Politique
Analyse

Chine : une femme peut-elle diriger le Parti communiste ?

Le femme politique la plus puissante de Chine, Sun Chunlan (deuxième à droite) prête serment comme l'une des quatre vices-premiers ministres lors de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire à Pékin, le 19 mars 2018, avec Han Zheng (à la tribune au centre), Hu Chunhua (à gauche) et Liu He (à droite de Sun Chunlan). (Source : Zimbio)
Le femme politique la plus puissante de Chine, Sun Chunlan (deuxième à droite) prête serment comme l'une des quatre vices-premiers ministres lors de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire à Pékin, le 19 mars 2018, avec Han Zheng (à la tribune au centre), Hu Chunhua (à gauche) et Liu He (à droite de Sun Chunlan). (Source : Zimbio)
Le Parti communiste en Chine a-t-il un problème avec les femmes ? C’est ce que se demandait ironiquement la BBC à la vue du nouveau Comité permanent du Politburo en octobre 2017. A la fin du 19ème Congrès, Xi Jinping dévoilait la composition du saint des saints de la politique chinoise : 7 hommes hommes d’âge mûr. Aucune femme n’a jamais été membre de la plus haute instance du Parti, celle qui dirige la Chine. Les prochaines générations de cadres laisseront-elles plus de place à leurs collègues féminins ? Ces derniers temps, certaines responsables connaissent une ascension précoce et prometteuse. Espoir ou écran de fumée ?
Le 25 décembre dernier, Yuan Lin (袁琳), une jeune doctorante de 28 ans, était nommée adjointe au maire de Fuqing (福清). Cette commune de rang de comté appartient à la municipalité de Fuzhou dans la province cotière du Fujian. Rendue publique sans être mise en ligne sur le site de la ville, cette nomination a fait de Yuan l’une des plus jeunes cadres du niveau vice-comté ou « fuchu » (副处级干部) dans le pays. Elle relance aussi le débat sur la question des perspectives de carrière pour les femmes dans le Parti-État. Très peu d’entre elles ont réussi à se hisser jusqu’au Politburo depuis 1949.

Le cas Yuan Lin en perspective

Née en 1990 dans le Hebei, l’arrière-cour de Pékin, Yuan Lin possède une licence en administration et un master en statistique de la Rice University aux États-Unis. De retour d’Amérique en 2013, elle devient durant deux ans assistante à l’investissement au fonds Zhengren de Tianjin. Puis, en septembre 2015, elle s’engage dans une thèse en finance à l’Université de Pékin. Alors qu’elle termine son doctorat, Yuan est nommée adjointe au maire en décembre 2018. Cette nomination, accueillie de façon mitigée, semblait néanmoins indiquer deux tendances : d’une part, la présence accrue de la génération née dans les années 1990 dans la structure du Parti-État et d’autre part, la présence de femmes plus jeunes en politique.
Cependant, remettons les choses en perspective. Outre les questions de qualification qui brûlent les lèvres de certains, le fait d’atteindre ce rang à 28 ans est-il significatif ? Surtout, est-ce significatif pour une femme dans la vie politique actuelle en Chine ? En moyenne, de 1987 à 2017, les nouveaux cadres admis au Comité central ont atteint ce rang à l’âge de 32 ans. De manière plus spécifique, les deux dernières promotions, en 2012 et 2017, ont vu cette moyenne diminuer à 29,5 ans. Dans ce contexte, la nomination de Yuan Lin à 28 ans est importante dans la mesure où le temps joue contre les cadres, et encore plus contre les cadres féminins qui doivent quitter leurs fonctions bien souvent cinq ans avant leurs collègues masculins. Pour ce qui est des femmes cadres de la génération 1987-2017, la moyenne monte à près de 32 ans et demi pour un rang équivalent. La précocité de Yuan Lin la place pour l’instant au niveau de Wu Yi, la « Dame de Fer », vice-première ministre de 2003 à 2008, et de Sun Chunlan, membre du Politburo depuis 2012 et actuelle vice-première ministre.
Yuan voudra-t-elle se lancer dans la grande politique ? Souhaitera-t-elle atteindre le premier rang crucial dans la course vers le niveau ministériel, à savoir le rang préfectoral ? Ce sera le vrai le test. En moyenne, en utilisant les mêmes échantillons, le rang de préfecture (le fameux « zhengting », 正厅级) est atteint dix ans après celui de vice-comté, pour 3 ans et demi en général entre chaque promotion. La différence à ce stade est marginale entre l’ensemble des cadres (42,7 ans) et les cadres féminins de même rang (43,04 ans). Des chiffres aussi confirmés par les cadres de la 7ème génération : sur un échantillon de plus de 300 d’entre eux, nés entre 1970 et 1979 et ayant déjà atteint le rang préfectoral, la moyenne d’âge demeure environ de 42 ans (42,13 si l’on isole les femmes).
*À ce titre, Wu Aiying, Shen Yueyue et Song Xiuyan avaient atteint le rang préfectoral à 39, 34 et 28 ans respectivement.
Cela dit, ces chiffres ne sont significatifs que pour les cadres qui n’ont pas l’ambition d’atteindre le sommet. Car du rang préfectoral au rang ministériel, soit deux rotations, au moins quinze ans de carrière seront encore nécessaires. Il n’est donc pas impossible pour Yuan Lin de rejoindre des figures comme Wu Aiying (吴爱英, 1951), ex-ministre de la Justice, Shen Yueyue (沈跃跃, 1957), présidente de l’association des femmes chinoises, Song Xiuyan (宋秀岩, 1955), ancienne gouverneure du Qinghai (2005-2009), ou encore Liu Yandong, membre du Politburo de 2007 à 2018*. Cependant, toutes ces femmes ont bénéficié du soutien de factions importantes durant leur carrière, ce qui en fait des cas exceptionnels. En ce sens, dans la mesure où Yuan Lin reste une figure méconnue, il est difficile de prédire jusqu’où elle ira.

La montée des femmes en politique

Le cas de Yuan Lin, sans grande expérience en politique, mérite notre attention. Sa carrière connaît cependant un obstacle : elle n’est pas encore membre du Parti, ce qui pose problème pour la suite des événements. Cependant, d’autres femmes nées dans les années 1980 sont également en pleine ascension. Elles semblent même promises à un avenir plus brillant que Yuan Lin. Prenons l’exemple de Wang Yi (王艺, 1980), la seule femme cadre de la 8ème génération à avoir atteint le rang préfectoral : à 36 ans, elle est devenue secrétaire de la province du Henan pour les Jeunesses communistes en 2016. La même année, Shi Yichan (史逸婵, 1987) a été nommée à 28 ans secrétaire adjointe de Shanghai pour les Jeunesses communistes, donc de rang vice-préfectoral. Originaire de Shanghai, Shi est diplômée de l’université de Tongji, comme beaucoup d’autres cadres shanghaïens. À 30 ans aujourd’hui, elle a reçu en 2014 des félicitations de Liu Yunshan, alors responsable des affaires du Parti, pour son implication dans « l’Union des Élites » (白领驿家), un organisme communautaire voué à l’échange ainsi qu’au recrutement de futurs cadres.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.