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Analyse

"Zéro Covid" à Shanghai : la bataille politique de Xi Jinping

Un homme en combinaison blanche à l'entrée du tunnel menant à Pudong en traversant le fleuve Huangpu, après l'instauration de restrictions sanitaires pour contenir la pandémie de Covid-19 à Shanghai, le 28 mars 2022. (Source : NBC)
Un homme en combinaison blanche à l'entrée du tunnel menant à Pudong en traversant le fleuve Huangpu, après l'instauration de restrictions sanitaires pour contenir la pandémie de Covid-19 à Shanghai, le 28 mars 2022. (Source : NBC)
Pourquoi le gouvernement chinois a-t-il privilégié des mesures draconiennes pour combattre le variant Omicron à Shanghai ? Derrière la mobilisation des forces armées ou des infirmières se cache une lutte politique qui pourrait être déterminante pour le XXe Congrès du Parti cet automne, lors duquel Xi Jinping espère maintenir son emprise sur le pays.
*Le 17 mars, on s’en souviendra, lors d’une rencontre du Comité Permanent du Politburo, il fut mentionné que tous devaient adhérer au « zéro Covid dynamique » (动态清零, dongtai qingling, littéralement : « nettoyage dynamique »). **Il est d’ailleurs curieux que ce soit Ma Chunlei qui ait pris le blâme pour la hausse des cas. ***Depuis, la situation au Jilin s’est nettement dégradée, si bien que les fermiers ont dû mettre les champs en jachère. Bien que certains aient bénéficié de passe-droit pour retourner travailler, beaucoup craignent une récolte irrécupérable, déjà déclarée en mars comme « la plus mauvaise » de l’histoire récente. Ainsi, les risques en matière de sécurité alimentaire – déjà très fragilisée par la guerre en Ukraine – pousseront sûrement Pékin à retourner, une fois de plus, sur les marchés internationaux – épuisés – et à payer un prix premium pour sécuriser son approvisionnement en céréales. Dans le Jilin, où la politique du « zéro Covid dynamique » est en vigueur, le nombre de cas n’a cessé d’augmenter depuis début mars.
La première hausse des cas de Covid-19 à Shanghai date de la semaine du 15 mars dernier. S’en est suivi une importante mobilisation policière. Résultat, une équipe d’inspection envoyée par Pékin partit à la rencontre de Li Qiang, le chef du Parti de Shanghai, afin de s’entretenir avec lui de nouvelles mesures à prendre*. Le 30 mars, après avoir longuement échappé aux restrictions imposées à Wuhan en 2020, le comité municipal annonça ce que plusieurs redoutaient déjà : la mise en place de la « nouvelle politique » du « zéro Covid dynamique » . Le matin du 31 mars, lors de la conférence sur la prévention et le contrôle de la pandémie, Ma Chunlei (马春雷), le secrétaire général adjoint du comité permanent de la ville, un associé de Li Qiang, reconnut que certaines mesures n’avaient pas été entièrement été respectées et mises en œuvre, que le gouvernement acceptait sincèrement les critiques et qu’il travaillait depuis à s’améliorer**. Le 2 avril, la vice-première ministre Sun Chunlan, en charge depuis 2020 de la coordination de la politique « zéro Covid » et qui gérait en particulier les efforts de préventions dans la province du Jilin***, fut appelée d’urgence à Shanghai pour soutenir la mise en place de la politique de « Zéro Covid dynamique ».
Ce rejet soudain de mesures plus souples, ou plus ciblées, au profit de mesures draconiennes ne reflète pas seulement la volonté de Pékin d’endiguer le variant Omicron. Derrière la mobilisation des forces armées ou des infirmières se cache également une lutte politique importante qui pourrait être déterminante pour le déroulement du XXe Congrès du Parti cet automne.

Une prise en charge stratégique ou politique ?

*Par exemple, le 26 mars, Wu Fan (吴凡), le vice-doyen de l’Institut médical de l’Université de Fudan, affirmait que Shanghai ne pouvait pas être en confinement total.
Shanghai représente près de 4% du PIB chinois. Jusqu’alors, la ville avait réussi à imposer sa volonté et à passer outre la politique du « zéro Covid » exigée par Xi Jinping. Les forces politiques et économiques locales se sont également battues jusqu’au dernier jour pour refuser le confinement complet de la ville*.
*Seulement trois jours après que le verrouillage complet fut « écarté », mais aussi deux jours après l’annonce dudit verrouillage. **Magazine sous la supervision du consortium Xinhua et du département central de la propagande. *** « 没有疫情也连续搞大规模核酸检测 ? 抗疫资源不能如此浪费 ».
Le 29 mars*, le magazine Banyuetan (半月谈) – appelé aussi Half Moon**, publie un article intitulé : « Effectuer en continu des tests d’acide nucléique à grande échelle sans épidémie ? Les ressources antiépidémiques ne devraient pas être gaspillées ainsi »***. L’article critique la stratégie de test à grande échelle en l’absence de foyer épidémique dans l’ensemble de la région. Il critique aussi les vagues de dépistage à répétition malgré des tests négatifs. Ce qui reflète un doute sur la nécessité des tests à grande échelle en continu. Le texte prône plutôt une approche scientifique et prudente, car ces tests viennent interrompre la vie sociale et économique en plus de mobiliser bon nombre de fonctionnaires et de forces de l’ordre. Soit un important gaspillage d’argent et de ressources médicales.
*新华述评 : 坚持“动态清零”不放松
Le 30 mars, Xinhua réplique avec l’article intitulé : « Commentaire de Xinhua : Adhérez sans relâche à la politique du « zéro Covid dynamique »*. Ce dernier, long de plus de 4 300 caractères, annonçait déjà les couleurs de la décision à venir, malgré les tensions palpables entre les cadres locaux de Shanghai et de Pékin. D’une certaine manière, cette prise en main de Shanghai par l’administration de Xi doit être comprise dans la dynamique de confrontation du numéro un chinois aux « mécontents ».

La « ville close » comme champ de bataille

*On parle à présent de plus 170 000 cas dans 29 provinces. Le 5 avril, Shanghai comptait plus de 73 000 cas.
Trois jours après la mise en place confinement total de la ville (封城, fengcheng), Sun Xiaofeng (孙小丰), médecin-chef adjoint de l’hôpital Huashan affilié à l’Université Fudan et membre de la Conférence consultative de Shanghai, fit circuler en ligne une liste de propositions à l’usage de la municipalité pour empêcher le verrouillage total de la ville. L’article, malheureusement introuvable depuis, présentait six suggestions. Soulignons quatre d’entre elles. Primo, sur les 103 000 cas répertoriés à travers le pays (avant le 2 avril*), il n’y a pas ou très peu de cas graves. Il semble donc que le virus ait une volonté de coexister avec les humains. Secundo, il faudrait prôner l’auto-isolement à domicile pour les personnes asymptomatiques, plus efficace que l’isolement centralisé dans un camp ou un hôpital, et qui permettrait d’éviter la surutilisation des ressources médicales. Tertio, il convient d’arrêter la fermeture de toute la société et de reprendre un rythme normal dès que possible. Enfin, il faut introduire le vaccin de Pfizer qui pourrait être utilisé comme troisième ou quatrième dose.
*Zhang a depuis été remplacé.
Le contenu de l’article de Sun – très similaire aux positions publiques de Zhang Wenhong (张文宏), directeur du département des maladies contagieuses de l’hôpital Huashan* – fut bien reçu par les internautes, mais certainement pas par le gouvernement central. Depuis, l’approche de la « ville close » perdure, et la qualité de vie des habitants de Shanghai s’est nettement dégradée : manque de nourriture, suicides ou surveillance militaire et policière accrue. La grogne se fait de plus en plus sentir sur les réseaux sociaux, au point que l’Administration chinoise du cyberespace (CAC) peine à censurer tous les commentaires publiés en provenance de Shanghai.
Ce faisant, la poursuite de la politique du « zéro Covid dynamique » – politique qui ne semble pas fonctionner si l’on se fie à la croissance exponentielle des cas – pèse lourd sur Li Qiang*, mais aussi sur Xi Jinping. Li, à la tête de Shanghai depuis 2017, accuse un retard non négligeable en matière de « prise en charge » de la municipalité, qui est également l’un des bastions les plus importants de l’ancienne garde. Il en va de même pour le maire, Gong Zheng (龚正). Tous deux n’arrivent pas à « faire sortir leurs ordres du comité municipal » (政令不出市委). Li souhaitait suivre et appliquer les directives de Xi (avant l’ordre du confinement total), mais les autres instances de Shanghai restaient inertes. C’est ce qui poussa, en partie, Xi à mobiliser un si grand nombre de membres de l’APL ou du milieu médical.
La problématique de Shanghai, tout comme la décision de Xi de soutenir la Russie durant les premiers jours de son « opération militaire spéciale » en Ukraine, est également devenue un pôle autour duquel peuvent se rassembler les « mécontents ». Ceux-ci utiliseront certainement la débâcle de Shanghai à leur avantage durant les négociations de Beidaihe, l’université d’été du Parti, ou encore avant le XXème Congrès à l’automne.
*Le Quotidien du Peuple renchérit le lendemain avec un article intitulé : « Plus la prévention de l’épidémie devient urgente, plus nous nous devons d’abandonner la mentalité de la « planche » (越是防疫吃紧, 越要摒弃“躺平”心态). D’où l’importance de cette problématique pour Pékin et Xi Jinping.
Cela dit, la situation semble être en partie le fruit de l’attitude des cadres locaux dans certains districts de la ville, qui, selon l’expression populaire en Chine, « font la planche » (躺平, tangping). On parle ici de vérifications aléatoires, de mauvaise affectation des ressources, ainsi que d’autres comportements déraisonnables. Les autorités locales – médicales et politiques – se blâment les unes les autres alors que des fonds servant à la prévention se sont envolés. Nous ne voulons pas dire que la crise sanitaire actuelle est le fait de ces cadres, mais simplement que ceux-ci n’ont pas cherché à « aider Li Qiang » à faire bonne figure, et que certains ont sûrement voulu forcer la main de Xi afin qu’il « écrase » la ville de Shanghai, créant du même coup une vague de ressentiment au sein de la population. Le 6 avril dernier, le quotidien Beijing News (新京报) à même publié un article à l’attention des fonctionnaires qui « font la planche », intitulé : « Les cadres du Parti doivent se « tenir debout » » (党员干部必须挺身而出)*.

Des conséquences inattendues

*Certains parlaient déjà en mars d’un taux de croissance de 0 % durant le premier quart de 2022 et d’une révision possible du taux de croissance à 2.9 %, voire même moins.
Pourquoi des mesures si draconiennes à Shanghai ? La question est légitime. Seules les mesures prises à Wuhan au tout début de la pandémie leur sont comparables. Surtout, pourquoi étouffer le moteur économique de la côte est sachant que l’objectif de croissance fixé à 5,5 % semblait déjà peu réaliste ? Il n’y a qu’à jauger le poids économique de Shanghai : la « Perle de l’Orient » est la seule des 30 provinces chinoises à afficher en 2021 des recettes fiscales positives. Ainsi le confinement Shanghai aura-t-il une influence importante sur le rythme de la croissance nationale, sur les chaînes d’approvisionnement et sur les perspectives de croissance pour 2022*.
*Or la politique du « zéro Covid dynamique » a depuis exacerbé les tensions intra-Parti.
De nouveau, l’administration Xi semble davantage préoccupée par la lutte politique que par la reprise de l’économie nationale, dont la légitimité du Parti dépend en grande partie. Pékin devrait pourtant savoir à présent que l’isolement total ne fonctionne pas*. Pourtant, le pouvoir central demeure, pour ainsi dire, prisonnier de ce modèle : l’abandonner reviendrait à reconnaître que le Parti se trompe depuis le début. Cette option n’est pas envisageable – encore moins à quelques mois du XXème Congrès.
*C’est Xi qui a personnellement avancé cette idée de « zéro Covid dynamique » – lire cet article de Xinhua publié le 29 mars. Il en va de son prestige à l’intérieur du Parti : cette stratégie doit fonctionner et doit donner les résultats escomptés avant le Congrès. Sinon, ce serait donner des armes à l’adversaire.
Le contrôle de la pandémie, comme les vaccins chinois ou les méthodes de quarantaine, sont devenues, au fil des mois, des éléments hautement politiques. On se doit de montrer la supériorité du modèle chinois tant vanté à l’étranger depuis 2020, et l’on se doit de soutenir les vaccins locaux. Xi Jinping l’a lui-même mentionné à plusieurs reprises (surtout dans le cas du Hubei en 2020 et même en 2021) : ce sont des cadres qu’il a lui-même choisis qui ont été dépêchés pour contenir la pandémie. En ce sens, le modèle doit fonctionner, peu importe le coût en vies humaines, dommages financiers ou psychologiques. De fait, il sera également difficile pour Pékin d’accepter, contrairement aux gouvernements occidentaux, de « vivre avec le virus ». En effet, la politique « zéro Covid », en plus d’être liée à Xi*, découle également d’un vieil adage : « l’homme peut triompher de la nature » (人定胜天, ren ding sheng tian). Mais suivre cet adage avec un tel acharnement peut coûter cher. En témoigne la poursuite aveugle des politiques qui ont mené à la grande famine durant le Grand Bond en avant.
*Durant un symposium sur l’économie le 7 avril, Li Keqiang n’a pas manqué de dire que la Chine fait face à des défis de taille sur le plan intérieur, mais qu’il pense également que les autorités chinoises sont confiantes dans leur capacité à les affronter. **La bataille pour la réélection de Xi a techniquement commencé en juillet 2020, trois mois après la chute de Sun Lijun (孙力军), avec l’annonce de la campagne de rectification par Chen Yixin (陈一新).
Ainsi, plus le temps passe – et nous n’en sommes environ qu’à la deuxième semaine -, plus nous verrons des faillites d’entreprises, des licenciements et des compagnies étrangères plier bagage ou préparer leur départ post-confinement. Aussi, les grands groupes industriels se verront obligés de délocaliser vers d’autres pays en Asie du Sud-Est. De fait, plus le temps passe, plus il deviendra difficile pour l’économie chinoise – déjà très affaiblie depuis la guerre commerciale avec les États-Unis – de se remettre sur pied*. Et plus l’économie se portera mal, plus les différentes factions s’en serviront pour critiquer Xi et plus la route menant à un troisième mandat deviendra sinueuse**. En ce sens, Xi Jinping n’avait surtout pas besoin d’une résurgence de la crise sanitaire à quelques mois à peine du XXème Congrès.

La prise

*Avant l’arrivée de Sun Chunlan, ces forces arrivaient plutôt la nuit. Depuis, le tout se déroule plutôt à découvert.
Le 4 avril, Pékin a dépêché plus de 2 000 soldats et plus de 38 000 personnels de la santé en provenance de 15 provinces afin d’aider à contenir la pandémie sur le terrain. C’est sans parler des avions Y-20 arrivés à Hongqiao ce même 4 avril. Des cadres et des forces de police avaient déjà commencé à être mobilisés des quatre coins de la Chine depuis les 28 et 29 mars*, afin de « prendre le contrôle de la situation » – en même temps que de créer une structure parallèle de commandement répondant aux ordres de la politique du « zéro Covid dynamique ». Parce que Pékin ne fait pas confiance aux unités de police de Shanghai – pour des raisons assez évidentes –, les forces de police armées spéciales du Shandong ont été envoyées en « renfort » depuis le 31 mars environ. Elles ne répondent pas au bureau de la sécurité publique de Shanghai. On se demande d’ailleurs pourquoi Pékin n’a pas demandé ce type d’unité à la province du Zhejiang ou encore du Jiangsu, plutôt qu’à Fan Huaping (范华平), directeur de la sécurité publique du Shandong.
*Lors de la réunion de la délégation de l’armée et de la police armée durant les « deux assemblées » le 7 mars dernier, Xi avait demandé que les forces de l’ordre intensifient leur préparation à la guerre, aident au maintien de la « stabilité locale » ou à « gérer des urgences diverses ».
À l’heure actuelle, plus de 50 000 officiers de police* sont mobilisés dans la ville. Leurs missions : faire de la prévention et du contrôle au sein de la société locale, de la surveillance communautaire, en plus de la gestion du trafic. Selon certaines sources officielles, plus de 100 000 personnes au total sont présentes à Shanghai dans le cadres de la lutte contre la pandémie.
*À l’heure actuelle, déjà 8 cadres (7-9 avril) ont été licenciés pour leur mauvaise gestion de la pandémie, dont Li Shuifei (李水飞), directeur général du service d’incendie et d’urgence de Hongqiao ; Zhou Baoguo (周宝国), doyen de la branche du Parti du centre de santé mentale du district de Huangpu ou Cai Yongqiang (蔡永强), Secrétaire du Parti de Beicaizhen (Pudong).
Cependant, malgré l’objectif de stopper le virus, il est probable que Pékin utilise ce verrouillage pour remplacer un grand nombre de cadres locaux*. Mais ce ne sera malheureusement pas si simple, considérant le nombre de cas positifs, les problématiques liées à l’isolement et l’impact du verrouillage sur l’économie nationale. Le cas de Shanghai pourrait donc être un signe envoyé aux autres forces en présence, pour leur montrer ce qui arrive quand les bases de certains groupes informels ne respectent pas les consignes.
*Le confinement complet de Wuhan avait durer 76 jours ; Shanghai en est à environ 14 jours. **Cette surenchère du « zéro Covid dynamique » exprime une lutte à gagner contre « l’approche occidentale » vue comme inférieure, donc la supériorité de la Chine. Cela dit, la lutte contre la pandémie est « politique » et non pas nécessairement « scientifique ».
L’importance de la « prise » de Shanghai est ainsi presque aussi importante que la gestion des premiers jours de la crise et du verrouillage de Wuhan*. Il faut que la stratégie « zéro Covid » fonctionne, il faut que Shanghai soit « nettoyée »**. Échouer serait donner raison, par défaut et en partie du moins, à l’opposition qui tente de s’opposer à sa réélection. Comme Chen Yixin l’avait lui-même mentionné le 16 janvier dernier, « les risques de sécurité politique représentent un danger caché majeur » – allusion indirecte aux tensions intra-Parti en vue du XXème Congrès.
*Depuis, plusieurs régions du Qinghai et du Guizhou se sont à nouveau appauvries.
La seule option demeure celle de la victoire. Une victoire qui pourrait clouer le bec des mécontents et rapprocher Xi de son troisième mandat. Hormis l’interminable lutte anti-corruption et la « victoire dans la lutte contre la pauvreté »*, le président chinois a besoin de réalisations politiques concrètes à mettre de l’avant durant le prochain Congrès. De fait, Shanghai doit devenir le second Wuhan – une victoire qu’il avait « personnellement dirigée » .
*Plus la situation traîne, plus elle pourrait affecter sur les perspectives de carrière de Li Qiang – comme ce qui est arrivé à Jiang Chaoliang (蒋超良). Les mécontents utiliseront la mauvaise gestion de la pandémie à Shanghai contre Li Qiang afin de l’empêcher de monter en grade. **Même si rien n’est confirmé, cette militarisation de facto resserre les pouvoirs de Shanghai entre les mains du groupe de prévention et de contrôle de la pandémie (疫情防控小组), qui est sous la direction de Li Qiang.
Certes, ce qui retient d’abord l’attention à Shanghai est la qualité de vie entravée par le confinement et les conditions d’isolement parfois déchirantes que les citoyens doivent endurer. Des vidéos en ligne montrent des Shanghaïens criant au secours, qui ont faim ou qui simplement se jettent par les fenêtres, faute de solution et d’approvisionnement. Plusieurs ont également souligné qu’une partie des denrées de première nécessité, distribuées dans tous les districts et sous-districts, a été simplement détournée au niveau local et revendue au prix fort. Il est possible que certains fonctionnaires profitent de la crise sous le nez des intervenants extérieurs. Sans parler des altercations de plus en plus physiques entre les forces de l’ordre et la population à bout de souffle et affamée aux quatre coins de la ville, et la reconnaissance faciale par le biais de drones, qui crée un climat de peur à Shanghai. Mais l’enjeu essentiel n’en demeure pas moins politique et lié aux luttes de pouvoir au sein du Parti. L’intervention directe de Xi Jinping démontre aussi qu’il se méfie de l’administration shanghaïenne. Ce qui explique non seulement pourquoi il a mobilisé des troupes qui proviennent de l’extérieur de la municipalité spéciale, mais également qu’il a potentiellement douté des capacités de Li Qiang* et de Gong Zheng. Ainsi, la politique du « zéro Covid » fait partie intégrante des luttes politiques internes. La « militarisation »** de Shanghai ne sert pas qu’à contenir la pandémie.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.