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Analyse

70 ans de la Chine populaire : le Parti toujours en vie

Le président chinois Xi Jinping et ses deux prédécesseurs, Hu Jintao (à gauche) et Jiang Zemin (à droite) lors du défilé militaire célébrant les 70 ans de la Chine populaire, place Tian'anmen à Pékin le 1er octobre 2019. (Source : News Talk 990)
Le président chinois Xi Jinping et ses deux prédécesseurs, Hu Jintao (à gauche) et Jiang Zemin (à droite). (Source : News Talk 990)
Le 1er octobre dernier, la République populaire de Chine a eu 70 ans. Le Parti communiste est toujours à flot, même si son « autoritarisme développemental » est sérieusement mis à l’épreuve.
*Ce qui inclut la transitologie, la démocratisation et les études sur les transitions autoritaires. **Même des auteurs comme Guillermo O’Donnell critiqueront cette vision. ***Zheng Yongnian, The Chinese Communist Party as Organizational Emperor: Culture, reproduction, and transformation, New York: Routledge, 2009. ****Qui pourrait être qualifié de « dirigisme autoritaire ».
Depuis son inauguration en 1949, en passant par le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle, le Parti-État dirigé aujourd’hui par Xi Jinping a su s’adapter en fonction des circonstances, devenant ainsi l’un des cas critiques dans le champ des études sur la transformation et la résilience des régimes en politique comparée*. Cela dit, bien qu’un pan des études sur la démocratisation ne cesse de parler de l’effondrement imminent du régime chinois, force est de constater que d’autres types de régimes existent et échappent à la vision téléologique du paradigme de la démocratisation**. Le Parti a su résister à la troisième vague de démocratisation des années 1990, a su réussir sa transition de parti « révolutionnaire » à parti de gouvernement en l’espace de trois décennies. Il a depuis lors mis en œuvre des réformes visant à légitimer son existence et en assurer la pérennité. Le Parti-État, parfois surnommé « l’empereur organisationnel »***, a également réussi à entraîner la Chine, par le biais d’un « programme de développement » dirigé par l’État**** sur une trajectoire de croissance économique phénoménale. Après un peu plus de quatre décennies de réformes, le Parti a propulsé la Chine dans une ère parfois nommé « post-communiste » – c’est-à-dire du capitalisme mêlé à la bureaucratie autoritaire que nous connaissons aujourd’hui. Celle-ci, en suivant la logique des discours des 15-20 dernières années, vise à créer une « société de moyenne aisance » sous les auspices du « socialisme aux caractéristiques chinoises ».
*Expression empruntée à Minxin Pei, China’s Trapped Transition. The Limits of Developmental Autocracy, Cambridge: Harvard University Press, 2009.
Cependant, tout n’est pas « en harmonie ». Bien sûr, on est loin de la lutte des classes qui a prévalu dans les années 1950 et 1960. Mais le Parti doit constamment remettre à jour son « travail idéologique » (pour ne pas dire sa propagande) afin de justifier son existence en tant que Parti communiste. Meilleur exemple récent : le « rêve chinois » – parfois synonyme de cauchemar pour d’autres – souligne en fait à demi-mot les limites de « l’autocratie développementale »* : la génération « post-réforme » (née dans les années 1990) n’aura pas les mêmes opportunités et ne pourra bénéficier (en termes absolus) d’autant des réformes et de croissance que la génération précédente. En outre, l’atmosphère légèrement ternie par la guerre commerciale et les manifestations à Hong Kong, demeure fixée sur les « célébrations » et le « grand renouveau de la nation chinoise ».

Le Parti en mouvement : en mode « survie » ou « résilience » ?

*Une grande partie de l’offre de services publics était associée directement aux communes et aux unités de travail étatiques. **Le Parti décentralise le développement économique au début des années 1980 afin d’inciter les provinces à créer leurs propres programmes basés sur leurs industries locales.
Au début des années 1980, le Parti commence à mettre en œuvre des politiques de réformes économiques, tout en essayant de se démarquer de l’héritage maoïste – auquel il reste attaché même pour justifier la mise en œuvre des réformes. Son objectif est de développer un pays en ruine après une trentaine d’années de campagnes politiques. Sous la tutelle de Deng Xiaoping – qui devra toujours négocier avec une aile conservatrice -, le Parti s’est concentré sur le développement de l’économie chinoise – au lieu de la maintenir dans un état de privation constante – ce qui a nécessité une refonte complète de sa propre structure institutionnelle. En tant que tels, de nouvelles commissions et ministères ont été créés dans plusieurs buts : contrôler la vitesse de la transition vers les réformes de marché ; fournir des services publics à la population dans un contexte de dé-collectivisation*. Ces initiatives, en plus de la décentralisation initiale**, conduiront à une croissance économique exponentielle, transformant de manière significative les provinces de la côte est, extirpant des millions de personnes de la pauvreté, tout en consolidant la position du Parti en tant que parti de gouvernement légitime.
Bien entendu, ce bref aperçu ne traite pas en profondeur de tous les détails, les ratés et les conséquences inattendues des réformes, dont la pollution de l’environnement et les tensions sociales qu’elles ont créées en cours de route. Cependant, la croissance économique – et ce qu’elle apporte avec elle (augmentation du pouvoir d’achat, meilleurs salaires, accès à une plus grande quantité de biens matériels ou création de nouveaux secteurs économiques) – est devenue la principale source de légitimité du Parti, combinée à sa capacité à offrir des services publics.
Aussi longtemps qu’il remplit son contrat, continue de stimuler la croissance et l’emploi en lançant par exemple de grands travaux publics (en particulier dans les régions éloignées), le Parti demeure à même de justifier sa position d’autorité. La véritable mise à l’épreuve interviendrait dans un contexte de « contrainte économique » – par exemple durant une guerre commerciale. Dans la mesure où le Parti-État crée plus souvent ses propres crises économiques (la bulle immobilière ou le marché obligataire local), et les résout la plupart du temps avec des solutions très similaires (le renflouement d’institutions financières ou l’injection d’argent dans le système), un conflit commercial confronterait les dirigeants à des variables externes incontrôlables.

En pleine guerre commerciale, le Parti a encore quelques options. Mais il demeure déchiré idéologiquement sur la manière de procéder. Malgré les pressions considérables exercées sur l’économie chinoise, désormais ressenties par les consommateurs, le Parti demeure fidèle à lui-même avec l’annonce de nouveaux projets publics. Il insiste par ailleurs de plus en plus sur la réforme du système de retraites et sur la réduction de la pauvreté – l’un des principaux points lors de la visite de Xi Jinping à Chongqing à la mi-avril dernier.
*Référence directe aux travaux de James Scott, en particulier Domination and the Arts of Resistance : Hidden Transcripts (1990). Cet ouvrage, qui se concentre sur les structures de domination dans les régimes autoritaires, démontre l’existence de deux discours : le discours public, qui reflète les règles du régime, et le discours « caché », espace d’autonomie pour les subalternes (citoyens ou cadres du Parti) dans lequel ils peuvent exprimer leurs doléances.
Pour le moment, le Parti demeure encore capable de maintenir l’ordre politique. Dans le même temps, il continue d’institutionnaliser des structures existantes et d’inclure de nouveaux mécanismes de « participation » (ou de consultation) destinés à répondre de manière plus efficace aux doléances publiques (lorsque c’est possible). Cependant, les rares « mécanismes de participation » ne sont pas stables ni même consolidés. Ils semblent même avoir perdu du terrain depuis le durcissement du régime en 2013. Ainsi le Parti demeure-t-il la « seule solution », le seul fournisseur de biens publics, qui gouverne sans opposition ni alternative viable. Ce qui laisse la population devant un choix paradoxal : « faire comme si » – respecter les règles du Parti sans en approuver l’idéologie* – ou s’engager dans un avenir incertain et parfois décrit délibérément comme synonyme de chaos, un cauchemar aux yeux de la plupart des Chinois. En ce sens, tout changement radical et soudain, une révolution ou un renversement du régime, dans un système aussi verrouillé politiquement pourrait rapidement se changer en expression anti-démocratique.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.