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Analyse

Chine : Xi Jinping consolide son pouvoir sans se débarrasser de ses rivaux

Brookings
Prudent, le président chinois Xi Jinping a préféré un débat sur la "gouvernance" et sur le "leadership du Parti". Sans laisser filtrer les divergences, le 4ème plénum du comité central du Parti communiste s'est conclu le 30 octobre 2019 sans décisions fortes sur la succession du président, la crise politique à Hong Kong ou la guerre commerciale avec Washington. (Source : Brookings)
Xi Jinping allait-il enfin nommer un successeur ? Allait-il prendre des mesures drastiques sur la crise à Hong Kong ? Allait-il proposer une parade globale aux multiples défis de la Chine, dont la guerre commerciale ? Rien de tout cela. Au terme du 4ème plenum du comité central, du 28 au 30 octobre à Pékin, les plus hauts dirigeants du Parti communiste ont surtout acté la consolidation du pouvoir du président chinois sur le système politique.
*Zhao avait aussi accompagné Xi en septembre dernier pour rencontrer Ho Lat Seng (He Yicheng, 贺一诚), le chef de l’exécutif de Macao.
Le 4è plénum n’a pas réussi pas à satisfaire les attentes des observateurs. Que ce soit sur Zhao Leji et l’affaire des villas, sur Chen Min’er et Hu Chunhua ou sur l’agrandissement du comité permanent du Politburo. Certains s’attendaient à ce que l’on y parle de succession, d’autres de guerre commerciale, d’économie, et bien sûr, de la situation du Parti à la tête de la Chine. Au final, on assista à la consolidation du régime Xi-Wang, sans parler de succession, mais bien plutôt des défis de gouvernance auxquels le Parti doit affronter depuis quelques années.

Les deux Ma

*Mis en examen en mai 2019. **Ma avait remplacé à l’époque Tian Yuan (田源), actuel PDG de China International Futures. ***Soulignons par ailleurs l’absence de Wang Xiaoyun (王晓云), directeur général du département de la technologie de China Mobile, et de Guan Qing (官庆), ex-PDG de la China State Construction Engineering. Guan, remplacé par Zhou Naixiang (周乃翔), fils du frère de Zhou Xiaochuan, l’ex-Gouverneur de la banque Centrale, en septembre, n’a pas été pas réaffecté depuis.
Outre la confirmation de la punition de Liu Shiyu (刘士余, l’ex-président de la commission de la régulation des valeurs mobilières (CSRC)*, et une série de nominations, deux nouveaux membres du comité central ont été choisis lors de la rencontre : Ma Zhengwu (马正武 ) et Ma Weiming (马伟明). Le premier Ma, membre suppléant du XIXème Congrès du Parti, est depuis près de 17 ans le président du Chengtong Holdings Group (sous la supervision de la SASAC, la commission de supervision des actifs de l’État)**. Ma Weiming, suppléant depuis 2012, est, lui, ingénieur militaire et considéré « de première classe » depuis le mandat de Hu Jintao. La sélection des deux Ma n’a surpris personne, considérant qu’ils étaient respectivement premier et deuxième sur la liste de suppléance***.

Beaucoup de bruit pour persister et signer

*La volonté de guider le développement du secteur privé n’est pas nnouvelle. Cependant, même si Xi Jinping en déjà parlé (« sous l’avancée du gouvernement, le peuple [la sphère privée, etc.] recule [en champ de compétences] » – 国进民退), les entreprises privées ne peuvent toujours pas bénéficier des fonds publics, au profit des entreprises d’État qui croulent encore sous les subventions (critique récurrente des États-Unis). **Message contradictoire sur le besoin ou non d’entrepreneurs privés. ***Voir le cas récent de Zhang Qi (张琦), secrétaire de Haikou (Hainan), mis en examen en septembre 2019. 13,5 tonnes d’or valant pas moins de 636 millions dollars avaient été retrouvées chez lui.
On s’attendait à une meilleure discussion sur l’économie. Xi Jinping a certes mis l’accent sur la consolidation du secteur public et du système socialiste de base, mais il n’a pas vraiment ouvert la porte au développement plus « libre »* du secteur privé, qui demeurera sous tutelle. La tendance dirigiste demeure et avec elle sans doute les contradictions grandissantes entre le public et le privé. Ce qui risque de poser problème au discours d’ouverture au capital étranger**. Idem pour les questions militaires : il faut consolider le leadership du Parti sur l’armée. Une certaine continuité a prévalu sur la « lutte anti-corruption », s’appuyant sur de nouvelles mesures de sélection des cadres, prises l’an dernier et visant à mettre en place un système de responsabilité et de surveillance collectif afin « d’éliminer » la corruption***.
*D’autres vont directement aller vers le « modèle chinois de gouvernance » (中国之治), concept de Wang Huning qui implique la prééminence du Parti. **On a parlé de participation plus active dans le système de gouvernance global, mais on parle de cela depuis un moment déjà.
C’était attendu, l’un des sujets forts de ce 4ème plenum a porté sur la gouvernance, en particulier la capacité à gouverner du Parti (治理能力, 中共治国) et la modernisation du « système national de gouvernance » (国家治理体系) – la structure institutionnelle dirigée par le Parti qui lui permet d’administrer la société, l’économie et les affaires politiques*. Mais une question n’a pas vraiment été abordée : celle des nouvelles logiques de gouvernance dans un environnement national et international de plus en plus incertain : ralentissement économique, guerre commerciale, luttes intra-Parti, soulèvements à Hong Kong ou hausses des doléances publiques**. Ainsi, cette « modernisation », dont on ne sait rien, portera sûrement une avancée vers la protection et la stabilité du Parti ainsi que son système de surveillance par le biais des nouvelles technologies. Sur la situation actuelle du PCC, il existe sans doute encore trop de divergences d’opinions alors que le Parti préfère peut-être aussi attendre de voir.
Tout dire et ne rien dire. Voilà dans le discours du Parti une prudence déjà vue et sans vraie consistance. Comme dans le passé, il faut s’intéresser au sens sous-jacent de ce discours, surtout en matière de sécurité, de gouvernance ou de développement. Par exemple, parler de « société harmonieuse » rendait explicite la problématique des tensions sociales grandissantes causées par les réformes. Parler de « rêve chinois » implique également que la société actuelle ne remplit pas ses promesses de croissance et de développement à la nouvelle génération qui arrive sur le marché du travail. En ce sens, le « rêve » est parfois pour certains un cauchemar : marché de l’emploi saturé, marché de l’immobilier encore en surchauffe, problèmes environnementaux de plus en plus graves…
Remettre l’accent sur ces questions de « sécurité politique », de « gouvernance », de « leadership du Parti », trahit un sentiment d’insécurité, de perte de contrôle et d’incertitude de la part du PCC. En continuant de parler de communisme ou de socialisme, il finit par ne plus être écouté. Cependant, le Parti a su retenir l’attention sur la question des politiques sociales, à l’agenda de Xi Jinping depuis un moment d’ailleurs, notamment dans ses nombreux discours sur la réduction de la pauvreté.

Retour sur Hong Kong

*Xi pourrait sans grande surprise décider de faire remplacer Carrie Lam, mais en respectant les règles de la « Loi fondamentale ». **Zhao avait également accompagné Xi en septembre dernier afin de rencontrer Ho Lat Seng (He Yicheng, 贺一诚), le chef de l’exécutif de Macao.
Autre problématique attendue à l’agenda de ce 4ème plenum : la crise à Hong Kong. En particulier, la question des canaux de communication. Xi Jinping a rencontré Carrie Lam le 4 novembre dernier. Il a réitéré sa position sur la situation actuelle : Hong Kong doit gérer ce problème en fonction du principe « un pays, deux systèmes »; Carrie Lam, selon l’ambiance de la rencontre, semble être là pour rester, du moins jusqu’en mars prochain*. Xi lui a demandé de restaurer l’ordre, de punir la violence et de gouverner en fonction des lois de Hong Kong. Le président chinois était alors accompagné à Shanghai de Ding Xuexiang, le directeur du bureau général du Parti, de l’équipe des affaires étrangères et du nouveau venu, Zhao Kezhi (qui est aussi ministre de la Sécurité publique), permettant ainsi à Carrie Lam de rencontrer le nouveau directeur adjoint du groupe mené par Han Zheng**.
*Sans concession chinoise sur les subventions aux entreprises d’État, la guerre commerciale risque de continuer. **Mais aussi le secrétaire personnel (mishu) de Liao Hui (廖晖).
Cependant, cette visite est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît. Xi a communiqué directement avec la cheffe de l’exécutif hongkongais, sans passer par le système des affaires de Hong Kong et Macao qui est sous la supervision de Han Zheng. Cette visite indique également que Xi veut rectifier la situation*, tandis que son « Monsieur Économie » Liu He a fait une percée importante vers un début d’accord commercial avec les États-Unis. En ce sens, Zhang Xiaoming (张晓明), directeur du bureau des affaires de Hong Kong et Macao pour le Conseil d’État, mais aussi Wang Zhimin (王志民), directeur du bureau de liaison du gouvernement central avec Hong Kong**, auront des difficulté à se faire protéger par Han Zheng et par l’ancienne garde lorsque viendra le moment de rendre des comptes au numéro un chinois.
*Chen a connu Xi vers la fin des années 1980 au Fujian. Il était alors en poste dans le secrétariat du gouvernement de la province (là où l’on retrouve les secrétaires personnels (mishu).
Il convient aussi de rappeler que Xi avait occupé le poste de Han Zheng de 2007 à 2012. Il n’avait alors pas réussi à imposer sa façon de faire aux hommes de Zeng Qinghong et de la faction de Jiang Zemin. En 2017, durant le mandat de Zhang Dejiang (fini en 2018), Xi Jinping tenta bien de faire remplacer Zhang Xiaoming par l’un de ses alliés, Chen Dong (陈冬), alors secrétaire de la commission des affaires politiques et légales du Fujian*, mais sans succès. Il fut affecté comme adjoint de Wang Zhimin. Cela dit, depuis la fin septembre, des signes laissent penser que Chen remplacera bientôt Wang à la tête du bureau de liaison. Du côté de Taïwan, le Parti continue de s’opposer à son indépendance tout en continuant à faire la promotion de l’unité. La ligne anti-indépendance paraît s’imposer dans le discours de Pékin depuis un moment.

L’ère de Xi Jinping et la nouvelle moralité

Le 4ème plénum a également rappelé l’existence des tensions à l’intérieur du Parti. La rencontre s’est conclue de façon mitigée, sans parler officiellement de la contestation à Hong Kong ni des urgences économiques. Il est relativement normal que le Parti ne parle ouvertement de ses problèmes en temps de crise. En matière d’idéologie, le Parti avait fait paraître le 27 octobre, un jour avant le plenum, un « guide de la création et de la mise en place de la moralité citoyenne dans une ère nouvelle » (新时代公民道德建设实施纲要). Cette nouvelle promotion de la morale dans l’ère de Xi Jinping le positionne au centre du « socialisme aux caractéristiques chinoises », renversant Mao, Deng, Jiang et Hu au passage. Pas de développement scientifique, pas d’apprentissage des civilisations « plus avancées ». Ces « ajustements » moraux (qui parlent aussi de valeurs traditionnelles) expriment surtout les désaccords qui règnent dans les hautes instances du Parti entre Xi, qui continue de s’imposer, et les alliés, de moins en moins nombreux, de l’ancienne garde.
Si le plénum a permis au président chinois de consolider sa position, les luttes demeurent fortes au sein du Parti. L’absence de successeur prêt à prendre le poste de président laisse à Xi le champ libre pour s’attaquer aux problèmes domestiques qui préoccupent le pouvoir central. Ce faisant, alors que le chef du Parti parlait encore le 2 novembre de « développement politique socialiste », la partie est loin d’être terminée à Pékin entre l’équipe Xi-Wang et les mécontents qui cherchent à le déstabiliser.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.