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Analyse

Chine : le Parti tiraillé entre flatteries à Xi Jinping et sentiment d'insécurité

Le président chinois Xi Jinping à Pingyao, dans le Shanxi, le 27 janvier 2022. (Source : People's Daily)
Le président chinois Xi Jinping à Pingyao, dans le Shanxi, le 27 janvier 2022. (Source : People's Daily)
Que se passe-t-il au sein du Parti communiste chinois à six mois du XXème Congrès ? Les chants louangeurs à l’encontre de Xi Jinping s »accompagnent d’appels insistants à l’unité du PCC. Cela rappelle inévitablement cette période où Mao doutait de son dauphin, Lin Biao, après l’écrasement des gardes rouges. Le « Grand Timonier » voulait alors se maintenir pour de bon au pouvoir, sans plus aucun rival potentiel. Le Parti tremblait. N’est-ce pas le même refrain qui résonne aujourd’hui dans la Chine de Xi Jinping ?
*Sans vouloir prendre la défense du Guangxi, le communiqué de la Xème session plénière du XIVe congrès provincial du Zhejiang, du 30 novembre au 1er décembre 2021, contenait des mentions similaires. Cela dit, le discours de Liu distingue vraiment les deux communiqués. **C’est sans oublier la mini-série télé en 6 épisodes produite par le Parti du Guangxi nommée « Suivre résolument le leader du grand renouveau » (紧跟伟大复兴领航人踔厉笃行) et diffusée le 19 avril.
Le 17 avril dernier, le comité permanent de la région autonome du Guangxi a tenu la troisième session plénière de son XIIe Congrès populaire dans la ville de Nanning. Durant cette session, le comité permanent a décidé que la rencontre visant à élire les délégués qui représenteront la région autonome à Pékin lors du XXème Congrès du Parti aurait lieu les 21 et 22 avril. L’annonce officielle de la rencontre nous rappelle qu’il est « important que le Parti dans son entier soit uni autour du Comité Central ayant pour noyau le camarade Xi Jinping », qu’il est important « d’unir consciemment la pensée et les actions [des cadres] au déploiement de la prise de décision [afin de mettre en place les politiques] du Comité Central », le tout « avec une loyauté absolue envers le Parti et un sentiment important de responsabilité envers la cause du Parti et du peuple ». Les cadres, poursuit le document, doivent « toujours soutenir, défendre et suivre le leader »* et enfin, le Guangxi doit « accueillir la convocation victorieuse du XXème Congrès du Parti »**.
*Et pourtant, plusieurs publications officielles ont critiqué ces votes unanimes. Le 17 mars 2011, le Quotidien du Peuple titrait : « Les votes à l’unanimité sont dangereux » (全票当选更危险). Lire aussi en juillet 2011 dans le Guangming Daily : « Il n’est pas nécessaire de poursuivre le vote unanime » (不必追求 ‘全票当选’). China Youth Daily, octobre 2021 : « Comment des cadres inférieurs [au sens de mauvais] peuvent-ils être élus de manière unanime ? » (劣官怎能全票当选). CCTV, mars 2012 : « Que le maire de 49 jours [en poste] ait été réélu à l’unanimité est une blague » (« 49天市长 »全票当选是个冷笑话). Beijing Daily, mars 2012 : « Être « élu à l’unanimité » n’est pas forcément une affaire d’opinion publique » (« 全票当选 » 不一定都是民意). De nombreux articles, même sur Baidu, traitent de cette problématique encore aujourd’hui. Dans plusieurs cas, le questionnement, qui n’attaque pas de front le gouvernement, soulève un point logique important : comment est-il possible que dans un pays si grand et si peuplé il n’y ait que si peu, voire même aucune, différence d’opinions ?
La rencontre, qui eut lieu seulement quatre jours après le communiqué, ne laissa personne indifférent. Lors de l’assemblée, les représentants dudit comité votèrent pour déterminer les candidats de la délégation du Guangxi qui représenteront la région durant le XXème Congrès. Les représentants votèrent à l’unanimité en faveur de Xi Jinping* qui, disait-on alors, représentait la volonté des 2,5 millions de membres du Parti dans la région autonome.
Ce « vote unanime » suscita beaucoup de spéculations sur la possible réélection de Xi en octobre prochain. On pouvait déjà même entendre dire que ce vote annonçait le fait accompli de ladite réélection. Cela dit, il est encore beaucoup trop tôt pour annoncer l’issue du match. À vrai dire, cette tentative de proclamer victoire, ou encore de « montrer le chemin » aux autres comités provinciaux, a ajouté à l’incertitude ambiante entourant le XXème Congrès de manière générale.

Un fait accompli ?

Autre moment très remarqué : le discours de Liu Ning (刘宁), le secrétaire du Parti pour la région autonome. Selon le rapport, Liu aurait dit que cette décision « reflète les aspirations communes des 57 millions « d’enfants Zhuang » de suivre résolument le leader du grand renouveau et reflète l’engagement du secrétaire général Xi Jinping […] »* et « le prestige du secrétaire général Xi Jinping au sein du Parti dans son entier, de l’armée et des individus en provenance de tous les groupes ethniques du pays »**.
*当之无愧的党的核心, 人民领袖, 军队统帅, 是实现中华民族伟大复兴的领航人. **Certains ont même suggéré que Liu Ning profiterait des tensions à Shanghai et de la perte d’influence relative de Li Qiang pour se démarquer auprès de Xi Jinping.
Liu renchérit : « Xi Jinping est le noyau méritant du Parti, le leader du peuple, le commandant en chef de l’armée et le pilote du grand renouveau de la nation chinoise. »* Bien entendu, ce ne sont là que de brefs passages du compte-rendu du discours de Liu. Le ton y demeure très positif, plein d’éloges pour le leader, et invite en quelque sorte à suivre le chemin tracé par le Guangxi : celui de la reconduction de Xi Jinping durant le XXème Congrès**.
*Ou plutôt opportuniste pour ne pas subir le même sort que ses camarades. **忠诚不绝对, 就是绝对不忠诚. ***Cependant, on peut se poser la question : Xi a-t-il su tirer une leçon du cas de Li Hongzhong ? À savoir ne pas se laisser embobiner par de belles paroles, un peu à la manière de Lin Biao chantant les louanges de Mao et pour qui l’histoire s’est mal finie.
Prenons cependant un peu de recul et soulignons plusieurs points au sujet de ce discours. Premièrement, l’opinion d’une seule région autonome et d’un secrétaire de seconde zone ne donne pas le la pour la suite des événements. Ce n’est pas parce que le Guangxi vante les mérites de Xi que les dés sont jetés. Ensuite, d’un point de vue purement pragmatique, Liu Ning, dont on ne sait pas bien à quelle faction il appartient, veut nécessairement faire bonne figure et faire preuve de loyauté envers Xi Jinping. On se souviendra de Li Hongzhong, le secrétaire du Parti de Tianjin et membre « repenti » de la clique de l’ex-président Jiang Zemin, la jiangpai*. Li avait été le premier à soutenir publiquement Xi Jinping comme « noyau » du Parti en 2016. C’est également Li qui, de manière assez ironique, avait utilisé le slogan : « la loyauté non absolue est de la déloyauté absolue » **. Il semblerait que Liu Ning ait appris l’art de la flatterie de Li Hongzhong pour des raisons similaires***. Ce discours, la nouvelle de l’élection de Xi et des louanges de Liu, a été repris par les médias étatiques un peu partout en Chine et a fait connaître ce dernier.
*Chose pourtant interdite par le Parti selon l’article 10, paragraphe 6 de la Constitution.
Enfin, en quoi le long discours de louanges de Liu – qui s’apparente dangereusement à un début de culte de la personnalité* – est-il utile pour un Parti que l’on dit unifié, pour un leader que l’on dit déjà très compétent et très aimé au sein du Parti dans son ensemble ? En ce sens, le fait que l’on doive encore mettre en avant le mérite et les accomplissements de Xi n’est pas nécessairement une bonne chose. C’est un peu comme si le reste du Parti ne prenait pas au sérieux tout ce qui est dit à propos de Xi, comme si on avait de la difficulté à vraiment identifier les succès du président chinois. De fait, outre son caractère utilitaire pour Liu Ning, son message de loyauté, d’unité et de mérite trahit en fait un sentiment d’insécurité face à la suite des événements.

Parler d’unité en dit long

*党的团结统一是走好赶考之路的关键所在.
La question de la loyauté et de l’unité a, semble-t-il, récemment pris de l’importance au sein des discours du Parti. On peut ici faire référence à deux articles publiés le 21 et le 22 mars par le Quotidien du Peuple et Xinhua, dont le premier s’intitule : « L’unité du Parti est la clé pour passer le test. »*
*Selon le rapport sur Sun Lijun, il aurait « détruire gravement l’unité du Parti » (严重破坏党的团结统一).
Bien entendu, parler d’unité fait presque partie des tâches des médias étatiques. Mais n’est-ce pas aussi un indice important de la situation à l’intérieur du Parti ? Le PCC cherche à corriger des problèmes internes, à se débarrasser d’éléments – dont les membres de la clique politique de Sun Lijun, qui ont déjà mis en péril l’unité du Parti, en formant tout simplement des cliques*.
D’une certaine manière, ces appels à l’unité, à se ranger derrière l’autorité de Xi, ressemblent étrangement aux « trois choses à faire et trois choses à ne pas faire » (三要三不要) énoncées par Mao Zedong en août 1971 : pratiquer le marxisme (要搞马克思主义) ; ne pas s’engager dans le révisionnisme (不要搞修正主义)
demeurer uni (要团结) ; éviter les divisions (不要分裂) ; demeurer « droit » ; éviter de prendre part aux « conspirations ».
Bien entendu, à l’époque, ces mots d’ordre visaient essentiellement Lin Biao, mais aussi ce que Mao considérait comme la révision de sa pensée par d’autres et les tentatives de le mettre de côté après le Grand Bond en avant. Un mois plus tard, l’avion de Lin Biao s’écrasait, mettant ainsi fin à plusieurs problèmes pour le « Grand Timonier ». C’est en partie pour cette raison qu’il est permis aujourd’hui de se demander ce qui se passe à l’intérieur du Parti, compte tenu des chants de louanges et des appels à l’unité.
*保证党的团结统一是党的生命. **团结统一. ***全国大会及中央执行委员会之议决,本党党员皆须绝对服从之
Revenons rapidement sur l’article du Quotidien du Peuple publié le 21 mars. Le texte commence par ces mots : « Garantir l’unité du Parti, c’est assurer la survie du Parti »*. L’expression « unité et solidarité »** apparait ensuite plus de 35 fois. L’article fait également référence à la première Constitution de 1922, selon laquelle « tous les membres du Parti doivent obéir aux résolutions du Congrès et du comité central exécutif »***. Le texte rappelle aussi que Mao a combattu de manière résolue Zhang Guotao (张国焘), ce dernier ayant tenté de diviser l’armée rouge et de saper l’unité du Parti. Curieusement, le Quotidien du Peuple souligne également que l’Union Soviétique et les États d’Europe de l’Est vers la fin des années 1980 et le début des années 1990 n’ont pas réussi à résoudre le problème de l’unité et ont échoué à « réunifier », c’est-à-dire à éliminer les divisions au sein de la classe politique. Ces divisions sont par la suite devenues un facteur important dans la chute de l’URSS.
En ce sens, parler d’unité et de loyauté va plus loin que le simple fait d’écouter les directives de Pékin. Il en va potentiellement de la survie d’un Parti en proie, à quelques mois d’un Congrès majeur, à des luttes intestines de plus en plus dures. Cependant, l’appel du Guangxi à l’unité et à la loyauté exprime davantage un non-dit sur la situation politique du PCC et ne prédit en rien le déroulement des événements durant le Congrès. Il rappelle l’importance de suivre la ligne du Parti afin de traverser les situations difficiles, mais aussi pour protéger le Parti lui-même. Cependant, Xi n’a pas la légitimité révolutionnaire que pouvait avoir Mao et il est improbable que le Guangxi puisse réellement paver le chemin de sa réélection. Néanmoins, il se peut tout à fait que l’unité, la loyauté et la stabilité demeurent les mots d’ordre pour le XXème Congrès, avec ou sans l’intervention de la région autonome du Guangxi.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.