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Expert - Politique chinoise

Chine : Xi Jinping, président sans limite, avec Wang Qishan, vice-président ?

Xi Jinping, président à vie de la Chine ? (Source : Los Angeles Times)
Xi Jinping, président à vie de la Chine ? (Source : Los Angeles Times)
C’est acté. Le Comité Central du Parti communiste chinois a ouvert toutes les perspectives à Xi Jinping en acceptant de changer la Constitution. Parmi ces changements, la limite à deux mandats de cinq ans pour le président – et son vice-président – a été supprimée. Elle avait été « imposée » en 1982 dans la nouvelle Constitution, marquant la transition post-Mao sous l’égide de Deng Xiaoping. Ce changement, d’une extrême importance pour le système politique chinois suggère une volonté accrue de Xi de demeurer en poste. Une volonté plus forte encore que sa lutte anti-corruption ou ses remaniements sur un échiquier provincial complètement en sa faveur depuis la fin 2016. La démarche concerne aussi l’avenir de Wang Qishan, ancien patron de la commission de discipline, néo-retraité depuis octobre et le 19ème Congrès, mais qui pourrait faire son « retour » au sommet de l’État.
Xi Jinping n’avait nullement besoin de s’accrocher à un poste formel après 2022, tant il a assuré son influence présente et future au sein de l’élite du Parti. Mais il provoque ici une rupture formidable entre la Chine de Jiang Zemin et la sienne. Lui qui n’a pas nommé de successeur potentiel pour 2022, se pose en figure de la transition dans l’attente d’un « jiebanren » (接班人), un héritier plus « convenable » à ses yeux.
Cette continuelle claque administrée aux alliés de Jiang en effaçant les « règles » mises en place sous Deng, inquiète à juste titre les observateurs externes. Xi Jinping est à présent le leader le plus influent depuis Jiang Zemin – en matière d’alliés présents dans le temps – et devient le second en importance après Mao. Ce qui n’augure rien de bon pour l’institutionnalisation du Parti-État ni pour son système de gouvernance, devenu routinier depuis les années 1990.
Ce changement pour le président et le vice-président vient donner du poids à une rumeur montante. Wang Qishan pourrait faire un retour sur la scène politique comme vice-Président aux côtés de Xi (avec les conditions à la clé). L’ancien tsar de la commission de discipline du Parti remplacerait alors Liu Yunshan. Les observateurs auront remarqué que Wang, malgré sa retraite officielle au 19ème Congrès, n’a pas été mentionné le 13 février dernier sur sur la liste des « vieux camarades » (老同志 – laotongzhi), ou cadres retraités. Si la rumeur se confirmait, la « descente de la montagne » (出山 – chushan) de Wang Qishan aura été de courte durée. Cela traduirait d’autant plus chez Xi la volonté de rompre avec le statu quo de la Chine des années 90. Ce pourrait être compris aussi comme une récompense pour avoir fait le sale boulot – la chasse aux alliés de Jiang Zemin – à la place du président. Si le vice-président demeure historiquement un poste de seconde zone, tout dépendrait alors de la latitude que Xi accorderait à Wang.

Wang Qishan, l’éternel retour ?

Vice-président et non membre du Politburo, Wang Qishan deviendrait alors un cas particulier, sans pour autant prétendre pouvoir changer l’institution de la vice-présidence. Cependant, un tel « retour au pouvoir » serait mieux décrit comme un retour « près du pouvoir », et surtout près de Xi. Wang est un ancien homme de Zhu Rongji, l’ex-Premier ministre : il a été formé dès les années 1980 et 1990 à la gouvernance intérieure dans de multiples secteurs. Il a acquis la réputation de « chef des pompiers » (救火队长 – jiuhuo duizhang), tant il a prouvé sa fiabilité à gérer des situations très problématiques. Cette alliance est d’autant plus importante que Wang Qishan a la clé de « l’équilibre » du pouvoir de Xi.
Quel serait alors le rôle de Wang ? Celui dont le nom fait encore trembler dans toutes les instances du Parti-État, pourrait superviser les ministères et les commissions tout en assurant, par son envergure, la consolidation du pouvoir autour de Xi, aujourd’hui et demain. Wang Qishan en tant que numéro 2 de facto est l’une des personnes-clés dont le président a besoin pour mener à terme (si tel est vraiment le cas) le changement de cap institutionnel et constitutionnel en matière de restrictions sur le pouvoir. Wang serait également dans les petits papiers de Xi pour surveiller les relations avec Hong Kong et Macao depuis la « révolte des parapluies ».
La transition de Wang Qishan à Zhao Leji à tête de la commission disciplinaire a signalé un léger changement d’orientation dans la lutte anti-corruption. Elle est désormais étendue à l’ensemble de la société, aux autres formes d’activités jugées « illicites » (黑运动 – heiyundong), et non plus seulement aux membres du Parti. Mais elle s’inscrit aussi dans la continuité avec la tactique de Wang Qishan : on le voyait souvent « disparaitre » un temps avant qu’un « tigre » (un responsable corrompu de premier plan) n’apparaisse. Zhao Leji en fera-t-il de même ?

L’impasse du consensus ?

*Tang Tsou, « Chinese Politics at the Top: Factionalism or Informal Politics? Balance-of-Power Politics or a Game to Win All? », The China Journal, no. 34 (July 1995), 95-1 56.
L’obligation de retourner à Zou Dang [邹谠] (1918-1999)* – qui proposait notamment que la joute factionnelle chinoise soit fondée sur le principe du « winner-takes-all », remet en cause une grande partie de la littérature portant sur les élites chinoises et leurs équilibres. Mais surtout, elle soulève une question importante quant à la structure du pouvoir en Chine : les efforts de Xi tendent-ils à renverser l’équilibre du pouvoir au sein du Parti vers sa personne ? Et cela, au détriment-même du Parti ? La politique de Xi Jinping dite du « bandi » (班底) ou « groupe rapproché » est ouvertement fondée sur la confrontation, au détriment de l’approche consensuelle. Elle a poussé la joute factionnelle vers une lutte à armes inégales, mais surtout à principes inégaux. Par exemple : ne pas attaquer les membres de la famille, laisser en paix les cadres à la retraite, ou encore respecter un minimum les « aînés » (comprendre : les vieux apparatchiks) et l’équilibre des factions. Voilà autant de principes que le président chinois ne veut plus respecter. Pour voir se concrétiser ou non ces grands changements, il reste maintenant à attendre mars prochain et la double session parlementaire, qui « élit » les dirigeants de l’État pour un nouveau mandat de cinq ans.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.