Politique
Partenariat - Collectif pour un nouveau journalisme international

Camps d'internement au Xinjiang : la Chine sous pression internationale

Un rapport de l'ONU publié en aout 2018 accuse la Chine de détenir un million de Ouïghours dans des camps de rééducation au Xinjiang. (Source : TRT World)
Un rapport de l'ONU publié en aout 2018 accuse la Chine de détenir un million de Ouïghours dans des camps de rééducation au Xinjiang. (Source : TRT World)
L’affaire devient toujours plus gênante pour Pékin. Début août, un comité d’experts de la commission des droits de l’homme de l’ONU publiait un rapport retentissant : plus d’un million de Ouïghours seraient internés dans des camps de rééducation au Xinjiang, dans le Nord-Ouest chinois. Depuis, l’Union européenne fait écho aux Nations Unies pour mettre la pression sur la Chine. Les États-Unis réfléchiraient même à des sanctions. Si bien que Pékin a été forcé de répondre : il n’existe « pas de camps au Xinjiang », il s’agit uniquement « d’éduquer » les Ouïghours.
Cet article est le fruit d’une collaboration entre Asialyst et Novastan au sein du Collectif pour un Nouveau journalisme international.
Petit à petit, la communauté internationale se fait plus agressive sur la situation au Xinjiang. Les Ouïghours, minorité musulmane de langue turque, y sont victimes de persécution depuis de nombreuses années, accusent plusieurs ONG, et maintenant l’ONU et l’Union européenne. Une répression qui s’est accentuée depuis 2016 et la nomination de Chen Quanguo comme chef du parti communiste de la province, après avoir dirigé celui au Tibet.
Le 13 septembre dernier, Pékin a répondu très directement aux accusations internationales. « La Chine met en place des centres de formation professionnelle, des centres éducatifs », a estimé Li Xiaojun, directeur de la communication au bureau des droits de l’homme du Conseil des affaires de l’État, rapporte l’agence Reuters. Selon lui, la Chine « éduque » la minorité ouïghoure afin de ne pas subir d’attentats islamistes.

L’ONU et l’UE interpellent Pékin

Depuis plusieurs mois, les informations se précisent sur l’étendue de la répression au Xinjiang. Le 10 août dernier, des experts du comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale ont attaqué directement la Chine. Dans un rapport édifiant, ils affirment que la région est devenue « quelque chose ressemblant à un camps d’internement, entouré de secret, une sorte de zone de non-droit ». Plus grave : ils avancent le chiffre d’un million de Ouïghours détenus dans ces camps, rejoignant ainsi les observations d’experts indépendants.
Le 10 septembre dernier, c’est Michelle Bachelet qui a relancé la charge. « Nous demandons au gouvernement de permettre au bureau [du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme à l’ONU, NDLR] l’accès à toutes les régions de la Chine, et nous espérons que nous entamerons des discussions sur ces questions », a-t-elle appelé l’ancienne présidente chilienne et nouvelle Haut-Commissaire.
deux jours plus tard, l’Union européenne a repris le flambeau. Sa Haute-représentante pour les affaires étrangères et la sécurité, Federica Mogherini, a évoqué une discussion directe avec la Chine au sujet de « la situation au Xinjiang, et notamment de l’expansion des camps de rééducation politique ». « Il est très clair pour nous que nous ne sacrifierons pas nos valeurs au nom de la real politik », a ajouté Federica Mogherini devant le Parlement européen.

La Chine dément

Devant à ces multiples accusations, la Chine n’est pas restée sans réagir. Le 13 août, Pékin a dû répondre officiellement pour la première fois sur le sujet, et a démenti l’existence de ces camps de rééducation. Le 11 septembre, face à Michelle Bachelet, le ton est même monté. « La Chine exhorte la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme à respecter scrupuleusement la mission et les principes de la charte des Nations Unies, à respecter la souveraineté de la Chine, à exécuter ses missions de manière honnête et objective et à ne pas écouter les informations partiales », lance alors Geng Shuang, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
Le 13 septembre, la Chine n’a pas apprécié non plus le discours de Federica Mogherini, allant jusqu’à attaquer la gestion européenne de la menace islamiste. « Si vous ne considérez pas que c’est la meilleure manière, c’est peut-être une réponse nécessaire à l’extrémisme islamiste ou religieux, parce que l’Occident a échoué à le faire, à contrôler l’extrémisme islamiste, a estimé Li Xiaojun. Regardez la Belgique, regardez Paris, regardez d’autres pays européens. Vous avez échoué. »
Ces déclarations de plus en plus virulentes de la part de Pékin montrent l’importance du Xinjiang pour les autorités chinoises. La province est l’une des pièces maîtresses dans le projet des « Nouvelles routes de la Soie », qui doit relier la Chine à l’Europe par le train et la route en passant par l’Asie centrale. Pour s’assurer la maîtrise totale de la région, la Chine ne lésine pas sur les moyens.

De la « déradicalisation » à l’internement massif

De fait, le Xinjiang est en train de vivre une répression maoïste digne de la Révolution culturelle. Dans les années 1960, les « 5 catégories noires » (propriétaires, paysans riches, droitiers, contre-révolutionnaires et mauvais éléments) étaient considérées comme les « ennemis de la Révolution ». Aujourd’hui, ce sont les « extrémistes », les « séparatistes » et les « terroristes ». Selon cette même logique, tous les Ouïghours sont de potentiels « ennemis du peuple ».
En 2015, un terme bien connu en France devient le mot d’ordre de la répression au Xinjiang : la « déradicalisation » est inscrite dans la législation comme « solution à la crise » dans la province. Les personnes jugées suspectes pour leur zèle religieux ou leurs liens avec l’étranger doivent désormais participer à des classes « d’éducation aux lois », comme la Chine en a organisé pour les dissidents, les moines tibétains ou les membres du mouvement religieux Falungong. Dispensées dans des écoles ou d’autres bâtiments publics, elles rappellent les « écoles du 7 mai » dans lesquelles les cadres étaient envoyés pour se faire « rééduquer » lors de la Révolution culturelle.
Jugée « concluante », cette politique de déradicalisation se généralise en 2016 avec l’arrivée à la tête du parti de la province de Chen Quanguo, un allié proche de Xi Jinping et un tenant de la ligne dure. Depuis, les taux d’internement grimpent en flèche. Dans le Canton de Hotan, ville à majorité ouïghoure, le Comité politique et législatif juge que 15% de la population constituent des « soutiens » à l’extrémisme et 5% des radicalisés « endurcis ». Selon le chercheur allemand Adrian Zenz, spécialiste des politiques de sécurité au Xinjiang, « les taux d’internement dans les régions à majorité musulmane ont une ressemblance frappante avec les chiffres évoqués par les autorités de Hotan ». Aujourd’hui, le Xinjiang compterait une quarantaine de camps d’internement, si l’on en croit la liste établie par un jeune étudiant chinois Han basé au Canada, Shawn Zhang. Une liste conçue à partir de rapports d’annonces officielles et d’appels d’offres pour des « centres de formation professionnelle » ou d’éducation, tous dotés d’une abondance d’équipements de sécurisation.
En janvier dernier, Radio Free Asia parlait de 120 000 détenus pour la seule préfecture de Kashgar, citant un responsable chinois de la sécurité sous couvert d’anonymat. La ville de Kashgar, selon ce responsable, accueille 4 camps, dont le plus grand a été ouvert en mai 2017 dans le collège n°5 de la ville. Les détenus vivent dans des « cellules exiguës et sordides ». Selon Omer Kanat, président du comité exécutif du Congrès mondial ouighour, une organisation de la diaspora ouïghoure, les prisonniers subissent un « lavage de cerveau », forcés de chanter des chants révolutionnaires, d’étudier la « pensée de Xi Jinping » et de « confesser » des « délits » comme « prier à la mosquée » ou « voyager à l’étranger ».

La « destruction » de l’identité ouïghoure par la surveillance et l’assimilation

L’internement massif des Ouïghours est l’aboutissement d’une politique débutée après les attentats du 11 septembre. Depuis les années 1980, le Xinjiang connaissait comme dans toute l’Asie centrale un renouveau de l’Islam et de la piété religieuse. De nouvelles mosquées s’étaient construites, la pratique des prières journalières et du Ramadan étaient redevenues populaire, comme le port de vêtements islamiques. A partir de 2001, la Chine va profiter d’un « deal » avec l’Amérique de George W. Bush : Pékin soutient la « guerre contre le terrorisme » et en échange, Washington ferme les yeux sur la répression au Xinjiang. Les Ouïghours dénoncent alors une montée des discriminations à l’embauche, dans l’accès à l’éducation et au logement autant qu’en matière religieuse, notamment l’interdiction du ramadan. L’arrivée massive de Chinois Han dans la région dans un but de « sinisation » comme au Tibet, va encore aggraver les tensions. En juillet 2009, des émeutes interethniques sanglantes à Urumqi provoquent un durcissement de la coercition. En 2014, le cycle de la violence donne lieu à ce qui ressemble très fortement à des attentats terroristes de la part de Ouïghours radicalisés : parmi eux, le plus choquant se produit à la gare de Kunming, où des assaillants masqués tuent plus d’une trentaine de voyageurs au couteau. En réponse, la Chine de Xi Jinping déclare une « guerre du peuple contre la terreur ».
Ces dernières années, la Chine a encore modernisé sa répression. Un État policier « high tech » a été mis en place pour surveiller toute la population ouïghoure de la province. Pékin a investi des milliards de yuans dans un immense réseau de caméras à reconnaissance faciale, placées dans les stations essence ou dans les nombreux check points apparus depuis 2016 dans l’espace public. En août 2017, Meng Jianzhu, patron de la Sécurité en Chine, appelle à « utiliser le big data » pour la surveillance du Xinjiang. Dans certaines villes de la province, les autorités forcent alors la population à télécharger dans les smartphones l’application « Jingwang » (Internet propre), un mouchard qui détecte tous les mots interdits. Dans le même temps, des systèmes GPS espions sont installés dans de plus en plus de voitures, des QR Codes sont accrochés à l’entrée des maisons et la collecte de l’ADN se généralise pour les Ouïghours âgés de 12 à 65 ans. En 2017, une loi édicte une nouvelle liste d’interdictions, dont le port du voile et de la barbe. Toute expression de dissidence ou de religiosité chez les Ouïghours s’assimile désormais à de l’extrémisme, du séparatisme ou du terrorisme.
« Cette campagne lutte prétendument contre l’extrémisme et le terrorisme, mais en réalité, il s’agit de surveillance, de contrôle et d’assimilation », dénonce Maya Wang, chercheuse à l’ONG Human Rights Watch à Hong Kong. En 2017, dans une interview pour CNN, Rebiya Kadeer, longtemps la voix des Ouïghours en exil et qui a quitté la présidence du Congrès mondial ouïghour, estime que « l’intention réelle du gouvernement chinois est d’éliminer les Ouïghours en tant que groupe ethnique distinct. Répression religieuse, restrictions culturelles, interdiction de la langue ouïghoure… Toute cette répression au Xinjiang rend les Ouïghours encore plus fermement attachés à leur identité. La Chine a réveillé le peuple ouïghour. »
Cependant, le rapport de l’ONU sur l’internement massif au Xinjiang a créé une autre brèche. L’Amérique de Donald Trump n’est plus celle de George W. Bush. L’actuel locataire de la Maison Blanche ne se sent plus lié par le « deal » de 2001. Il serait en train d’étudier des sanctions contre les responsables chinois et les entreprises liées aux violations des droits de l’homme en Chine. « Nous sommes profondément troublés par l’aggravation de la répression, non seulement contre les Ouïghours, mais aussi contre les Kazakhs et contre tous les musulmans dans cette province [du Xinjiang] », a déclaré ce jeudi 12 septembre Heather Nauert, la porte-parole du Département d’État. Fin août, un groupe d’avocats américains avaient demandé au Secrétaire d’État Mike Pompeo d’imposer des sanctions financières à sept dirigeants chinois dont Chen Quanguo, le chef du Parti dans le Xinjiang. De telles sanctions seraient une première pour le président américain en matière de droits humains, alors qu’il a lancé une guerre commerciale au long cours contre Pékin et qu’il a besoin en même temps de l’aide de Xi Jinping dans le dossier nord-coréen. Pour l’instant, Washington reste prudent. Mais avec Donald Trump, aucune surprise n’est à exclure.
Par Étienne Combier, co-fondateur de Novastan, et Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).
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