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Expert - Politique chinoise

Chine : la chute d'un "prince rouge" dans le Gansu, 3 noyades et 1 pendaison

C'est en se jetant dans le fleuve Jaune, ici à Lanzhou, capitale provinciale du Gansu dans le Nord-Est chinois, que se sont suicidé trois dignitaire du Parti provincial, afin d'échapper aux tourments de la "lutte anti-corruption lancée par Xi Jinping. Ils étaient liés à son pire ennemi : l'ex-président Jiang Zemin. (Crédits : ImagineChine / Hu Junjia / via AFP
C'est en se jetant dans le fleuve Jaune, ici à Lanzhou, capitale provinciale du Gansu dans le Nord-Est chinois, que se sont suicidé trois dignitaire du Parti provincial, afin d'échapper aux tourments de la "lutte anti-corruption lancée par Xi Jinping. Ils étaient liés à son pire ennemi : l'ex-président Jiang Zemin. (Crédits : ImagineChine / Hu Junjia / via AFP
La chute de Wang Sanyun, « prince rouge » du Gansu, remonte au mois de juillet dernier. Avec le recul, elle n’était qu’une étape de plus dans le « nettoyage » imposé par Xi Jinping avant le 19ème Congrès. Ancien secrétaire du Gansu (2011-2017) et gouverneur de l’Anhui (2007-2011), ce « général » de la faction des Jeunesses communistes (tuanpai) doit en grande partie sa chute à sa proximité avec l’ancien chef de cabinet de Hu Jintao, soit le fameux Ling Jihua. Souvent considéré comme représentant à la fois de Hu et de Jiang Zemin, via ses liens avec Ling, Wang demeurait un vestige de « l’ancien régime » – comprendre : la période avant l’accès de Xi Jinping au pouvoir. Un vestige à « dégager » aux yeux du numéro un chinois.

Wang Sanyun, simplement un autre « Prince rouge » déchu?

*Peng a été de 1998 à 2003 vice-présidente du comité permanent de l’Assemblée nationale populaire ainsi que présidente de la Fédération chinoise pour les femmes de 1998 à 2003.
Wang Sanyun fait partie de « l’aristocratie rouge » à Pékin. Il est le fils de Wang Hanbin, un ami proche de Deng Xiaoping et vice-président de l’Assemblée nationale populaire de 1988 à 1998, et de Peng Peiyun – directrice de la commission pour la planification familiale de 1988 à 1998*. Soit deux figures importantes ayant connu la Révolution culturelle et plus tard en première ligne dans la mise en place des Réformes. Pour comprendre son parcours, il faut savoir que Wang Sanyun est avant tout un vétéran des provinces du centre-ouest de la Chine : l’Anhui, le Sichuan, le Guizhou et plus au nord, le Gansu.
Wang commence sa carrière politique dans le Guizhou. Il est nommé secrétaire provincial pour les Jeunesses communistes en 1990. C’est d’ailleurs dans la même province en 1987 qu’il rencontre Hu Jintao, alors secrétaire provincial, et sa femme. Wang est alors membre du comité permanent de la ville de Guiyang. Il se rend en 1998 à l’école centrale du Parti, endroit où il retrouve le même Hu Jintao.
*Il en paiera d’ailleurs le prix : il sera placardisé à la Conférence consultative politique dès 2013.
Deuxième étape pour Wang Sanyun : il est envoyé dans le Sichuan, aux côtés de Zhou Yongkang, un proche de Jiang Zemin et de Ling Jihua. C’est ainsi que les liens entre Wang et Ling, qui remontent aux années 1990, vont se solidifier tout au long des années 2000. Wang Sanyun et Zhou Yongkang quitteront le Sichuan en octobre 2002. Alors que Zhou entre au Politburo, Wang sera envoyé dans le Fujian aux côtés de Song Defu, considéré proche de Hu Jintao, de Li Keqiang et de Ling Jihua (tous d’anciens des Jeunesses communistes) et de Lu Zhangong jusqu’en 2007. Ce dernier, l’un des proches de Jia Qinglin, membre de la clique de Jiang Zemin, refusera de soutenir Xi Jiping*.
En 2007, Wang est envoyé dans l’Anhui afin de seconder Wang Jinshan, allié de Jiang Zemin, au rang de secrétaire-adjoint puis de gouverneur. Wang Sanyun devient ensuite secrétaire provincial du Gansu en 2011, soit cinq ans après Su Rong et son bras droit Wang Xiankui. Tous deux sont des alliés de Jiang Zemin. Mais Su est mis en examen dès 2014 et c’est le début de la chute pour Wang. Après avoir été secrétaire du Heilongjiang (2013-2017), il est placé en dehors du comité central à partir de novembre 2017. Son remplaçant, Lin Duo, est un allié de Wang Qishan avec qui il a travaillé à Pékin.

Noyades et pendaison : le « ménage » anticipé au Gansu

La mise en examen de Wang Sanyun le 11 juillet dernier après trois mois au placard, ne surprend alors personne. Alors que Xi et Wang Qishan se préparent pour le 19ème Congrès, le « ménage » doit s’intensifier. Il culmine avec la chute de Sun Zhengcai treize jours plus tard. Dans le Gansu, la campagne se traduit par 16 mises en examen au plus haut niveau de la province entre mars 2016 et novembre 2017. Autrement dit, l’opération commence bien avant la chute de Wang Sanyun. Puis les choses s’enchaînent brutalement. Entre mars et avril derniers, pas moins de trois haut cadres se suicident en sautant dans le fleuve Jaune à Lanzhou, la capitale provinciale. Un quatrième est retrouvé pendu chez lui. Le seul « rescapé », pour l’instant, s’appelle Liu Weiping, l’ex-gouverneur provincial, mis en examen en mars 2016. Sans affectation depuis, Liu est le secrétaire de Wu Guanzheng, une figure importante de la bande du Jiangsu de Jiang Zemin.

« Retourner jeter un œil » et la maladie du Gansu

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Désormais, le fameux « retourner jeter un œil » (回头看 – hui tou kan) est la hantise de tous les cadres provinciaux. Il démontre chez Xi Jinping la volonté de ne pas faire de quartier lorsqu’il s’agit des hommes et de la corruption liés à la Chine de Jiang Zemin. Le cas du Gansu témoigne également à quel point la « maladie » pouvait s’être enracinée. Un adage du Parti formule le virus : « Amener la maladie [la corruption] dans les promotions, amener la maladie dans l’offre de postes » (带病提拔, 带病上岗). Ce faisant, avec un Wang Qishan retraité et un Zhao Leji qui semble particulièrement motivé pour continuer son « œuvre » à la tête de la commission de discipline, il est permis de penser que d’autres « baronnies » liées aux réseaux de Jiang Zemin feront l’objet d’un « examen approfondi » au cours des prochains mois. A commencer peut-être par Chongqing.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.