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Croissance en Asie : la Chine n'est plus le moteur, l'Asie du Sud-Est et l'Inde prennent le relais

Une ouvrière chinoise dans un atelier textile à Xingtai dans la province chinoise du Hebei près de Pékin. (Source : Asia Times)
Une ouvrière chinoise dans un atelier textile à Xingtai dans la province chinoise du Hebei près de Pékin. (Source : Asia Times)
Le FMI et la Banque Mondiale viennent de publier leurs prévisions économiques pour cette année et pour l’année prochaine. En Asie, le paysage dessiné par les institutions internationales est sans précédent depuis quarante ans. La Chine n’est plus le moteur de l’économie asiatique, l’Asie du Sud-Est et l’Inde prennent le relai avec vigueur. Le ralentissement de l’économie mondiale et la crise énergétique ont cependant un prix. Quelques pays à la périphérie du continent asiatique n’y résistent pas et s’enfoncent dans la crise. Pour juger si ce nouveau paysage n’est que conjoncturel, il faudrait être dans la tête de Xi Jinping, et savoir si le retour au pragmatisme est possible en Chine.
Le verdict du FMI et de la Banque mondiale dans leurs estimations d’octobre 2022 est sans appel pour la Chine. Sa croissance en 2022 ne dépassera pas 3,2 % ou 2,8 % selon leurs prévisions respectives. Les chiffres de troisième trimestre qui viennent d’être publiés ne remettent pas en cause ce scénario : ils confirment une croissance de 3 % sur les 9 premiers mois de l’année. C’est à peu près le niveau de la croissance mondiale, ce qui veut dire que la Chine n’est plus en phase de rattrapage en 2022, une situation que l’empire du milieu n’a pas connue depuis 1976, sous la présidence de Mao Zedong. Les prévisions des deux institutions pour 2023 restent médiocres, autour de 4,5 %. Dans le même temps, l’Asie du Sud-Est et l’Inde se montrent résilientes face au ralentissement de l’économie mondiale.

Le ralentissement durable de l’économie chinoise

La croissance potentielle de l’économie chinoise est désormais évaluée à 4,5 % par le FMI jusqu’en 2027, soit un demi-point de moins que les estimations antérieures. Ce n’est pas la fin du rattrapage, mais on n’en est plus très loin. Les raisons principales de ce pessimisme sont d’ordre interne. La Chine s’est tiré deux balles dans le pied en pratiquant une politique de tolérance zéro à l’égard du Covid-19 qui lui coûte très cher économiquement – sans doute un à deux points de PIB actuellement – et en resserrant brutalement les conditions du financement de l’immobilier à partir de 2020. Un certain nombre de promoteurs n’y ont pas résisté et la confiance des ménages est désormais durablement atteinte : tous les indices du secteur continuent à se dégrader.
Le gouvernement pourrait inverser ces deux politiques, facilement pour la pandémie, plus difficilement pour l’immobilier car le retour de la confiance prendra du temps. Mais Xi Jinping ne le veut pas, et son autorité sur le pays est aujourd’hui plus forte que jamais après le XXème congrès du Parti communiste. Il a été très clair sur le maintien de la politique de tolérance zéro sur le plan sanitaire, qu’il juge toujours appropriée. Il l’est également sur la politique immobilière, avec l’idée que la bulle du secteur doit être résorbée (on se souvient de la formule « les appartements sont faits pour y vivre, pas pour spéculer »). De fait, les politiques de soutien au secteur proviennent essentiellement des gouvernements provinciaux et il n’est pas question pour Pékin de renflouer les promoteurs en difficulté. Cette crise de l’immobilier devrait donc peser lourdement sur la croissance chinoise pour plusieurs années.
Au-delà des sujets de court terme, d’autres nuages s’accumulent pour le long terme. Le ralentissement démographique s’accélère, la compétition technologique avec l’Occident va coûter cher, et la priorité absolue donnée au secteur public va très probablement avoir un impact négatif sur la productivité (l’écart de productivité entre les secteurs public et privé s’est nettement accru en Chine ces dernières années). Pour le Parti communiste chinois, la croissance n’est plus l’unique priorité : elle passe désormais après la sécurité nationale et la lutte pour le leadership mondial.

L’Asie du Sud-Est en bonne forme

Les principaux pays d’Asie du Sud-Est étaient en phase de rattrapage rapide en début d’année, après une année 2021 difficile marquée par une explosion de la pandémie. Mieux vaccinés, faisant le pari de la levée des restrictions sanitaires, ils ont su tirer parti d’une demande mondiale soutenue au premier trimestre tout en relançant la consommation intérieure et en engrangeant les bénéfices d’un retour partiel du tourisme international. Les exportateurs nets d’énergie – Indonésie et Malaisie en particulier – ont profité à plein de la hausse des prix de l’énergie.
La guerre en Ukraine et le ralentissement de l’économie mondiale à partir du second trimestre ont pesé sur la croissance du sous-continent à hauteur d’un point de PIB en moyenne, ce qui n’empêche pas des croissances annuelles en ligne avec le rythme des années antérieures. Selon la Banque Mondiale, le trio de tête des pays en forte croissance en 2022 inclut le Vietnam (7,2 %), les Philippines (6,5 %) et la Malaisie (6,4 %). Vient ensuite l’Indonésie qui, avec une croissance de 5,1 %, réalise un score conforme à sa croissance potentielle. Même la croissance thaïlandaise retrouve des couleurs (3,1 %) grâce à une réapparition modeste du tourisme international, à 40 % du niveau antérieur à la pandémie. Les prévisions pour 2023 restent quasi comparables aux estimations de 2022.
Un effet de rattrapage se poursuit dans la dynamique de 2022. La Banque Mondiale rappelle que l’économie du Sud-Est asiatique avait été fortement affectée par la pandémie en 2020 et 2021. Le retour aux niveaux de PIB antérieurs à la crise a été atteint fin 2021 en Indonésie et en Malaisie. Il est en train de se faire cette année aux Philippines, en Thaïlande et au Cambodge. Seul le Vietnam est parvenu à maintenir une faible croissance en 2020 et 2021, avant de repartir cette année vers son rythme de croissance historique.
Parmi les autres bonnes nouvelles du moment figure l’inflation, qui reste inférieure à ce que nous connaissons en Occident. L’indice des prix à la consommation se situe en dessous du seuil de 5 % en Indonésie, en Malaisie et au Vietnam, et demeure en deçà du niveau atteint en zone Euro pour la Thaïlande et les Philippines. Un résultat qui est dû pour partie (comme en France) à l’importance des subventions couvrant la consommation alimentaire et l’énergie.
Les zones de fragilité concernent inévitablement la sphère financière, la remontée du dollar et des taux d’intérêt américains exerçant une pression sur les taux de change et les politiques monétaires nationales. Mais paradoxalement, ce sont les monnaies des pays développés d’Asie (yen, won coréen et dollar taïwanais) qui ont subi le choc le plus important en raison d’un écart croissant entre les taux directeurs de leurs banques centrales et ceux de la Fed américaine. Les dépréciations monétaires vis-à-vis du dollar sont inférieures à 10 % dans la plupart des pays de l’Asean, les déficits des paiements courants sont mesurés, les réserves de change confortables, et personne n’imagine la réédition d’une crise financière comparable à celle qui avait ravagé l’Asie du Sud-Est en 1997 et 1998.

L’Inde résiliente

Durement touchée par la pandémie en 2020, avec un recul du PIB de 7,6 %, l’économie indienne connaît un fort rebond en 2021 (+8,7 %), et les prévisions du début de cette année étaient tout aussi favorables. Le choc de la guerre en Ukraine a été sévère pour un pays très dépendant des importations d’énergie, et la prévision de croissance du FMI dans son rapport d’octobre 2022 est ramenée à 6,8 %. Malgré ce choc de deux points, la croissance indienne reste dynamique et représente le double de la croissance chinoise pour la première fois dans l’histoire économique des cinquante dernières années. L’Inde a subi des sorties de capitaux modérées, la roupie indienne chute de 12 % au cours des trois premiers trimestres de l’année, soit moitié moins que le yen japonais, mais au prix d’une diminution significative des réserves de change du pays. Les pressions inflationnistes en Inde sont plus élevées qu’en Asie du Sud-Est (l’indice des prix à la consommation progresse de 7 %) et touchent en particulier l’alimentaire, au détriment des couches les plus pauvres de la population.
Les prévisions pour 2023 restent assez optimistes pour l’Inde, avec une croissance qui se situerait entre 6 et 7 %. Le « Make in India » fait quelques progrès, avec le transfert vers l’Inde de certains investissements destinés initialement à la Chine, que symbolise la décision prise récemment par Foxconn d’assembler l’iPhone 14 à Chennai. Le renversement de la dynamique économique Inde-Chine, attendu en vain depuis longtemps, semble finalement prendre corps.

Quelques pays en crise

Hors Chine, la dynamique encourageante de l’Asie en développement laisse tout de même sur le côté une demi-douzaine de pays en crise. Il s’agit du Sri Lanka et du Pakistan en Asie du Sud, de la Birmanie et du Laos en Asie du Sud-Est, de la Mongolie en Asie de l’Est, du Kazakhstan en Asie centrale. Ces pays subissent tous une inflation supérieure à 15 % en 2022 (allant jusqu’à 60 % au Sri Lanka), des dépréciations de taux de change accélérées vis-à-vis du dollar (36 % pour la roupie pakistanaise) et un resserrement monétaire rapide pour y faire face, des situations de franche récession, comme c’est le cas au Sri Lanka (-8,7 % en 2022) ou de croissance très faible.
Les raisons de ces crises sont très variables : mauvaise gestion et chaos politique au Sri Lanka, inondations majeures au Pakistan, guerre civile en Birmanie, double choc de la guerre en Ukraine et des perturbations de la chaîne logistique chinoise pour la Mongolie, crise de la dette et choc inflationniste au Laos, tensions politiques et contrecoup de la crise économique russe au Kazakhstan. Ces pays en crise illustrent les fragiles équilibres sur lesquels repose la dynamique de la croissance asiatique dans un contexte mondial fortement dégradé.
Au total, le panorama économique de l’année 2022 pour l’Asie en développement est sans précédent. La disparition du moteur chinois ne brise pas l’élan de la région, et la dynamique interne des flux d’échanges est en pleine recomposition, pour des raisons à la fois économiques et géopolitiques. Il faudra attendre quelques années pour mieux apprécier la part du conjoncturel et du structurel dans ces transformations.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.