rattachées à Xi Jinping. Le début de l’année 2018 promet des changements importants qui feront suite au départ de Zhou Xiaochuan, annoncé pour bientôt, et à la formation du nouveau gouvernement, attendu pour mars prochain lors de la session parlementaire à Pékin.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.