Politique
Analyse

"Zéro Covid" à Shanghai : Xi Jinping saura-t-il protéger ses lieutenants ?

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Perspectives Med)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Perspectives Med)
Le succès ou l’échec de la politique « Zéro Covid » à Shanghai n’est pas le seul paramètre dans l’équation de Xi Jinping. Pour se maintenir au pouvoir cinq voire dix années de plus lors du XXème Congrès cet automne, le numéro un chinois doit aussi protéger ses troupes. Dans la « Perle de l’Orient », son homme lige s’appelle Li Qiang, chef du Parti de la municipalité shanghaïenne. Or Li, en butte à une élite locale peu encline à appliquer le doigt sur la couture du pantalon des restrictions sanitaires mortifères pour l’économie, n’a pas su imposer seul les directives de Pékin. Au point que Xi a dû envoyer des soldats d’une autre province. Or la « faiblesse » de Li Qiang parait donner un levier aux « mécontents » de la politique de Xi Jinping. Il devient ainsi un fusible qui pourrait affaiblir le président chinois dans son vaste jeu de go pour la domination du Parti communiste.
*Ces « pessimistes », qui pensent que Li Qiang sera limogé, se fondaient sur l’absence supposée de Li Qiang à la rencontre du 29 avril du Politburo. D’autres que lui sont suspectés d’absence ce jour-là : Cai Qi, Sun Chunlan, Wang Chen, Li Xi et même Guo Shengkun. Cai, Sun et Li ne pouvaient peut-être pas se déplacer à cause des risques liés à la pandémie.
Depuis plusieurs jours déjà, circulent un peu partout sur internet des rumeurs sur Li Qiang (李强), le secrétaire du Parti de Shanghai, et même sur Gong Zheng (龚正) le maire de la « Perle de l’Orient ». Ils sont plusieurs à penser que la carrière de Li, un des « secrétaire particuliers » (mishu) de Xi Jinping depuis son arrivée au Zhejiang au début des années 2000, sera directement affectée par le confinement à Shanghai. Un confinement qui a donné lieu non seulement à une vague de souffrance humaine (manque de nourriture, suicides, « décontamination » forcée des maisons, isolements « musclés »), mais aussi à un nombre d’altercations croissant entre les « Gardes blancs » (白兵), les hommes en combinaisons, et la population locale. Certains s’attendent à voir Li « démissionner », et même être limogé par Pékin*.
Or, la situation est des plus complexes pour Xi Jinping. Le numéro un chinois se prépare activement pour le XXème Congrès du Parti à l’automne prochain, et avant cela pour « l’Université d’été » du PCC à Beidaihe. Il pourrait bien y essuyer des reproches – notamment sur le fiasco de politique du « Zéro Covid dynamique ». Le XXème Congrès, quant à lui, sera assurément un moment décisif pour le Parti dans son ensemble. Il donne déjà lieu à d’intenses luttes intestines entre les « mécontents » et le camp pro-Xi. Autrement dit, la problématique de Shanghai, qui s’est transformée depuis avril en combat entre partisans et détracteurs de la politique du « zéro Covid dynamique », demeure fondamentalement politique. Dans un certain sens, c’est le test ultime qui doit venir légitimer l’approche de Xi depuis le premier foyer d’infection à Wuhan fin-janvier 2020. Et même si les cas répertoriés baissent depuis le 30 avril, ce qui semble vouloir confirmer que l’isolement total « fonctionne », les méthodes ne changent pas. Au contraire, certaines pratiques se durcissent.
Mais alors, qu’est-ce que cela signifie pour Li Qiang ? Pourquoi sa situation est-elle aussi cruciale pour Xi Jinping, mais aussi pour les tensions intra-Parti et le XXème Congrès ?

Une question de transaction ?

Dit simplement, le cas de Li pourrait avoir des conséquences importantes sur le déroulement du Congrès. Idéalement, les mécontents – surtout Han Zheng, le prédécesseur de Li Qiang à Shanghai – voudraient forcer la main de Xi Jinping en l’obligeant à se défaire lui-même de Li Qiang. Pour eux, la situation chaotique à Shanghai n’est rien de plus qu’une opportunité d’affaiblir Xi : après tout, c’est son « mishu » qui n’a pas su mettre en place les directives de Pékin. En ce sens, on peut imaginer que Han, qui se pose en défenseur de Shanghai, a sûrement demandé à ce que Li quitte son poste. Or, Li Qiang ne peut pas simplement démissionner.
*Dans l’ordre : secrétaire du Hubei de février 2020 à mars 2022 et associé de Xi Jinping ; secrétaire du Hubei d’octobre 2016 à février 2020 et proche de Dai Xianglong (戴相龙) et dans une moindre mesure de Wang Qishan ; secrétaire du Parti pour Wuhan de juillet 2018 à février 2020 et proche de la clique de Shanghai ; secrétaire du Parti pour le Xinjiang de 1994 à 2010 et associé de Jiang Zemin.
En fait, à notre sens, les cas récents, notamment ceux de Ying Yong (应勇), Jiang Chaoliang (蒋超良), Ma Guoqiang (马国强), mais aussi de Wang Lequan (王乐泉)*, indiquent plusieurs scénarios possibles.
*En tant que Premier Ministre ou Vice-Premier.
Le premier embranchement – en mauve dans le graphique ci-dessus – demeure le plus optimal pour Li Qiang. Dans cette éventualité, Li est soutenu et protégé par Xi, entre au Comité permanent et devient membre du Conseil d’État* malgré la situation à Shanghai. Cela dit, cette ligne droite possède un coût très élevé pour Xi, tant à l’intérieur du Parti qu’au sein de la population. Ce faisant, excuser Li Qiang, qui n’a pas réussi à prendre le dessus à Shanghai, impliquerait deux choses : primo, la position de Xi est relativement stable au sein du Parti ; secundo, la facture s’est réglée sûrement en un échange singulier – sans doute à somme nulle.
Dans un cas moins optimal, Li demeure en poste à Shanghai, mais ne parvient pas à se faire élire au Comité permanent. Considérant qu’il n’a que 62 ans pour l’instant, cet échec ne serait pas dramatique. Cela dit, il ferait perdre la face à Xi par rapport aux mécontents. Cet échec, le fait des pressions internes, nous mènerait à deux options : conserver un poste sur la scène provinciale en prévision de 2027, alors qu’il sera encore éligible à une promotion et un candidat possible au Comité permanent ; ou bien partir à Pékin pour un poste dans l’appareil du Parti. Ce second trajet impliquerait que Xi n’a pas suffisamment de leviers pour faire monter en grade Li Qiang, mais assez pour lui éviter un vrai déclassement.

Le coût du sacrifice

Le second embranchement nous mène vers deux scénarios plus houleux. Dans un premier temps, Xi décide, sous la pression des mécontents, de forcer Li Qiang à quitter son poste. Ce premier moment de la décision pourrait se fonder sur deux considérations : soit les mécontents réussissent à faire pression en sorte que Xi n’ait pas d’autre choix que de céder ; soit Xi, l’architecte ouvertement célébré du « zéro Covid dynamique », décide d’utiliser Li comme bouc émissaire afin de sauver la face et, du même coup, apaiser les mécontents. Bien entendu, s’il décide de sacrifier Li Qiang, ce dernier ne sera pas réaffecté.
Si toutefois cette résignation est le fruit des luttes intra-Parti, Xi pourrait affecter Li Qiang à un poste secondaire au sein des hautes instances du Parti, comme Jiang Zemin et Zhou Yongkang l’avaient fait avec Wang Lequan. On se souviendra que l’administration de Hu Jintao avait fait d’énormes pressions pour sortir Wang Lequan du Xinjiang, surtout après les incidents de 2008 qui avaient écorné son image aux yeux de la communauté internationale. Ainsi, en 2010, Zhou Yongkang avait fait rapatrier Wang à Pékin et lui avait offert le poste de secrétaire adjoint de la Commission centrale des Affaires politiques et légales. Une solution « à la Wang Lequan », peu idéale, pourrait protéger Li Qiang le temps de lui trouver un autre poste de premier plan. Cependant, l’ensemble de cet embranchement suppose que la position de Xi n’est pas aussi stable qu’il n’y paraît.
*Il n’est pas dit, bien entendu, que Chen et Ying Yong ne suivront pas un parcours « à la Xia Baolong » (夏宝龙) et ne seront pas simplement réutilisés par Xi un peu plus tard. Ying pourrait donc revenir à Pékin lors du Congrès.
Revenons sur l’option « Li Qiang quitte son poste et n’est pas réaffecté ». En plus de paraître un limogeage déguisé, cette option demeure la plus coûteuse pour Xi : elle remettrait en cause la loyauté de ses proches collaborateurs. Car, être rabroué par des individus comme Han Zheng est une chose, mais semer le doute et le ressentiment au sein de ses alliés en est une autre. Simple logique : jeter Li dans la fosse aux lions enverrait un message très problématique aux cadres comme Chen Min’er , Ding Xuexiang et même Zhao Leji – surtout après avoir vu comment Chen Quanguo et même Ying Yong ont été « remercié » récemment. Au contraire, on s’attendait à ce que Chen et Ying soient récompensés* après avoir suivi les consignes de Xi de manière si rigoureuse.
Si tous ces cadres se perçoivent comme de simples fusibles, peut-être préfèreront-ils servir leurs propres intérêts plutôt que de suivre les consignes. Par ailleurs, être ainsi sacrifié au profit de Xi sur l’autel de la lutte intra-Parti pourrait sembler injuste quand on sait que Jiang Chaoliang, le chef du Parti à Wuhan, et Ma Guoqiang, le secrétaire du PACC au Xinjiang – qui avait, lui, pointé en direction de Pékin durant une conférence de presse en 2020 – n’ont pas vraiment été punis.
*N’oublions pas que Shi a remué ciel et terre pour la campagne d’inspection du « retour sur 20 ans » (倒查20年) en plus d’avoir supervisé la mise en place de politiques de sinisation très impopulaires dans la région autonome.
Ainsi, le maintient de Li Qiang – ou encore de Ying Yong et même de Shi Taifeng (石泰锋), l’ex-secrétaire du Parti de la Mongolie-Intérieure et directeur de l’Académie chinoise des sciences sociales*, deviendra un indicateur clair de la puissance de Xi au sein du Parti.
Pendant ce temps, Li continue de soutenir la politique du « zéro Covid », comme en témoigne son inspection du district de Jiading le 7 mai. Il tente de tenir bon, en dépit des esprits qui s’échauffent à Shanghai. Pour l’heure, il est certain que les mécontents continueront de tester la solidité de la relation entre Li Qiang et Xi Jinping. Les résultats des négociations incluant Li Qiang ou d’autres membres de l’élite politique en prévision du Congrès ne seront pas tous connus dans l’immédiat. Ainsi, la chute de Li demeure un événement possible, tout comme le maintien de Li Keqiang au Comité permanent ou encore le retour à l’avant-scène de Ying Yong.
Par Alex Payette

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.