Politique
Analyse

70 ans de la Chine populaire : comment le Parti gère le risque d'une crise de régime

Le portrait géant du président Xi Jinping lors du défilé militaire pour les 70 ans de la République populaire, le 1er octobre 2019 à Pékin. (Source : Asia Nikkei)
Le portrait géant du président Xi Jinping lors du défilé militaire pour les 70 ans de la République populaire, le 1er octobre 2019 à Pékin. (Source : Asia Nikkei)
Le Parti communiste en Chine demeure encore capable de maintenir l’ordre, et c’est un élément pour lequel il est apprécié dans le pays. Mais il éprouve désormais des difficultés à gérer l’économie nationale. Si celle-ci ralentit déjà depuis quelques années, elle souffre d’autant plus depuis le début de la guerre commerciale. Alors que la Chine populaire fête ses 70 ans, le Parti doit affronter de nombreux défis à son « régime autoritaire résilient ». Fort d’une capacité d’adaptation maintes fois prouvée au fil des décennies, il pourrait transformer ces défis en opportunités, s’il joue bien les cartes dont il dispose.

Défis et opportunités

Outre son maintien au pouvoir, le Parti a pour principales fonctions de conserver l’ordre politique et social, de garder le cap sur la croissance économique en plus de créer de l’emploi et de nouvelles opportunités économiques. Il doit aussi mettre sur pied et se porter garant d’institutions capables d’offrir des biens publics et de répondre aux doléances de la population. Cependant, la gestion efficace de l’État et des instances administratives s’est avérée une tâche plus difficile que prévu, surtout dans un contexte où l’appareil bureaucratique demeure influencé – sinon dirigé – par le Parti. Doit-on alors être au service du PCC ou au service de la population ?
*Cela implique ici « la gouvernance par le biais de l’utilisation du droit » (用法治国). Cela dit, les lois sont faites et utilisées par le Parti, sont utilisées par le Parti, sans toutefois le dépasser (法由党造、法任党用、法不及党). **Jiang Junyan and Xu Yan, « Popularity and Power: The Political Logic of Anticorruption in Authoritarian Regimes », 2015 ; Zhu Jiangnan et Zhang Dong, « Weapons of the Powerful: Authoritarian Elite Competition and Politicized Anticorruption in China », in Comparative Political Studies 50 (9), 2015, pp. 1186-1220.
Avec une population qui se diversifie peu à peu et une classe moyenne en constante expansion qui exprime de plus en plus ses préoccupations en matière de vie quotidienne, le Parti a renoué avec ses outils idéologiques, tels que les discours sur la « gouvernance par le droit » (依法治国)* (et non pas la « suprématie du droit »). Il a par ailleurs mit en avant son mécanisme d’autorégulation par excellence : la « lutte anti-corruption ». Dans les régimes autoritaires, les campagnes de ce type ont généralement deux objectifs : d’une part, répondre à la colère de la population à l’égard des cadres du Parti et d’autre part, débarrasser le système politique des forces concurrentes**. En ce sens, la « lutte anti-corruption » a longtemps été considérée comme un outil de légitimation pour de tels régimes avides de convaincre leur population de la capacité à se superviser eux-mêmes. Cependant, comme durant la campagne de 1989, et plus récemment celle qui s’intensifie sous Xi Jinping à partir des années 2016-2017, la répression de la corruption sans cadre juridique approprié ne fait que déstabiliser le système.
*Voir Li Shaomin, « Assessment of and outlook on China’s corruption and anticorruption campaigns: Stagnation in the authoritarian trap », in Modern China Studies 24 (2), 2017, pp. 139-157.
En ce sens, la question du droit et de l’application universelle des lois est devenue depuis un moment une problématique urgente pour le Parti-État. Certes, le PCC a réussi son programme de réformes et a su générer de la croissance pendant plus de quatre décennies. Mais ce fut au détriment du développement d’un système judiciaire et légal opérationnel et compétent. Une corruption systémique est demeurée, obérant les perspectives de développement économique à court et moyen terme. Désormais, le principal problème du Parti est peut-être de faire appliquer les lois à l’ensemble de ses cadres comme à tous les citoyens chinois. En responsabilisant aussi les cadres vis-àvis du Parti comme des citoyens, Pékin échapperait ainsi au piège dans lequel sont tombés plus d’un régime autoritaire : des réformes graduelles et une croissance économique sans suprématie du Droit entraînent la création d’espaces de rente et la systématisation de la corruption, ce qui entrave le développement du pays ; s’ensuit une tentative de résolution au moyen de « campagnes anti-corruption » – toujours sans cadre juridique claire – qui ont des effets déstabilisants sur le régime lui-même*.

S’il veut rester sur la voie de la « résilience » et éviter l’état de « survie » comme en Corée du Nord, le Parti doit considérer un autre axe politique majeur. Il s’agit de l’offre de biens publics et de la mise en place d’un État-providence plus étendu et plus généreux. Alors que l’économie nationale tourne au ralenti à cause de la guerre commerciale et de divers problèmes systémiques, les tensions sociales augmentent et une hausse significative du taux de chômage peut mener à des troubles sociaux importants, de la simple manifestation à la désobéissance civile. Une situation qui serait des plus inquiétantes tandis que le mouvement pro-démocratie à Hong Kong bat son plein. Ainsi, réformer le système d’imposition afin financer de manière appropriée une protection sociale plus englobante contribuerait grandement à la légitimité du Parti.
*James Lee, « Deciphering Productivism and Developmentalism in East Asian Social Welfare », in James Lee et Kam-Wah Chan (dir.), The Crisis of Welfare in East Asia, Lanham: Lexington Books, 2007. **L’État-providence crée ses propres réseaux de soutien qui se défendront contre le retrait futur des programmes et des politique, écrit Paul Pierson dans « The New Politics of the Welfare State », in World Politics 48 (2), 1996, pp. 143-179.
En d’autres termes, il n’est pas contre-indiqué d’investir dans un système d’État-providence en temps de ralentissement économique. D’ailleurs plusieurs exemples existent dans la région : Hong Kong, Singapour, Taïwan et la Corée du Sud. Ces « États développeurs » ont augmenté leurs dépenses, après la crise de 1997, en matière de protection sociale*. Cette transition d’un « État-providence sélectif » – qui associe l’inclusion dans le système social par le biais d’entreprises d’État – à un régime plus inclusif est cependant plus souvent associée à la gouvernance démocratique. Il s’agit d’accroître ainsi le nombre de bénéficiaires, ce qui aura pour effet de créer des réseaux de soutien pour lesdits bénéficiaires**. L’objectif est de provoquer des changements structurels dans l’économie chinoise. Mais le parti-État est-il prêt à ces réformes ? Car pour pouvoir utiliser ces nouveaux réseaux de soutien, le Parti, qui surveille de près la société civile, devra relâcher quelque peu son contrôle sur d’éventuelles coalitions civiques issues de ce progrès social. Cela reste beaucoup plus facile à dire qu’à faire.
*Yang Dali, Remaking the Chinese Leviathan: Market Transition and the Politics of Governance in China, Stanford: Stanford University Press, 2004.
Le dernier point à souligner en est lié à la guerre commerciale. Dans une certaine mesure, ce conflit est une fenêtre de tir pour les dirigeants du Parti : l’occasion de mettre en œuvre des réformes économiques et financières pénibles mais qui pourraient aider à stimuler la croissance future. Le Parti pourrait également reprendre le déploiement des « centres administratifs uniques » (一站式服务中心) – généralement installés dans des parcs industriels – commencé au début des années 2000*. Initialement mis en place pour faciliter l’obtention de certificats et d’approbation administratives pour les investisseurs étrangers, la plupart de ces centres demeurent situés le long de la côte est, ainsi que dans quelques provinces du Sud. Le Parti devrait par la même occasion revoir ce projet ainsi que son étendue vers l’Ouest, région qui aurait grandement besoin d’investissements et d’industries.
Il ne faut pas oublier non plus les tensions qui se manifestent au sein du Parti depuis le début de la guerre commerciale. Depuis 2013, l’alliance Xi Jinping-Wang Qishan a lancé une campagne anti-corruption (à présent dirigée par Zhao Leji), qui visait des membres de groupes informels rivaux, plus particulièrement les proches collaborateurs de l’ex-président Jiang Zemin. Cette purge a touché une quantité importante de cadres provinciaux ou juste en-dessous de l’échelon national. Elle a aussi créé plusieurs problèmes pour Pékin, dont des dysfonctionnements administratifs dans certaines préfectures et même au niveau provincial. Elle a exacerbé les tensions à l’intérieur du Parti entre les associés de « l’ancien régime » – les alliés de Jiang Zemin – et la base de Xi.
En outre, la « lutte anti-corruption » s’est combinée à une « campagne politique » sur le « comportement » et les « avantages » des cadres : voiture de fonction, banquets ou cadeaux. Le retrait de ces privilèges a créé du ressentiment au sein de la nomenklatura du Parti, au-delà des seuls associés de Jiang Zemin). Résultat, bien que Xi Jinping reste entouré de ses alliés du Fujian, du Zhejiang ou de l’École centrale du Parti, il demeure dans une position délicate dans la mesure où le paysage factionnel post-2017 reste incertain. Ces incertitudes expliquent en partie pourquoi Wang Qishan, surnommé « l’ombre du Roi », est resté en poste après le XIXème Congrès malgré son âge avancé : il fallait assurer les arrières de Xi.

La politique chinoise à l’heure de la gestion du risque

Alors que la Chine populaire fête ses 70 ans, un sentiment d’insécurité se dégage des discours politiques chinois. Du slogan de « Sécurité politique » lancé lors de la double session parlementaire en mars dernier jusqu’à la reconnaissance le 4 septembre du fait que la situation de Hong Kong représente un danger pour le Parti, la direction centrale semble préparer le reste de l’appareil politique à une période agitée. À cet égard, tout comme la guerre commerciale, la question hongkongaise pose un défi direct à la souveraineté de Pékin ainsi qu’à l’unité du territoire chinois.
L’année 2019 a été dominée par l’idéologie. Le Parti a dû revoir sa politique étrangère tout en prenant conscience des menaces sur sa stabilité interne. Sa direction a encore beaucoup à discuter avec les autres membres du comité central, notamment lors de la prochaine rencontre, le 4ème plénum, qui devrait avoir lieu d’ici la fin du mois. L’équipe de Xi devra alors proposer des solutions à la guerre commerciale, qui met de plus en plus de pression sur l’économie nationale, et donc sur le Parti. Ce dernier devra également rappeler à l’ordre les institutions qui semblent faire cavalier seul (on pense ici à l’administration des affaires de Hong Kong et Macao), afin de recentraliser et de contrôler les canaux de communications pour éviter les doubles discours. Le Parti cherche à tout faire pour que cette année ne s’inscrive pas dans la lignée des années difficiles en « 9 » (1989 et 1999). Une angoisse superstitieuse chez les dirigeants du PCC, qui a verrouillé encore davantage la société pour la « golden week » de la fête nationale.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.