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Chine : Xi Jinping proche d’une "victoire boiteuse" au XXème Congrès du Parti ?

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Hindustan Times)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Hindustan Times)
À quelques semaines seulement de l’université d’été du Parti, et à quelques mois du tant attendu XXème Congrès, les signes d’insécurité se multiplient. Tout laisse à penser que le résultat du « vote » des représentants lors du grand rassemblement de l’automne comptera peu. Xi Jinping n’obtiendra sûrement pas la victoire qu’il souhaite : une victoire absolue au sein d’un Parti unifié.
Conclusion des assemblées populaires locales et provinciales, élections des représentants, les préparatifs pour le Congrès vont bon train. À ces occasions, plusieurs chefs de provinces ont voulu exprimer leur loyauté à Xi Jinping sous la forme de déclarations publiques ou de publications. Parmi eux, Xin Changxing (信长星), secrétaire du Parti au Qinghai, a publié le 8 juin un article de soutien au numéro un chinois dans le Study Times (学习时报). De même, Li Ganjie (李干杰), secrétaire du Parti du Shandong, a publié un éloge de Xi le 17 juin. Même démarche de la part de Lou Yangsheng (楼阳生), secrétaire du Parti pour le Henan, dans le Study Times du 27 juin. De son côté, Li Hongzhong (李鸿忠), patron du Parti de Tianjin, a réaffirmé le statut de Xi, le « noyau », lors d’une rencontre le 22 juin.
*Pour emprunter la formulation de J. Scott dans Weapons of weak : everyday forms of peasant resistance : «  »act as if ».
Ces expressions de prétendue loyauté servent en premier lieu les cadres provinciaux. Par ailleurs, elles cherchent non seulement à créer un effet d’entraînement au sein du Parti en forçant la main aux autres, mais aussi à donner l’impression que Xi possède des réseaux loyaux et nombreux surtout sur la scène provinciale. Cela dit, ces expressions publiques dites « rouge vulgaire » (低级红, diji hong), parce qu’elles sont parfois exagérément pro-Parti et loyalistes, se retournent bien souvent contre l’émetteur et le destinataire. Exemple dans le Guangxi au mois d’avril avec les propos déroutants de Liu Ning (刘宁) et la publication d’un « Petit livre rouge » à la sauce « pensée Xi Jinping ». Autrement dit, tout cela n’aide en rien Xi Jinping. Bien au contraire. Ce type d’expression demeure très inhabituel et renforce l’idée que certains en appellent à la vanité du leader, comme si un certain culte de la personnalité était permis. De telles effusions de loyauté ne se voyaient guère autrefois avant un Congrès. Les dirigeants provinciaux apprécient-ils davantage Xi Jinping que ses prédécesseurs ? Ont-ils simplement intériorisé les nouvelles règles du jeu ? Il y a fort à parier que beaucoup ont compris qu’il fallait « se montrer loyal » – en d’autres termes, « faire comme si »*. Ce besoin de louanges trahit une instabilité latente au sein du Parti, car un leader suffisamment fort, qui possède le soutien des autres hauts dirigeants n’a pas besoin qu’on lui lance des fleurs lors d’assemblées provinciales.

Les signaux de « contrôle »

*西部战区 : zone qui recoupe de beaucoup l’ancien « Bureau du Nord-Ouest » (陕北局) et la zone frontalière du Shanganning 陕甘宁, zone dans laquelle le père de Xi avait été en poste durant les années 1930, jusqu’au tout début des années 1950.
Il en va de même pour la tentative du président chinois de contrôler le « fusil » et le « stylo ». Au tout début juin, Xi est parti en tournée d’inspection au Sichuan. Lors de sa visite à Chengdu, il n’a pas convoqué de réunion avec les responsables locaux du Parti ni du gouvernement. En compagnie du général Xu Qiliang, vice-président de la commission militaire centrale, Xi Jinping a plutôt invité un nombre important d’officiers et de responsables de la garnison locale et du Théâtre des opérations de l’Ouest*. Cette structure est la plus grande des cinq « théâtres de commandement ». Les commandants et les commissaires politiques de cette région ont été fréquemment remaniés ces dernières années. En y regardant de plus près, le commandant actuel et le commissaire politique sont devenus généraux (上将) sous Xi Jinping.
Aucun doute là-dessus : Xi s’est rendu à Chengdu pour sécuriser le « fusil », pour voir s’il pouvait compter sur la plus grande structure de commandement de l’Armée populaire de libération (APL) au cas où les tensions au sein du Parti devaient engendrer un excès d’instabilité. Cette visite montre que Xi Jinping a sans doute l’intention de suivre les enseignements de Mao : le véritable pouvoir politique vient du « canon d’un fusil ». Même Bo Xilai avait tenté sa chance en février 2012 lorsqu’il s’est rendu dans la région militaire de Kunming, associée à son père Bo Yibo. Xi croit probablement qu’il doit consolider sa position au sein de l’appareil militaire pour contourner un éventuel front uni causé par sa politique du « zéro-Covid », son insistance à soutenir la Russie et à laisser l’économie nationale se désintégrer.

Les « actions militaires non liées à la guerre »

Cette recherche de soutien militaire a été suivie par l’entrée en vigueur du « Schéma d’actions militaires non liées à la guerre » (军队非战争军事行动纲要). Les observateurs étrangers ont eu une première réaction : Xi pose en quelque sorte les « bases légales » pour envahir Taïwan dans un avenir proche. Cependant, comme c’est le cas en général, ce « Schéma » sert avant tout un objectif de politique intérieure.
*深入贯彻习近平强军思想, 坚持总体国家安全观, 着眼有效防范化解风险挑战, 应对处置突发事件.
Le document exige en premier lieu que « l’ensemble de l’armée mette en œuvre la pensée de Xi Jinping concernant le renforcement de l’armée, adhère au concept général de sécurité nationale, se concentre sur la prévention et le désamorçage des risques et défis, et répondre aux urgences ». Bien entendu, il parle également de paix mondiale, de stabilité régionale, ainsi que du maintien de la souveraineté et de la sécurité de la Chine.
En soi, le contenu de ce « Schéma » n’a rien de nouveau. Ce qui importe ici, c’est l’atmosphère de contrôle qu’il tente de mettre en place sur l’armée, Xi Jinping tenant fermement les rênes. Même si ce document venait à servir de pièce justificative aux futures actions régionales, il vise d’abord à consolider la notion « d’urgence sociale ». Car il existe plusieurs types d’actions militaires non liées à la guerre : les opérations anti-terroristes, la répression des émeutes et des troubles publics, le contrôle des frontières, la gestion des incidents aériens et maritimes, les secours d’urgence en cas de catastrophe, la gestion des urgences sanitaires, le maintien de la paix internationale, les exercices militaires conjoints ou encore la sécurisation des lignes de transport maritime et aérien. Ce sont les points sur les activités terroristes et les émeutes qui importent le plus. Ces notions ont une signification différente dans le contexte d’un État léniniste : elles impliquent que l’un des rôles principaux de l’armée et de « contrôler les ardeurs de la population ». N’oublions pas que les interventions de l’APL en 1968 et 1989 sont considérées comme des opérations de lutte contre les troubles publics. En réalité, un simple coup d’œil sur la période 1966-1976 suffit pour comprendre le rôle de l’APL dans les luttes internes du Parti.
La visite à Chengdu et ce « Schéma » sont autant de moyens simples pour Xi pour tenter de rassembler plus de soutiens au sein de l’appareil militaire afin de tenir les mécontents à distance et faire respecter la ligne du Parti avant le XXème Congrès. Cependant, comme le haut commandement de l’armée est fragmenté, il n’y a aucun moyen d’assurer une conformité totale des militaires. Le « Schéma » affaiblit certes les opposants politiques comme le Premier ministre Li Keqiang, mais il ouvre aussi la voie à une gouvernance militarisée aléatoire à l’intérieur du pays, un peu à la façon de Shanghai.

Le contrôle du « stylo »

Le « stylo », ce sont les idées, l’idéologie, l’appareil de propagande. Xi procède ici plus du remaniement. C’est le cas au sein du département de la propagande avec le retour de Li Shulei (李书磊), mais aussi pour la direction des sociétés médiatiques comme Xinhua avec l’arrivée de Fu Hua (傅华) et Lü Yansong (吕岩松), à la tête de l’Administration nationale de la radio et de la télévision avec le transfert de Xu Lin (徐麟), ou encore à l’École Centrale du Parti avec l’arrivée de Xie Chuntao (谢春涛). La promotion de Li Shulei – un membre important du « think tank » rapproché de Xi, et de Xie Chuntao – un associé de Li Shulei -, sont d’une importance capitale pour le numéro un chinois. Xi se doit de contrôler les discours et de limiter les opérations de propagande en provenance de journaux rebelles, tels que le Banyuetan (半月谈), ou de l’intérieur du Parti avec ses rumeurs politiques.
*Cf. « Abandonner l’égoïsme sophistiqué » (摒弃精致的利己主义) publié le 1er juin et qui justement parlait de Li Si (李斯) et de Li Linfu (李林甫), tous deux chanceliers impériaux corrompus. Qu’ils partagent tous deux le nom de famille de Li Keqiang est une simple coïncidence.
Pour autant, l’influence latente de « l’Ancien régime », le réseau de l’ancien président Jiang Zemin au sein de l’appareil de propagande rend la chose difficile. Au point que Xi se sert à présent du journal de la Commission centrale de discipline pour faire passer des messages à certains membres hauts placés du Parti, en particulier à Li Keqiang*.
*l’article « opinion sur le renforcement du travail de ‘Party-building’ des Cadres retraités dans la nouvelle ère » 关于加强新时代离退休干部党的建设工作的见 publié le 15 mai dernier. **Fils et filles de révolutionnaires.
Enfin, et malgré la fermeture du média DW en avril, les opérations de propagandes anti et pro-Xi risquent de se multiplier d’ici la fin août. Car on parle de rumeurs sur les personnes qui gravitent autour de Xi Jinping. Des bruits courent notamment sur Li Qiang, Cai Qi, mais surtout Chen Min’er, Zhong Shaojun et potentiellement Ding Xuexiang. D’autres rumeurs portent sur la relation de Xi avec l’APL ou sur celles des membres de la « deuxième génération rouge » (红二代, hong erdai)** avec les leaders de « l’Ancien régime » qui s’organisent pour faire obstacle à Xi. Bien entendu, les cadres qui tenteront de discuter de la situation politique au sein du Parti ou encore d’en parler en petits groupes*, pourraient recevoir la visite de la Commission disciplinaire.

Menace très claire

*领导干部配偶, 子女及其配偶经商办企业管理规定.
Cela dit, la menace va beaucoup plus loin pour ces derniers. Lors de la rencontre du Politburo du 17 juin, qui portait sur le retour de la 8e série d’investigations et sur la corruption au sein du Parti, le message fut très clair. Non seulement le Parti ne peut pas perdre cette lutte (contre la corruption) mais, à partir de maintenant, les cadres seront tenus responsables des actes de corruption de leur famille. Et d’ailleurs, le programme complet fut publié le 19 juin sous la rubrique « Réglementation sur la gestion d’entreprises privées par les conjoints, les enfants et leurs conjoints, des cadres dirigeants »*.
*Celles-ci sont principalement inspirées du cas de Zhou Jiangyong (周江勇), mais aussi des fonds d’investissement comme Boyu Capital.
Ces régulations*, qui rendent responsables les cadres des agissements de leur famille, les obligent à rapporter les liens qui existent entre leurs parents et le secteur privé. Cela jette également les bases d’inspections aléatoires pour voir si les cadres dirigeants – ou l’un des membres de leur famille – ont enfreint les règles. Les cadres dirigeants feront également l’objet d’une « enquête » avant d’être promus et devront se retirer de toute entreprise ou liquider leurs intérêts commerciaux afin de gravir les échelons. En ce sens, ils devront divulguer tout ce qu’ils savent sur les liens des membres de leur famille avec le secteur privé, les rendant encore plus vulnérables aux aléas du Parti.
Tout cela semble étonnamment normal en Occident. Mais en Chine, ces nouvelles réglementations ont créé une onde de choc au sein de l’appareil du Parti. Voilà une attaque ciblée contre la « deuxième génération rouge » et les responsables du Parti liés à « l’Ancien régime ». Autres factions visées : les « géants financiers » (金融巨鳄) – ou « crocodiles financiers géants » – qui ont accumulé un formidable pouvoir dans la finance depuis les années 1990, pour les ramener sous le joug du Parti.
Ces réglementations ne manqueront pas de dissuader de nombreux hauts fonctionnaires de se ranger du côté des mécontents. Pour une raison simple : toute personne soupçonnée d’être déloyale peut désormais s’attendre à faire l’objet d’une enquête sans fin, directement aux côtés de ses proches, bien sûr. Bientôt une nouvelle série de purges ? Pas forcément. Cette menace pourrait à elle seule suffire à forcer de larges franges de mécontents – qui ont encore des intérêts financiers importants en Chine – à se replier avant le prochain Congrès.

Le couteau à double tranchant

*Il aura fallu à Xi près de dix ans afin de placer son propre ministre de la Sécurité publique, ce qui remet en cause cette idée de toute-puissance. **Il est également devenu, en même temps, secrétaire adjoint de la Commission centrale des Affaires politiques et légales, et viendra sûrement bientôt prendre le relais de Zhao Kezhi en tant que directeur adjoint du groupe central chargé des Affaires de Hong Kong et de Macao. ***la très violente agression d’un groupe de femmes dans un restaurant par des hommes après qu’un des leurs eut été rembarré par l’une d’elles à cause de ses avances déplacées et insistantes.
Cependant, les menaces ouvertes peuvent parfois avoir l’effet inverse au sein du Parti. Ainsi de la promotion – très tardive d’ailleurs* – de Wang Xiaohong à la tête du ministère de la Sécurité publique le 24 juin**, soit deux semaines après « l’attaque de Tangshan »***. Sans revenir sur les détails de cette affaire déroutante, dont le ministère a dû se saisir, Wang aurait dû pouvoir saisir là une chance de s’imposer sur la scène politique et d’écraser Zhao Kezhi, ou du moins de s’assurer que ce dernier ne tente rien une fois qu’il aura quitté toutes ses fonctions. Après tout, Zhao n’est pas vraiment un proche de Xi.
Le 25 juin, le ministère a organisé une réunion de mobilisation et de déploiement pour la « campagne des 100 jours » (百日行动). Cette dernière vise à réprimer les menaces liées à la sécurité durant l’été et à renforcer les « mesures politiques de sécurité » et le « contrôle social ». Le ministère a également affirmé qu’il aurait la main lourde en matière de protection des femmes, des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées et des étudiants. Cette campagne, dirigée par Wang, n’a qu’un seul objectif : redorer l’image de Xi comme protecteur avant le Congrès.
Seulement voilà, la situation à Tangshan – déjà minée par les groupes criminels, la corruption et l’inaction locale, qui aurait dû servir de tremplin à Wang, a viré au cauchemar le 3 juillet lorsque les médias ont annoncé la mort soudaine de Liu Wenxi (刘文玺), le directeur de la sécurité publique du Hebei depuis le mois de mai. Dépêché directement par Wang Xiaohong pour justement « nettoyer » la scène locale du Hebei en prévision de l’université d’été de Beidaihe et du Congrès, Liu, un ancien du ministère de la Sécurité publique et de la Commission disciplinaire, était l’une des pièces importantes positionnées par Wang en vue de restructurer l’appareil de sécurité provincial après 2022. Cependant, Liu meurt « des suites d’une maladie soudaine ». Or, tous les cadres passent un examen de santé avant de prendre un nouveau poste. La batterie de tests est encore plus importante lorsqu’il s’agit de cadres de rang vice-provincial ou provincial. Un cadre en mauvaise santé n’aurait pas été affecté à un poste aussi sensible. Certains pensent plutôt que Liu aurait fait les frais des tensions entre les intérêts locaux et un nouveau ministre qui ne semble pas vouloir négocier.
Ainsi, à peine six jours après sa promotion, des rumeurs sur la fuite de données personnelles de près d’un milliard de personnes en provenance du système de sécurité publique de Shanghai ont mis sous les projecteurs le ministère de Wang Xiaohong. Coïncidence ? Il y a fort à parier que cette fuite, tout comme les Xinjiang Papers de 2019, est liée aux luttes intra-Parti. En ce sens, la « campagne de 100 jours », qui visait à « bien tenir le manche du couteau » (comprendre : contrôler l’appareil de sécurité publique), a plutôt offert aux mécontents plusieurs occasions de mettre à mal l’autorité de Wang Xiaohong alors que Xi compte sur lui pour assurer ses arrières pour encore plusieurs années.

Les mises en vitrine : une forme d’avertissement

Visite dans le Sichuan, tentatives répétées de dominer, voire même d’écraser, Li Keqiang dans la presse, louanges de certains chefs provinciaux… Tout cela trahit un sentiment d’insécurité grandissant qui pourrait potentiellement faire trébucher la direction du Parti. Ne l’oublions pas, lors de sa visite éclair à Hong Kong, Xi Jinping, accompagné notamment de Wang Xiaohong, est retourné à Shenzhen le soir du 30 juin. Vu le climat politique à Hong Kong, Xi n’a pas osé passer la nuit dans la région administrative spéciale. C’était alors sa première sortie depuis le début de la pandémie en 2020. Nous doutons d’ailleurs que le président chinois sorte de son pays avant le XXème Congrès, encore une fois, pour des raisons de sécurité.
*C’est en grande partie pour cette raison que nous demeurons sceptiques quant aux rumeurs sur une peine potentielle de 10 ans. En comparant son cas avec d’autres, comme celui de Lai Xiaomin (赖晓敏), l’ancien chef de Huarong (华融), on pourrait plutôt envisager la perpétuité. Il ne faut pas, dans le cas de Xiao, se fier aux chefs d’accusation, ni même aux montants (si jamais des montants venaient à être mentionnés), car le calcul des peines ne suit pas une logique linéaire, mais bien politique.
Il n’empêche, rien ne semble arrêter les préparatifs pour Beidaihe et pour le Congrès. Le 4 juillet, Pékin a décidé de sortir du placard Xiao Jianhua, l’ancien président du Tomorrow Group (明天集团) arrêté en 2017 à Hong Kong. Objectif : dissaduer les membres de la « seconde génération rouge » et certains membres des familles d’anciens hauts hauts dirigeants du Parti. Le retour de Xiao, peu médiatisé quand même, s’inscrit non seulement dans la logique du projet de réglementation mis en place le 19 juin, mais aussi dans les luttes intra-Parti. Il est le personnage clé qui pourrait en envoyer plusieurs à la prison de Qincheng*. Ainsi, la réapparition de Xiao répond avant tout à un impératif politique, comme l’arrestation de Sun Zhengcai en juillet 2017, soit juste avant le XIXème Congrès, ou encore la chute de Bo Xilai en mars 2012, quelques mois avant le XVIIIème Congrès.
Au même moment, le procès de Sun Lijun s’est ouvert le 8 juillet au tribunal intermédiaire de Changchun et Fu Zhenghua, l’ancien ministre de la Justice et vice-ministre de la Sécurité publique, s’est vu mettre en accusation formelle le 11 juillet devant le même tribunal. Seul hic : malgré les commentaires durant leurs arrestations, les discours du ministère de la Sécurité publique à leur endroit et la série Tolérance zéro (零容忍), on ne trouve plus les accusations de « formation de factions » ou de « cliques » au sein du Parti – formulation pourtant présente dans les documents de l’enquête soumise en mars 2022 sur Fu Zhenghua, et en septembre 2021 sur Sun Lijun. Plusieurs ont également remarqué ce changement en matière d’accusations portées contre Sun Lijun. Celles-ci s’apparentaient, il y a un an, davantage à la subversion du pouvoir et au complot politique. Que signifie ce changement pour les deux hommes, mais aussi pour Xi et le Congrès ? Ce changement vers des accusations plus « économiques » est peut-être le résultat de compromis entre Xi et d’autres forces en présence. Les résultats de ces deux procès – trois si l’on compte celui de Xiao Jianhua -, donneront des indices sur ce qui se passe à l’intérieur du Parti.

Une position difficile à tenir

À quelques semaines à peine de l’université d’été du Parti, et malgré les multiples remaniements au sein de l’appareil de sécurité, la situation au sein du Parti demeure volatile et tendue. D’une part, tous ont envie de se sauter à la gorge en se blâmant les uns les autres pour la situation chaotique actuelle ; d’autre part, tous savent également que malgré ce qui les oppose et les conséquences (perte d’alliés ou d’argent) liées aux luttes intra-Parti, ils se doivent de trouver certains compromis pour maintenir une stabilité relative et éviter l’effondrement de l’État léniniste. En ce sens, Xi envoie des avertissements et les mécontents résistent ; Xi brandit le « glaive » de la réglementation et de la Commission disciplinaire et les mécontents organisent des opérations de propagande. Cependant, aucune des parties n’a encore osé franchir la ligne rouge comme Zhou Yongkang en 2012.
Il faut donc se préparer à la suite : le maintien de Xi Jinping au pouvoir, malgré les multiples défis auxquels la Chine doit faire face depuis le début 2020. Il est probable que nous assistions à un scénario du type Jiang Zemin : un retrait progressif et calculé sur plusieurs années afin de maintenir un semblant de stabilité et permettre à Xi de quitter ses fonctions en douceur. Mais de là à dire que Xi Jinping a gagné ou qu’il a finalement réussi à prendre le contrôle du Parti serait exagéré. Ce serait oublier les cadres qui ne veulent plus agir pour limiter les risques et « font la planche » (躺平, tangping), les opérations de propagande, la continuité des réseaux de l’Ancien régime, ainsi que les autres formes de résistances intra-Parti. Il vaut mieux évoquer une victoire partielle au mieux, mais surtout une « victoire » très coûteuse sur le plan intérieur.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.