Politique
Analyse

La Chine et la "sécurité politique" du Parti

La question de la "sécurité politique" du Parti communiste chinois au coeur de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire à Pékin. (Source : Reutersmedia)
La question de la "sécurité politique" du Parti communiste chinois au coeur de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire à Pékin. (Source : Reutersmedia)
Ralentissement de l’économie, guerre commerciale, corruption endémique… Lors de son discours à l’Assemblée nationale populaire, Xi Jinping a souligné les risques majeurs encourus par le Parti. Comment assurer la « sécurité politique », c’est tout l’enjeu du président chinois. Qui dit sécurité dit maintien du pouvoir : celui du Parti comme celui de Xi Jinping lui-même.
Après les « deux assemblées », force est constater que tout n’est pas satisfaisant pour le pouvoir en place. Ce n’est pas tant l’inconfort de Li Keqiang à la lecture de son rapport qui a agacé, que la confiance en soi « exagérée » de Zhou Qiang lors de son rapport sur le travail des « deux chambres » (liang gao, 两高) – la Cour suprême, qu’il préside, et le Parquet suprême.

« Rectitude politique »

Le rapport des « deux chambres » devant l’Assemblée nationale populaire a laissé plus d’un délégué incrédule, jusqu’à Xi Jinping probablement. Entendre Zhou Qiang parler de la « protection de la sécurité politique nationale » (坚决维护国家政治安) en a sans doute fait tousser plus d’un. Et que dire de la séquence sur la « criminalisation des pressions politiques » ? C’est peut-être une réponse à la notion de « rectitude politique » mise en avant par Xi Jinping depuis un moment déjà. Car derrière cette joute idéologique se loge une lutte de pouvoir décisive. Comment mettre la main sur les « deux chambres » ? C’est l’un des objectifs politiques de Xi Jinping en ce moment.
Zhou Qiang n’est en effet pas un allié du président chinois. Il représente l’un des derniers « tigres » liés à « l’Ancien Régime », la faction tentaculaire de l’ex-président Jiang Zemin. Zhou Qiang est l’ancien secrétaire (mishu) de Xiao Yang (肖扬, 1938), président avant lui de la Cour suprême de 1998 à 2008, et surtout allié de Zhou Yongkang, l’ancien tsar déchu de la Sécurité publique. Or la position de Zhou Qiang est en ce moment des plus inconfortables. Dans des « aveux » retentissants le 22 février dernier, Wang Linqing, juge à la Cour suprême, a admis une disparition de documents dans l’affaire dite des « droits miniers » du Shaanxi. Même si ces « aveux » ne semblent pas avoir convaincu Xi Jinping, ni même Zhao Leji, en charge de la « lutte anti-corruption », ou encore son prédécesseur Wang Qishan, cette affaire gêne considérablement Zhou Qiang. Aussi le président de la Cour suprême a-t-il paru vouloir se protéger derrière les idiomes du Parti devant l’Assemblée nationale populaire. La réaction fut glaciale. Xi ne l’a même pas regardé lorsqu’il a insisté sur l’idée de la « gouvernance de la Chine par la loi » (法治中国). Ce sentiment général s’est matérialisé lors du vote sur le rapport de Zhou : 156 voix contre. Sur 2948 délégués à l’Assemblée, le chiffre peut paraître dérisoire, il ne l’est pas. D’habitude, les « opposants » se comptent sur les doigts d’une main. Le vote de la semaine dernière a marqué une forte réprobation contre le rapport de Zhou. Est-ce le début de la fin pour le président de la Cour suprême ? En tout cas, il n’a même pas répondu aux questions sur son rapport.
De son côté, Zhang Jun, le procureur général du Parquet suprême, l’autre « chambre », ne s’en est pas beaucoup mieux tiré. Avec 71 voix contre, il n’est pas non plus sorti d’affaire. C’est que Zhang est lui aussi considéré comme une homme de « l’Ancien Régime ». En effet, il est proche de Xiao Yang et de Wang Shengjun (王胜俊, 1946), président de la Cour suprême de 2008 à 2013 et allié de Zhou Yongkang, mais aussi de Luo Gan (罗干, 1935), secrétaire de la commission politico-légale du Parti de 1998 à 2007.

Faux diplômes

Certains médias étrangers ont soulevé un autre point intéressant : l’épineuse question de la crédibilité des « diplômes » accordés à certains cadres dirigeants du PCC. Parmi eux, Chen Quanguo, secrétaire du Parti dans le Xinjiang. Ce n’est pas un dossier récent. On sait depuis longtemps que certains cadres « obtiennent » des diplômes pour accéder à de nouvelles promotions. Dans le passé, cette question a même souvent été utilisée pour rétrograder un cadre en particulier.
Du reste, on attendait plus de la présence de Chen Quanguo avec la délégation du Xinjiang le 12 mars. Mais Chen ne répondit à aucune question. Surtout pas sur les camps d’internement. Seulement du déni.

Le choix de Hu Haifeng

La promotion du fils de Hu Jintao demeure aussi un événement important. Hu Haifeng, en poste au Zhejiang, sera placé à la tête de Xi’an très bientôt, avec pour mission de régler « l’affaire villas », et bien sûr, celle des droits miniers.
Cette promotion a sans doute pour but un rapprochement avec les alliés de Hu Jintao. Elle exprime aussi la volonté Xi Jinping de rendre la pareille à Hu qui lui avait cédé tous les pouvoirs d’un coup lors du 18ème Congrès du Parti en 2012. Hu Haifeng, « enfin » cadre de rang vice-provincial, a beaucoup de travail devant lui pour prouver sa valeur à Xi.

Transfert de technologie et guerre commerciale

Le projet de loi sur les transferts forcés de technologie entériné le 15 mars dernier a d’abord visé à rassurer les marchés. Concrètement, le texte doit garantir aux investisseurs étrangers l’accès au marché chinois sans passer par les transferts forcés à des partenaires locaux. Transferts qui jusque-là « garantissaient » cet accès au marché domestique. Mais la loi entrera-t-elle vraiment en vigueur ? Sera-t-elle ensuite appliquée dans tout le pays ? Par ailleurs, la question de la guerre commerciale est restée un non-dit, malgré un projet de loi qui sert aussi à l’évidence de gage pour avancer dans le processus de négociation avec les États-Unis.

Superstition et sécurité du Parti

La question de la « sécurité politique » a marqué les discussions, en particulier à travers le discours de Xi Jinping sur les « 7 risques ». Une façon de résumer les défis actuels de la Chine, dont le ralentissement économique et les pressions sur le Parti depuis le début de la guerre commerciale avec Washington. Mais il ne faut pas négliger ce qui relève ici de la superstition et de la numérologie. En Chine, « 9 » est un chiffre porte-bonheur associé à la longévité : 2019 est qualifiée de « grande année politique » (政治大年), non seulement marquée par la fin souhaitée de la guerre commerciale, mais aussi par l’ascension de la génération 6.5 à plusieurs postes dans l’appareil du Parti-État. Derrière tout cela, la préoccupation majeure reste la même : comment maintenir le pouvoir du Parti.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.