Economie
Analyse

Chine : renforcé après le Congrès du Parti, Xi Jinping face à une réalité difficile

Le président chinois Xi Jinping, suivi des membres du nouveau comité permanent du Politburo : Li Qiang, Li Xi, Zhao Leji, Ding Xuexiang, Wang Huning and Cai Qi, lors de la présentation à la presse au lendemain de la clôture du XXème Congrès du PCC, dans le Grand Hall du Peuple à Pékin, le 23 octobre 2022. (Source : Japan Times)
Le président chinois Xi Jinping, suivi des membres du nouveau comité permanent du Politburo : Li Qiang, Li Xi, Zhao Leji, Ding Xuexiang, Wang Huning and Cai Qi, lors de la présentation à la presse au lendemain de la clôture du XXème Congrès du PCC, dans le Grand Hall du Peuple à Pékin, le 23 octobre 2022. (Source : Japan Times)
Xi Jinping apparaît certes plus fort que jamais aux commandes de son pays après le XXème congrès du Parti communiste chinois, lors duquel il a clairement donné la priorité à l’idéologie. Mais la réalité qui l’attend est une économie fortement fragilisée et, surtout, un environnement géopolitique devenu nettement défavorable à la Chine.
La croissance du PIB chinois a rebondi de 3,9 % au troisième trimestre en rythme annuel (après 0,4 % au second trimestre), selon les données officielles diffusées ce lundi 24 octobre. Cependant, les perspectives ne sont guère brillantes pour le reste de l’année. Le ressort de la machine économique chinoise parait désormais durablement enrayé.
En effet, la Chine connaîtra en 2022, selon toute probabilité, un taux de croissance de son PIB de 3 %, soit le pire jamais enregistré en plusieurs décennies. C’est aussi largement en-dessous de la prévision officielle de 5,5 % qui est déjà un plancher record depuis longtemps, estiment la plupart des experts occidentaux de même que les grandes institutions internationales telle que la Banque Mondiale.
« Les autorités chinoises ne peuvent désormais plus masquer le fossé qui se creuse de plus en plus avec les États-Unis et qui est de l’ordre de 8 300 milliards de dollars actuellement contre 5 300 milliards encore l’an dernier, selon des calculs effectués par l’ancien patron de la Banque Mondiale, Bert Hofman, explique l’économiste Michel Santi dans les colonnes de L’Express. À l’extérieur, la crédibilité de Xi est donc à présent remise en question, lui qui n’avait de cesse à la moindre occasion de déclarer que son pays était sur le point de surclasser les États-Unis. »
Le fait est que la Chine ne peut plus se targuer d’être la locomotive économique de l’Asie. Car pour la première fois depuis 25 ans, les chiffres de la croissances en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines et au Vietnam dépassent les performances de leur puissant voisin. Ce plongeon de l’économie chinoise suscite d’ailleurs des interrogations sur la capacité de la Chine à devenir la première économie mondiale d’ici 2027 ou 2030, comme le prédisaient il y a peu encore des économistes internationaux de renom. Cette échéance semble aujourd’hui s’éloigner à grande vitesse.
« L’économie chinoise ne dépassera pas celle des États-Unis pour devenir la première économie du monde avant 2060, si elle y arrive un jour, affirme l’économiste Ruchir Sherma, président de Rockefeller International, une fondation philanthropique américaine privée basée à New York, cité par le Financial Times. Une croissance de 2,5 % l’an pour la Chine comporte des implications majeures s’agissant de son ambition de devenir une superpuissance économique, diplomatique et militaire. Une Chine en retrait est le scénario le plus vraisemblable, ce que le monde ne réalise pas encore. »
Même le South China Morning Post sonne l’alarme dans son édition de ce mercredi 26 octobre : « L’économie n’est pas en aussi mauvais état comme le proclament des médias ou des analystes étrangers, mais il demeure qu’il existe un besoin urgent de restaurer la confiance. Le plus tôt [le gouvernement chinois] pourra donner des garanties aux investisseurs et aux hommes d’affaires sur la direction que prendra la politique [chinoise], le plus tôt la Chine pourra stabiliser son économie. »

Fin du miracle économique chinois ?

Pour ce champion de la croissance qu’est la Chine qui avait affiché des taux à deux chiffres pendant presque trente ans, cette dégringolade de l’économie est le résultat surtout d’une gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19, qui a paralysé les chaînes d’approvisionnement, provoqué la fermeture provisoire de centaines d’usines et découragé les investisseurs étrangers dont un grand nombre plient bagages pour investir sous d’autres cieux plus cléments.
Ce que d’aucuns qualifiaient encore il y a peu de « miracle économique chinois » est-il donc en train de trouver ses limites ? La plupart des experts de l’économie chinoise de même que les grandes institutions internationales tablent aujourd’hui sur une croissance du PIB chinois comprise entre 2,5 et 3,5 % en 2022. « Ce rebond est dû à une production industrielle qui s’est reprise en septembre, mais la plus grande partie de l’économie a perdu de son dynamisme le mois dernier, estime Julian Evans-Pritchard, chef économiste pour la Chine du fonds britannique Capital Economics, cité par la revue japonaise Asia Nikkei. Et la situation semble avoir empiré en octobre. Le nombre de villes où l’on constate une résurgence des cas de Covid-19 et leur poids dans l’activité économique s’est encore accru à un niveau jamais vu depuis le début de la pandémie. »
L’annonce de ces résultats économiques par le Bureau national des statistiques (BNS) avait été reporté mardi 18 octobre en raison de la tenue du XXème congrès du PCC, la grand-messe politique qui a lieu tous les cinq ans en Chine. Le Congrès s’est achevé samedi 22 octobre avec l’annonce de la « réélection » de Xi Jinping pour un troisième mandat à la tête de la Chine, fait inédit dans ce pays, et la nomination de dizaines de nouveaux dirigeants du Parti, quasiment tous des fidèles très proches du « nouvel empereur rouge ».
Or Xi Jinping a clairement annoncé que sa politique de gestion de la pandémie allait continuer. En outre, tout aussi clairement l’accent a été mis sur l’idéologie et la « sécurité nationale », l’économie étant reléguée au second plan. Le Premier ministre Li Keqiang, garant jusque-là de la priorité à l’économie, a été écarté et n’est même plus membre du Bureau politique du Parti, remplacé par Li Qiang, soutien déclaré de Xi Jinping et ancien chef du Parti à Shanghai très critiqué pour sa gestion du confinement de la ville au printemps dernier. Un choix qui risque, lui aussi, de peser sur la confiance des marchés financiers.
« Il semble bien que le pouvoir soit désormais dominé par Xi et ses alliés, estime Alvin Tan, expert du fonds Asia FX Strategy basé à Singapour, cité par Reuters. En matière de gouvernance, cela veut dire qu’il y aura désormais plus d’obéissance aux idées de Xi Jinping sur la façon de conduire le pays et l’économie. Je peux imaginer que la politique du « zéro Covid » sera encore plus ancrée et qu’il n’y aura plus guère de dynamique pour favoriser la prospérité et les autres sujets qui lui sont associés. »
C’est aussi l’avis de Drew Thompson, chercheur associé à l’Université nationale de Singapour, lui aussi cité par Reuters : « Voici un pouvoir qui va se concentrer sur les objectifs politiques de Xi plutôt que sur les questions cruciales pour le pays. Il n’y a plus qu’une façon correcte de gouverner : celle de Xi. Les investisseurs et les entreprises [étrangères] attendaient désespérément des signes sur le rôle des libéraux et des réformateurs dans la conduite de l’économie afin de retrouver l’ancien modèle qui donnait la priorité aux investissements étrangers et à l’ouverture de l’économie. Il est clair à en juger les résultats du XXème congrès que la sécurité nationale et la sécurité politique du Parti vont prendre l’ascendant sur la croissance économique. »
Pour Joerg Wuttke, président de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine et qui vit depuis quarante ans dans ce pays, « les réformateurs ont été totalement écartés [lors du XXème Congrès]. Cela montre que l’ouverture de l’économie ne va pas se poursuivre. Nous sommes maintenant confrontés à une situation où, dans les cinq prochains mois, toute l’élite de la politique économique, qui comprend des personnalités très respectées comme Liu He [vice-Premier ministre], va se retirer de la vie politique d’un seul coup. C’est un phénomène dangereux, surtout à un moment où l’économie chinoise est déjà paralysée. Nous devons nous défaire de l’idée que la politique de la Chine est toujours essentiellement axée sur la croissance économique. Nous avons été habitués à la croissance économique, à la réforme et à l’ouverture pendant près de quarante ans. La Chine était le moteur économique du monde. Aujourd’hui, le pays emprunte une toute nouvelle voie. »

Citadelle assiégée

Xi Jinping a beau avoir affirmé dans son discours de clôture du Congrès que « le monde de demain a besoin de la Chine et la Chine de demain a besoin du monde », il a également averti que la Chine et le Parti seront désormais confrontés à des « tempêtes dangereuses », manière de préparer à un raidissement idéologique à venir du régime chinois. Il semble bien patent que les orientations politiques définies par le XXe congrès annoncent une « nouvelle ère » qui sera marquée par une Chine qui va peu à peu continuer de se refermer sur le monde extérieur, un processus qui était déjà sensible depuis quelques années.
Est-ce même le début d’une période de glaciation du fait de la paranoïa qui a saisi le régime chinois et son maître Xi Jinping ? Avec les réformes économiques, le pays ne s’est certes pas tourné vers la démocratie, mais, immanquablement, « la Chine est devenue une société ultra-connectée avec le monde extérieur, tout en étant étroitement contrôlée et surveillée », souligne Rana Mitter, professeur d’histoire britannique d’origine indienne sur la Chine contemporaine à l’Université d’Oxford, cité l’hebdomadaire britannique The Observer. Ouvert, mais illibéral, une combinaison que beaucoup de théoriciens de la démocratie pensaient impossible. » Or l’avenir n’est pas des plus roses pour les Chinois car « l’isolationnisme apporte avec lui ses propres problèmes » et, avec une telle politique, « la Chine en sortira plus pauvre », commente encore Rana Mitter.
Preuve s’il en fallait une que le soft power chinois est en panne, une large majorité se dégage désormais en faveur des États-Unis et de son influence dans le monde préférée à celle de la Chine, selon une enquête d’opinion réalisée en 2022 par l’institut YouGov, cité par le quotidien The Guardian. Aujourd’hui, si l’on en croit ce sondage, les répondants sont à 80 % en faveur des États-Unis au Nigeria, presque autant en Suède, en Australie et en Inde. Ils sont à peine moins nombreux au Royaume-Uni, en Allemagne, au Brésil, en Afrique du Sud et en France.
Quant au sentiment favorable à la Chine, il a dégringolé de 46 % à 24 % en Pologne entre 2019 et 2021, de 36 % à 17 % en France, de 30 % à 13 % en Allemagne, de 41 % à 24 % en Italie et de 27 % à 18 % aux États-Unis. De plus, plus de 80 % des sondés tous pays confondus sont d’avis que la pandémie a trouvé son origine en Chine et 40 % des sondés de la plupart de ces pays sont même convaincus que le virus a été créé dans un laboratoire chinois.
L’image de la Chine s’est aussi profondément assombrie en raison de la politique du régime dans le domaine des droits humains. 45 % des Français (contre 39 %), 53 % des Allemands (contre 45 %) et 30 % des Espagnols (contre 21 %) ont ainsi sélectionné la Chine dans une liste de pays où les autorités ont « jeté des centaines de milliers de ses propres citoyens ou plus encore dans des camps ou des prisons sans procédure légale ». En outre, plus de 60 % des Australiens, 50 % des Japonais et des Suédois, 52 % des Américains et des Indiens ou des Britanniques et près de 40 % des Français estiment que la collectivité internationale devrait apporter son aide à Taïwan en cas d’attaque de la Chine.
Cerise sur le gâteau, la répression féroce contre toute opposition à Hong Kong s’est traduite par une émigration considérable des habitants, un courant d’émigration qui semble plus élevé encore qu’avant la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine en 1997. Début octobre, l’institut Human Resource Management de la ville a publié une enquête selon laquelle entre août et septembre derniers, 37 % des cadres et 24 % des employés de base de la ville ont présenté leur démission dans le but de quitter Hong Kong pour l’étranger.
Mais si les autorités chinoises sont en mesure de censurer la contestation et d’arrêter les opposants, elles ne peuvent pas faire grand-chose sur le plan international. C’est peut-être dans ce domaine où la Chine de Xi Jinping se retrouve confrontée à un défi considérable : celui non plus d’améliorer mais même seulement de conserver son statut sur la scène mondiale.
Sur ce chapitre, le régime chinois a en effet quelque raison de se comparer aujourd’hui à une citadelle assiégée. Face à elle se conforte peu à peu une coalition formelle ou informelle de nombre pays dont les gouvernements ont clairement décidé de prendre leurs distances avec Pékin. Au-delà de la seule confrontation de la Chine avec les États-Unis qui ne cesse de s’envenimer, des alliances se constituent entre des pays qui avaient jusque-là conservé une attitude plutôt accommodante avec la Chine comme le Japon et l’Australie.
Dernier exemple en date, la décision prise au cours du week-end par le Premier ministre japonais Fumio Kishida et son homologue australien Anthony Albanese de forger un partenariat étroit entre les deux pays dans le domaine de la défense. En vertu de ce partenariat, des soldats japonais viendront dans le nord de l’Australie prendre part à des exercices conjoints avec l’armée australienne. Il est également prévu d’approfondir les échanges entre les deux pays dans le domaine du renseignement. « Cette déclaration majeure envoie un signal fort à toute la région sur la nature de notre alignement stratégique », a sobrement déclaré le chef du gouvernement australien au sortir de ses entretiens avec le Premier ministre japonais à Perth.
Jeudi, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a réitéré dans des termes très clairs le soutien de son pays à la Russie. La Chine est prête à « approfondir » ses échanges avec la Russie « à tous les niveaux » et « soutient résolument la partie russe […] pour surmonter les difficultés et éliminer les ingérences extérieures », a déclaré Wang à son homologue russe Sergueï Lavrov au cours d’une conversation téléphonique.
Des déclarations de Xi Jinping tenues pendant le XXe congrès et la recomposition de la Commission militaire centrale où ont été nommés plusieurs fidèles du président chinois ressort la volonté de Pékin d’accélérer les préparatifs en vue d’une éventuelle invasion de Taïwan.
Illustration de l’inquiétude que nourrit cette attitude, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré ce mardi 25 octobre que la Chine a maintenant fixé « un calendrier accéléré » à cette fin. Le pays de Xi Jinping, a-t-il ajouté, « a totalement changé ces dernières années […]. Il est devenu beaucoup plus répressif à l’intérieur et plus agressif à l’étranger ». Antony Blinken a accusé le président chinois d’être à l’origine de cette tension « en changeant la politique de son pays vis-à-vis de Taïwan ».
Ce jeudi 27 octobre, le Pentagone a souligné dans sa nouvelle stratégie de défense que la Chine pose un risque « fondamental pour la sécurité des États-Unis pour les décennies à venir ». « Le danger le plus profond et le plus grave pour la sécurité nationale des États-Unis, ce sont les efforts coercitifs et de plus en plus agressifs de la Chine pour refaçonner la région Indo-Pacifique et le système international conformément à ses intérêts et ses préférences autoritaires », ajoute ce document qui fixe la stratégie de l’armée américaine pour les années à venir. La rhétorique de plus en plus provocatrice et les activités coercitives de la Chine à l’encontre de Taïwan sont déstabilisantes et menacent la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).