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Analyse

Chine : Xi Jinping n'est pas maître absolu de l'échiquier politique en province

Le président chinois Xi Jinping en visite dans la province du Henan au centre du pays, le 18 septembre 2019. (Source : SCMP)
Le président chinois Xi Jinping en visite dans la province du Henan au centre du pays, le 18 septembre 2019. (Source : SCMP)
Une fois de plus, la valse des nominations à la tête des gouvernements provinciaux bat en brèche l’idée d’un pouvoir absolu de Xi Jinping sur la Chine. À l’heure où les gouverneurs et les secrétaires de partis atteignent l’âge de la retraite anticipée ou de la promotion nationale, les négociations entre les différentes factions du pouvoir central sont éloquentes. Le dernier plenum du PCC a donné le ton. Exemple dans le centre du pays.

Siège éjectable à double détente

*Liu Qi, responsable en parti du blocage de Wang Qishan à Pékin après le départ de Meng Xuenong, ne réussira pas à faire prévaloir Qiang Wei sur Wang.
La « retraite » forcée de Luo Huining (骆惠宁) est édifiante. Né en 1954, ce vétéran provincial de l’Anhui, du Qinghai et du Shanxi dont il était secrétaire du Parti a été mis à l’écart autour du 30 novembre dernier. « Grand secrétaire particulier » (大秘) de Hui Liangyu (回良玉), membre du Politburo de 2002 à 2012 et l’un des alliés de Jiang Zemin et de Zeng Qinghong, Luo quitte la scène politique comme son prédécesseur du Qinghai, Qiang Wei (强卫, 1953). Ce dernier était à la fois l’un des protégés de l’ancien secrétaire de Pékin, Liu Qi (刘淇)*, et l’allié de Ling Jihua, membre présumé de la « Nouvelle Bande des Quatre » autour de l’étoile déchue du PCC, Bo Xilai. À la différence de Qiang Wei, Luo n’aura cependant pas eu le privilège de tutoyer les sommets du pouvoir dans les commissions de l’Assemblée nationale populaire à Pékin. Dans le Shanxi, il a certes remplacé l’un des lieutenants importants de la « bande du Jilin » en 2016 : Wang Rulin (王儒林, 1953). Mais si Wang a été écarté à l’instar de Qiang Wei, il a laissé Luo au poste de secrétaire provincial dans l’attente d’être évincé à son tour.
*Désormais secrétaire de Tianjin et membre du Politburo.
C’est Lou Yangsheng (楼阳生, 1959) qui viendra le déloger. Membre de « l’armée du Zhejiang », le socle du pouvoir de Xi Jinping, ce Lou avait auparavant assuré une courte mission au département de l’Organisation à Hainan sous la direction de Wei Liucheng (卫留成, 1946), un homme de Zhou Yongkang et de Zeng Qinghong. Lou Yangsheng avait ensuite été envoyé dans le Hubei pour occuper le même poste pendant deux ans de 2012 à 2014, la période minimum avant une promotion accélérée. C’est après ce bref passage sous la direction de Li Hongzhong (李鴻忠, 1956)* que Lou est nommé gouverneur du Shanxi en août 2016. La province est célèbre pour son « club » de cadres inféodés à Ling Jihua. Lou Yangsheng se retrouve aux côtés de l’ancienne garde : Wang Rulin et Luo Huining. Les deux responsables sont alors sur un siège éjectable à double détente.
Pour prendre la place de Luo Huining à la tête du Parti provincial en novembre dernier, Lou Yangsheng n’aura eu qu’à patienter trois années. Soit le temps que Luo atteigne les 65 ans, âge auquel les cadres de premier plan en province doivent se retirer s’ils n’obtiennent pas de promotion au rang vice-national. Début décembre, Lin Wu (林武, 1962), originaire du Fujian en poste au Shanxi depuis mai 2018, a été promu gouverneur à la suite de Lou. Lin, qui semble être un « parachuté », possède quand même des liens avec la « bande du Hunan » (Mei Kebao, Zhou Qiang, Zhang Chunxian, Chu Bo ou Yang Zhengwu), le plaçant ainsi plus près de « l’Ancien régime » de Jiang Zemin que des hommes de Xi Jinping.

Xi Jinping « perd » une position dans le Henan

*All China Federation of Supply and Marketing Cooperatives (中华全国供销合作总社).
D’aucuns pensaient que Yu Hongqiu (喻红秋) devait devenir gouverneure du Henan. Née en 1960, elle est proche de Li Zhanshu et de Chen Min’er, tous deux alliés de Xi Jinping. Sa nomination aurait aussi marqué une décision symbolique pour la place des femmes dans la politique provinciale en Chine. Une telle décision était d’autant plus attendue après le départ de Chen Run’er (陈润儿, 1957), un autre membre de la « bande du Hunan », vers la région autonome du Ningxia le 25 octobre. Mais Yu a finalement été choisie pour remplacer Liu Shiyu à la tête de la Fédération des coopératives de vente et de commercialisation de Chine*. Un poste qui lui donne accès à un rang supérieur, mais qui tire aussi le rideau sur sa carrière.
À la place de Yu Hongqiu, c’est Yin Hong (尹弘) qui a été nommé gouverneur du Henan. Né en 1963, Yin est un natif du Zhejiang, mais aussi un vétéran de Shanghai. Il venait tout juste d’arriver dans la province. Membre du comité permanent de Shanghai depuis 2012, il est considéré comme l’un des « secrétaires particuliers » (mishu) du vice-premier ministre Han Zheng, mais aussi comme un « grand administrateur » pour le compte de Yu Zhengsheng (俞正声), secrétaire du Parti à Shanghai de 2007 à 2012. Au final, il semble que la promotion de Lou Yangsheng et le retrait de Luo Huining aient coûté à Xi un poste important en province. Sans parler de Lin Wu, qui paraît affilié aux anciennes cliques plutôt qu’au pouvoir en place.

Les négociations pour 2020

Malgré sa position de force dans l’appareil du Parti-État, les premières salves de négociations obligent Xi Jinping à faire des compromis. D’autres postes seront à pourvoir en 2020 : la présidence du Guangxi occupée actuellement par Chen Wu (陈武, né en 1954) comme celle du Xinjiang dont l’actuel titulaire est Shohrat Zakir (1953). Sans oublier le secrétariat du Parti dans le Yunnan, dirigé par Chen Hao (陈豪, 1954), dans le Guizhou dont le patron est Sun Zhigang (孙志刚, 1954) et dans le Liaoning où Chen Qiufa (陈求发, 1954) est aux manettes. Dans le cas des régions autonomes, on préfère le plus souvent nommer des minorités à la présidence provincial (équivalent du gouverneur dans les autres provinces). Ainsi, dans le Guangxi, Huang Shiyong (黄世勇, 1961), qui était l’un des « secrétaires particuliers » de Ma Biao (马飚, 1954), président de la région de 2007 à 2013, semble tout indiqué. Pour ce qui est du Xinjiang, la même logique s’applique. Quoique certains aimeraient voir Sun Jinlong à la tête du gouvernement provincial, il serait plus approprié de nommer quelqu’un comme Aierken Tuniyazi (艾尔肯·吐尼亚孜, 1961), membre de l’élite locale. Les secrétariats du Parti dans les provinces, surtout dans le Guizhou et le Liaoning, seront des points de contentieux pour l’administration Xi. Le numéro un chinois devra composer avec les reliquats des vieilles cliques, surtout dans le nord-est du pays.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.