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Chine : quand Xi Jinping tend la main à Hu Jintao pour assurer l'avenir

Hu Jintao et Xi Jinping lors de la session annuelle du parlement chinois en mars 2013. Le premier venait de céder à l'autre toutes les rênes du pouvoir. (Source : South China Morning Post)
Hu Jintao et Xi Jinping lors de la session annuelle du parlement chinois en mars 2013. Le premier venait de céder à l'autre toutes les rênes du pouvoir. (Source : South China Morning Post)
Xi Jinping aurait-il besoin de nouveaux alliés pour dominer la Chine ? En pleine session annuelle des « deux assemblées », il est une promotion qui ne passe pas inaperçue. Celle du fils de Hu Jintao, l’ancien président et prédécesseur de Xi. Hu Haifeng devient le patron de la ville de Xi’an, en pleine tourmente de la « lutte anti-corruption ». Un geste qui reflète chez Xi peut-être l’urgente nécessité de ne pas s’aliéner un réseau encore utile pour la relève du Parti.
A la veille des « deux assemblées », les projecteurs étaient en partie braqués sur la situation au Fujian. En particulier sur le fils de l’ancien président Hu Jintao : Hu Haifeng (胡海峰, 1972) alors promis à un poste de rang vice-provincial (fushengji, 副省级) après la double session parlementaire. Celle-ci n’est pas encore terminée qu’on a appris ce lundi la nomination de Hu comme secrétaire du parti de la ville de Xi’an, et ainsi nouveau membre du comité permanent de la province du Shaanxi. Hu remplace Wang Yongkang (王永康, 1963), un membre de la bande du Zhejiang, le réseau de Xi Jinping. Wang dirigeait Xi’an depuis 2016. Il vient d’être transféré comité permanent de la province du Heilongjiang. Pourquoi cette promotion ? Et surtout, pourquoi à Xi’an ?

Hu le second, du Zhejiang au Shaanxi

*Son rôle exact n’est pas disponible sur son profil Baidu. Lire ici et .
Fils aîné de Hu Jintao, Hu Haifeng est avant tout connu comme homme d’affaires : il a été directeur général de la compagnie Nuctech (威视股份有限公), appartenant à la holding de l’Université Qinghua (清华控股有限公司)*. Nuctech fabriquait alors des scanners pour les conteneurs et les aéroports, entre autres. Lorsque Hu fut ensuite nommé à la tête de la holding de Qinghua en 2008, Nuctech possédait une énorme partie du marché de la sécurité dans les aéroports chinois. Elle avait aussi assuré la sécurité des Jeux olympiques de 2008, ainsi que de l’exposition universelle de Shanghai en 2010. Moins reluisant, la compagnie aurait été mêlée en 2009 à une affaire de corruption en Namibie.
*Après avoir quitté la politique provinciale en 2017, Xia fut nommé vice-président de la conférence consultative politique.
La même année en décembre, Hu Haifeng se « retire » de Nuctech pour être placé au Zhejiang, au Yangtze Delta Region Institute de l’Université Qinghua. Sous Xi Jinping en mai 2013, il est promu secrétaire adjoint du Parti à Jiaxing. La ville était alors dirigée par Lu Jun (鲁俊, 1968), une responsable appartenant au réseau de la Ligue des jeunesses communistes, la faction « tuanpai » de Hu Jintao. D’abord secrétaire adjointe du Parti provincial du Zhejiang de 2004 à 2006 et puis secrétaire de 2006 à 2009, elle connaît un parcours similaire à celui de Hu Haifeng. En 2013, la province du Zhejiang est alors sous la supervision de Xia Baolong (夏宝龙, 1952), un allié dont Xi Jinping est quelque peu insatisfait*. En juin 2018, Lu Jun devient directrice adjointe du département de l’organisation. Elle insiste pour placer Hu Haifeng à la tête de la municipalité de Lishui (丽水), poste auquel il fut nommé un mois après la promotion de Lu.
Hu Haifeng avait alors côtoyé pendant cinq ans Wang Yongkang, maire (2011-2013) et secrétaire du Parti de Lishui de 2013 à 2016. Wang passe douze mois au département du Front uni du Zhejiang avant d’être envoyé à Xi’an en remplacement du tristement célèbre Wei Minzhou. Et maintenant, Hu vient une nouvelle fois remplacer Wang Yongkang. Des préparatifs seraient déjà en cours pour son arrivée à Xi’an.

Vers un rééquilibrage des factions ?

*Être nommé au Heilongjiang est historiquement une punition.
Cette promotion au Shaanxi, qui plus est à Xi’an, a de quoi dérouter au vu des circonstances. A l’origine, Hu avait des chances d’être promu directeur du département de l’organisation au Fujian. Une option moins litigieuse pour Hu Jintao. Mais envoyer son fils dans une région marquée par la « lutte anti-corruption » autour de « l’affaire des villas » et celle des « droits miniers », tout cela ressemble davantage à un cadeau empoisonné qu’à une promotion. Car la « mise au placard » de Wang Yongkang dans le Heilongjiang* semble justement être l’expression du mécontentement de Xi Jinping à l’égard de l’interminable « affaire des villas de Qinglin », que Wang n’a pas su régler.
Comment comprendre alors la promotion de Hu Haifeng ? Il y a deux interprétations possibles. C’est sans doute d’abord un test pour Hu Haifeng. Xi’an est accablée par une montagne de corruption à la manière d’une maladie contagieuse. Remettre de l’ordre ne sera pas de tout repos pour Hu, connu pour être un « taiseux », un peu comme son père. Autrement dit, la promotion est salée : ça passe ou ça casse. Cependant, un « parachuté » sera le bienvenu dans un environnement politique où tous semblent aller vers la mise en examen. Dans tous les cas, du Zhejiang au Shaanxi, Hu Haifeng demeure dans les bastions de Xi Jinping, et donc sous sa tutelle.
L’autre interprétation est plus « macro-politique ». Xi a peut-être voulu rendre la pareille à Hu Jintao, qui en 2012 n’a pas hésité à lui céder d’un coup l’ensemble des pouvoirs exécutifs – l’État, le Parti et l’armée -, en plus de le soutenir ouvertement. Et puis il fait considérer le climat politique en Chine : la « lutte anti-corruption » s’éternise, l’économie ralentit et le scepticisme se propage dans les hautes instances du Parti. Une main tendue aux alliés de Hu Jintao et de Li Keqiang pourrait bénéficier aux deux camps.
Oubliée la chute de Ling Jihua, ancien bras droit de Hu Jintao ? L’affaire avait lourdement terni l’image de la faction des « tuanpai ». Mais les alliés de Hu Jintao ont encore le bras très long dans la structure des Jeunesses communistes. Or la Ligue forme les prochaines générations d’élite, dont une majorité de la 7ème et de la 8ème générations. Avoir accès à de jeunes cadres pour assurer la relève après 2022 est une denrée convoitée au sein du Parti-État.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.