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Analyse

Xi Jinping, les réformes et le Parti : premières leçons du XXème Congrès

Le président chinois Xi Jinping à l'ouverture du XXème Congrès du Parti communiste à Pékin, le 16 octobre 2022. (Source : FT)
Le président chinois Xi Jinping à l'ouverture du XXème Congrès du Parti communiste à Pékin, le 16 octobre 2022. (Source : FT)
Un Xi Jinping « réélu » et victorieux à l’issue du XXème Congrès du Parti communiste est-il l’enjeu majeur de cette semaine ? Car une majorité obtenue au sein de tous les organes dirigeants du PCC ne résoudrait pas les problèmes du numéro un chinois. Elle aurait du mal à effacer un bilan pour le moins mitigé de son action dans la décennie écoulée. Elle ne permettrait sans doute pas de le débarrasser des luttes de pouvoir au sein du Parti.
*Durant certains moments critiques, surtout dans les années 1980 et 1990, ce groupe a en effet joué un rôle important. Certains pensent que Xi doit impérativement recevoir l’aval du présidium pour conserver son poste. Cependant, Xi contrôle, par le biais de Wang Xiaohong, la garde rapprochée de chacun de ses membres. Ces derniers pourraient certes dire non à Xi, mais à leurs risques et périls. **Le diable est dans les détails et personne n’est à l’abri d’un changement soudain dans l’attitude du Parti. Il existe toujours un scénario dans lequel Xi doit quitter ses postes. Mais les probabilités sont faibles.
Alors que s’est ouvert le XXème Congrès ce dimanche 16 octobre, nombre de questions restent sans réponse, les spéculations battent leur plein et les suppositions pour le troisième mandat de Xi ne sont pas nécessairement positives. Rappelons que le respect des « conventions » liées aux mandats n’est pas vraiment la règle, mais plutôt l’exception. À l’instar de Mao Zedong, Deng Xiaoping et Jiang Zemin avant Xi Jinping, demeurer en poste n’est pas quelque chose d’extraordinaire. Plus encore : Xi a-t-il vraiment le choix entre partir et rester ? Peut-il se permettre de s’en aller ? Vu le contingent de mécontents qu’il a suscité depuis 2013, probablement pas. Même si Xi Jinping nommait une équipe de transition, voire même de succession, elle n’aurait pas l’envergure nécessaire pour résister à la contre-offensive à son encontre qui suivrait son départ potentiel. Par ailleurs, le système du « présidium » (主席团制度) – composé de membres antérieurs et actuels du Politburo – ne saurait l’empêcher d’obtenir un troisième mandat*. Spéculer sur son avenir paraît donc inutile**.
Il en va de même d’une autre question : le changement de titre de Xi. Devenir président du Parti ne changerait rien aux dynamiques déjà présentent au sein du PCC. Ce titre n’est pas non plus « indivisible » – il faudrait nommer un ou des vice-présidents – et demeure, dans les faits, en dessous du statut de « noyau ». Le seul poste indivisible qui a existé fut celui du président du Politburo, remplacé plus tard par président du comité central – que l’on a traduit souvent par « président du Parti ». Ainsi, dans l’hypothèse où Xi cherche vraiment à changer de titre, il est plus probable qu’il opte pour une dénomination « qualitative » dans le sillage de Mao, le « Grand leader » (伟大领袖) et de Hua Guofeng, le « sage leader » (英明领袖). Pour Xi Jinping, le prochain titre pourrait être celui de « leader du peuple » (人民领袖). Ce qui confirmerait l’idée que la période Deng-Jiang-Hu doit être rectifiée, car les réformes sont allées trop « à droite ».
Un changement de titre serait aussi probablement accompagné de la suprématie de la pensée de Xi – et non pas la « pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises dans la nouvelle ère » – sur toutes les autres dans la constitution du Parti. Elle supplanterait ainsi la théorie de Deng – qui devra être considérée comme « fausse » à l’épreuve des faits parce qu’elle a permis la création de classes au sein du Parti et de la société chinoise et qu’elle est responsable de la corruption financière et idéologique de la société et du Parti. Elle évincerait aussi les « trois représentativités » de Jiang Zemin – qui auront aussi encouragé la corruption morale du Parti en laissant entrer la classe capitalise en son sein. Bien sûr, elle délogerait également la « société harmonieuse » de Hu Jintao – car elle a évacué la notion de lutte, si cruciale dans la nouvelle posture de la Chine sur la scène internationale.
Cela dit, l’avènement de la « pensée de Xi Jinping » aurait-il un impact aussi fort que le prétendent certains ? Si la pensée de Mao a pu être utilisée pour justifier la mise en place de réformes capitalistes après des franges les plus conservatrices du Parti dans les années 1980, il est permis d’en douter. N’écartons pas cependant pas la valeur symbolique d’un tel changement. Pour autant, jusqu’à quel point tout cela pourrait ramener la Chine vers la ligne originelle du Parti, celle de Mao, est une autre histoire. Il en faudra plus pour convaincre les cadres du Parti, surtout ceux qui sont nés après 1960 et qui n’ont connu durant leur vie adulte que la Chine des réformes suivant la ligne de Deng Xiaoping. Sans parler de l’ensemble de la population chinoise qui n’a sûrement pas envie de repasser par une période de luttes, de pénuries et de souffrances, simplement pour mener à terme une version idéalisée du projet révolutionnaire des années 1950 que l’on nomme à présent le « rêve chinois ».

Un projet inachevé

L’enjeu pour Xi Jinping durant le Congrès est d’obtenir une majorité au sein du Politburo et de son comité permanent, mais aussi dans le comité central. Pour l’instant, – et c’est bien le problème – sa victoire nécessiterait en grande partie l’utilisation de la commission disciplinaire du Parti. Il ne pourrait pas compter sur son bilan de dirigeant. En fait, soutenir Xi – presque une obligation à ce stade pour les membres du Parti – place le PCC dans l’embarras car c’est lui qui a choisi son actuel secrétaire général. L’abandonner équivaudrait à admettre que le Parti a commis une erreur. Le PCC doit donc persister et signer, s’il ne veut pas devoir faire l’inventaire du bilan de ces dix dernières années.
À commencer par les « Nouvelles Routes de la Soie » : la « Belt and Road Initiative » (BRI) est à présent en déroute et cause de plus en plus de sentiments anti-Chine. Le grand projet de la mégapole verte de Xiong’an près de Pékin, risque, lui, de terminer aux oubliettes. Le « Made in China 2025 » ne semble plus être d’actualité. La lutte contre la pauvreté n’a pas eu les effets escomptés et la pauvreté regagne du terrain dans le Sud-Ouest. On ne sait toujours pas à quoi servira la Bourse de Pékin. La posture des « loups guerriers » des diplomates chinois sur la scène internationale a isolé Pékin et détruit une bonne partie de son capital politique. Le « Grand bond en avant » technologique s’est soldé par une vague de mise en examen et la perte de centaines de milliards de yuans. Le marché immobilier n’est toujours pas stabilisé. La sécurité alimentaire est de nouveau une problématique d’actualité. C’est sans parler de l’absence de stratégie de sortie de la pandémie, de l’absence d’un plan de relance économique à même de stabiliser l’emploi et l’inflation. Sans oublier non plus d’autres choix parfois discutables – comme soutenir la Russie, au grand dam du reste de la direction du Parti et au détriment de l’économie chinoise.
En ce sens, Xi Jinping ne peut pas vraiment utiliser son bilan pour demander la confiance du Comité central cette semaine. Il peut toutefois demander à boucler cette liste de chantiers en construction. Pour ce faire, il devra être en mesure de parler de sa stratégie globale afin de terminer ce qu’il appelle le « renouveau de la nation chinoise », ou bien accepter des compromis importants en matière de gouvernance.

L’ouverture du Congrès : premiers enseignements

Pourtant, les premiers signes ne sont guère encourageants. Suite à la lecture du rapport du travail du XIXème Congrès – qui est revenu sur les cinq dernières années -, les thématiques abordées semblent confirmer ce que plusieurs pensaient déjà : moins d’économie, moins de réformes, moins d’ouverture, moins de « paix », moins d’innovation, moins de marchés. Par contre, toujours autant de sécurité, de lutte, d’idéologie – même si dans une moindre mesure que dans le communiqué prononcé lors du XIXème Congrès sur la période 2012-2017. Par ailleurs, le ton à l’égard de Taïwan s’est encore durci. C’est ainsi que le vent tourne : la période des réformes s’éloigne, avec elle celle de « l’ancien régime », le système de pouvoir développé après la mort de Deng Xiaoping par l’ex-président Jiang Zemin, pour laisser place à la « nouvelle ère » de Xi.
Néanmoins, tout n’est pas encore joué. De grandes figures de « l’ancien régime » étaient bien présentes pour l’ouverture du Congrès : parmi elles, Zhang Gaoli et le doyen du Parti Song Ping. Après le discours de Xi, qui a duré environ 1h45, Hu Jintao et Song Ping se sont abstenus d’applaudir. Hu Chunhua s’est également absenté pour revenir rapidement à sa place. Plusieurs membres du Politburo se croisaient et décroisaient constamment les bras, peut-être en signe d’incrédulité durant la lecture du rapport qui a fait l’éloge du travail de Xi.
L’ambiance était déjà tendue après la clôture du 7e plénum. Elle ne risque pas de changer au cours des prochains jours, car peu importe le prochain comité permanent, Xi – et le Parti – demeure dans une situation précaire : le « zéro Covid » a fait basculer l’économie chinoise ; les compagnies de la tech font de plus en plus de mises à pied – sans parler du taux de chômage actuel ; la confiance dans l’immobilier, l’un des piliers les plus importants de l’économie chinoise, est en chute libre. Le secteur privé et les PME sont en déroute et le système financier a attrapé une très mauvaise toux. Malgré ces complications, le rapport semble plutôt indiquer que la direction du Parti cherche à utiliser le politique et l’appareil de sécurité pour résoudre tous ses problèmes. Mais encore faut-il qu’ils soient considérés comme des problèmes.

Ce qui reste à confirmer

Il sera important d’observer non seulement la liste des candidats au Politburo, mais aussi ce qui risque d’avoir une influence sur la scène internationale. Quelle sera la place du système des affaires étrangères au sein du Parti et qui sera choisi pour représenter ce système ? Quels groupes d’intérêts militaires seront représentés au sein du Politburo ? Pour répondre à la première question, il faudra voir qui remplacera Wang Yi et surtout, quel est son parcours – plus orienté vers l’Asie-Pacifique, ou vers les États-Unis ? Ce dernier point indiquera en grande partie ce que le Parti juge important sur le plan international. Enfin, il faudra voir si les cadres militaires qui font partie de la « clique du détroit de Taïwan » au sein de l’Armée populaire de libération (APL), seront promus en masse, ou si l’APL tentera de s’équilibrer elle-même entre la précédente clique et celle des vétérans de la guerre du Vietnam. Le premier scénario aurait raison d’en alarmer plus d’un ; le second prouverait plutôt que l’APL a su conserver ne serait-ce qu’un brin d’indépendance et refuse de céder aux caprices des commissaires politiques bellicistes.
Néanmoins, une majorité absolue obtenue par Xi au sein du Politburo et du comité permanent ne signifierait pas la fin des luttes intra-Parti, bien au contraire. La ligne de conflit pourrait se déplacer entre les différents réseaux de Xi Jinping. Certains, qui se sentiront moins importants ou encore lésés en matière de promotion, deviendront des éléments potentiellement encore plus problématiques que les associés de Zeng Qinghong et de Jiang Zemin. Et comme il auront été promus par Xi, il ne lui sera pas facile de s’en défaire, ce qui risque de créer du ressentiment parmi ses autres alliés le cas échéant. Les meilleurs amis font souvent les pires ennemis.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.